Arnold Turboust est l'auteur en ce début d'année d'un sixième album, "Sur la photo". L'ancien clavier de Marquis de Sade et ex-membre de Private Jokes raconte sa relation à la composition et le regard qu'il porte sur sa voix.
Tu reviens avec ton sixième album, Sur La Photo. Six albums en quarante ans de carrière, c’est finalement assez peu. Tu as souvent été perçu comme un homme de l’ombre, un réalisateur, un compositeur et un producteur, un peu comme si tu étais arrivé par accident à la composition de tes propres chansons. À l’écoute de tes disques, on sent une quête peut-être inconsciente de légitimité. Qu’en penses-tu ?
Lorsque j’ai débuté la musique, j’étais évidemment heureux d’être musicien. Puis d’être compositeur. Et puis ensuite, comme ça, je me suis retrouvé à être chanteur. Je chantais tout le temps quand j’étais gamin, mais j’avais toujours trouvé, autour de moi, des chanteurs formidables. Puis je me suis dit : “Mais pour être chanteur, il faut savoir écrire ses textes”, et donc j’ai commencé à écrire mes textes. Un cheminement naturel. Pas une recherche de légitimité. Je n’aime pas trop l’expression “être dans l’ombre” ; j’aime beaucoup la lumière, le soleil. Mais lorsque j’ai fait mon premier album en solitaire, c’est comme si d’un seul coup cette musique que j’avais faite n’était plus à moi. C’était assez terrible comme sensation. C’est aussi pour ça que je n’ai pas fait tant d’albums que ça. Puis j’ai aussi beaucoup coupé. Comme beaucoup, j’ai pas mal de doutes, je suis un peu idéaliste et je préfère attendre que de sortir absolument quelque chose, bien que parfois je me pousse un peu à le faire. Je ne me sens pas illégitime, je me sens même plutôt légitime en ce moment.
J’arrive à m’assumer en tant que chanteur. À mes débuts, c’était plus dur
Arnold Turboust
Dans Sur La Photo, tes chansons ont cette éternelle évidence pop mais elles ont aussi en elles quelque chose d’étrange, une forme de distance face à l’auditeur portée par ta voix à la fois blanche et suggestive. On pense aussi parfois au Daniel Darc de Crèvecœur pour ce jeu avec des sonorités rétro. Et si, Frédéric Lo – qui a composé le disque de l’ancien Taxi Girl –, et toi étiez avant toute chose de grands mélodistes… ? Mélodiste, chanteur, compositeur… Comment te définis-tu toutes ces étiquettes ?
Je ne sais pas. Pour moi, écrire une chanson, c’est un jeu d’équilibriste entre des mots, des mélodies, des arrangements, une voix, une tonalité, un tempo – beaucoup de choses, en somme – et j’essaie de faire comme je peux. J’arrive à m’assumer en tant que chanteur. À mes débuts, c’était plus dur. Je pense que ma plus grande facilité, c’est de réfléchir en premier lieu aux mélodies. Après, j’aime bien trouver les mots qui vont avec. Je ne néglige pas non plus les arrangements. C’est ça qui fait la facture d’une chanson, qui fait son relief, son cachet, et j’y passe beaucoup de temps. Ta comparaison est très flatteuse. J’apprécie fortement Daniel Darc et sa façon de chanter qui semblait en dilettante mais qui ne l’était pas.
Ce qui est constant dans tes textes, et c’est d’autant plus remarquable sur Sur La Photo, c’est cette capacité à allier légèreté et profondeur. Je pense en particulier à un titre comme La Vérité augmentée ou le Ye Souis tout en humour. Il y a de l’économie et de la suggestion jusque dans les textes. Dans ton jeu avec les mots, avec leur son, ne peut-on entendre un peu de l’héritage de Gainsbourg ?
J’aime beaucoup les textes qui tiennent bien même à la simple lecture. J’aime bien qu’ils puissent être dits, en plus d’être chantés. Évidemment, j’ai beaucoup appris en l’écoutant, et quelque chose qui est essentiel pour moi chez Gainsbourg, c’est l’économie des mots. Avec quelques phrases, toute syllabe est tellement chère que vous pouvez l’utiliser deux-trois fois. Gainsbourg était un magicien à ce niveau-là. Comme j’ai aussi beaucoup écouté Trenet, mais là peut-être plus pour cette fluidité. J’aime aussi le côté imagé de Robert Desnos, même s’il n’a pas dû écrire beaucoup de chansons. On le retrouve aussi chez Léo Ferré. J’aime aussi beaucoup Brigitte Fontaine, avec qui j’ai eu la chance de travailler.
Tu n’es pas seul sur ce disque. Tu sembles d’ailleurs toujours travailler avec une dimension collective. Qui t’accompagne sur ce disque ?
Il y a quelques temps, je lisais quelque chose qui disait “qu’à être seul, on était forcément mal accompagné”. C’est donc forcément enrichissant d’être avec d’autres personnes. Il faut savoir accepter le débat, la contradiction. C’est difficile, mais il faut faire avec. Je l’ai constamment avec Rico Conning – tout le temps, et all in english, car il parle très peu français. Sur cet album, il y a beaucoup de gens très importants pour moi. Outre Rico, je pense à Yann Le Ker, avec qui j’ai fait beaucoup de scène, qui joue de la guitare. Il y a aussi aussi Vincent Mougel, que je ne connaissais pas mais qui m’a fait des choses formidables sur les morceaux où il apparaît, avec Stephane Bellity alias Ricky Hollywood. Rue de la Croix-Nivert est une chanson que je n’arrivais pas à faire, un piano-voix. Je me disais que c’était dommage, et ils m’ont aidé à trouver le truc qu’il manquait. J’ai aussi invité des personnes à chanter avec moi. J’espère que je n’oublie personne.
Que dit Kumisolo sur Moi si j’étais vous ?
C’est du japonais ! Elle reprend mes couplets, en japonais. Cela rend la chanson encore plus “comme dans un film”. Comme si vous aviez cette voix off qui explique la scène. Je ne parle pas japonais donc c’est elle qui s’est chargée de ça ! Je trouve que le contraste fonctionne très bien.
Comment s’est faite cette rencontre avec la soprano Patricia Petibon avec qui tu collabores sur Des si des mais ?
Je l’avais entendue plusieurs fois à la radio. Outre cette grande aisance à chanter, évidemment, elle dégage beaucoup d’émotions et dans des registres complètement différents. Elle peut même avoir une voix assez douce. Il s’est trouvé qu’on a une amie en commun, qui s’appelle Zélia de Montmartre, qui nous a présentés. Patricia apporte une touche assez improbable à cette chanson, elle qui est tellement chanteuse, et moi qui est tellement… vous voyez !