Après vingt ans d’absence sur une scène parisienne, Babybird est de retour ce vendredi à Petit Bain. Une étape forcément très attendue de son “Back Together Again Tour”.
S’il fallait classer les grands songwriters pop au mérite, nul doute que Stephen Jones, l’homme derrière Babybird, squatterait les hauts des charts. Il les avait tutoyé au milieu des années quatre-vingt-dix avec les tubes You’re Gorgeous, Goodnight ou Candy Girl, avant de retomber dans un relatif anonymat. Et pourtant, l’homme qui s’était fait connaître (et acclamé) avec ses cinq albums lo-fi en l’espace de quelques mois avant la déferlante de l’album Ugly Beautiful, n’a pas chômé depuis : sur Bandcamp, il revendique près d’une centaine de nouvelles références ! Des instrumentaux expérimentaux, des bidouillages électroniques mais surtout d’impressionnantes collections de popsongs grandioses et éclatantes. Cynisme en étendard, gouaille british et discours franc : entretien avec Stephen Jones.
Tu as donné un concert au Mans en 2013 mais cela fait vingt ans que tu n’as pas joué ailleurs en France. Es-tu un peu stressé à l’idée de rejouer à Paris ?
On va jouer dans un bateau sur la Seine, il y a de quoi être excité ! Je suis un peu nerveux en fait…
Ce “Back Together Again Tour” ressemble à un comeback, mais tu n’as jamais vraiment arrêté de tourner, ni d’enregistrer de manière presque boulimique…
J’ai arrêté de donner des concerts quelque temps après un problème cardiaque. Cette tournée me permet de reprendre doucement.
Tu avais un peu disparu des radars pendant des années et de nombreuses personnes pensaient que tu avais cessé de faire de la musique, alors que tu n’avais jamais été aussi prolifique en sortant plusieurs dizaines d’albums sur Bandcamp et en les vendant en éditions limitées sur ton site. C’est un modèle économique un peu étonnant…
Sortir des CD en éditions limitées était un véritable choix. Je personnalise chaque disque pour chaque acheteur et je ne pouvais pas en produire beaucoup plus. J’aurais adoré, mais ça m’allait déjà bien comme cela. Ma seule frustration est que je ne pouvais pas toucher plus de personnes par ce biais. Mais Tim Bailey (qui organise cette tournée) et moi travaillons à améliorer cela. Pour être honnête, j’ai eu énormément de chance et de succès dans le passé. Tout ce qui m’arrive maintenant est du bonus…
Tu publies essentiellement sur Bandcamp. Des compilations, des singles, des démos… Est-ce que raisonner en termes d’albums est encore pertinent aujourd’hui ?
Je continuerais très certainement à sortir des albums sur Bandcamp ou ailleurs avec des chansons positionnées dans un ordre précis (et pas jouées aléatoirement) car je pense que mes fans les écoutent de cette manière, comme ils font avec des CD. Je me sens à la fois coupable de télécharger de la musique mais extrêmement heureux d’écouter des vinyles. En fait, quand j’y pense, je ne me suis jamais vraiment intéressé au concept d’album mais plutôt à celui de collection de bonnes chansons…
“Je pense que Ugly Beautiful était une compilation un peu merdique. There’s Something Going On et Bugged sont ce dont je suis le plus fier”
Parmi les dizaines de disques que tu as sortis ces dernières années, lequel recommanderais-tu pour un néophyte ou un ancien fan qui voudrait découvrir le Babybird actuel ?
KONpilation est mon album préféré et j’encourage tout le monde à aller l’écouter… J’admets que ça peut être un peu compliqué de faire son choix dans tous mes disques, mais il faut essayer celui-là pour déterminer ensuite si on veut aller plus loin ou pas…
En passant en revue ta discographie, il me semble que tu hésites toujours entre les chansons pop un peu expérimentales (comme celles d’avant Ugly Beautiful) et les morceaux beaucoup plus classiques et presque démodés…
J’ai commencé mon site avec Black Reindeer, un disque instrumental et orchestral, fait de boucles et d’enregistrements de sons et de voix trouvées un peu partout… Ca rappelait l’époque où j’avais une troupe de théâtre et dans laquelle j’enregistrais des bandes sons. Sur Bandcamp, j’ai d’abord récréé çà, à un moment où je voulais m’éloigner de ce pourquoi Babybird était connu, pour montrer un autre potentiel, comme sur mes cinq albums lo-fi sortis entre 1994 et 1996. Mais j’adore chanter et composer des chansons pop, et donc, progressivement, le site a incorporé de plus en plus de Babybird…
Es-tu nostalgique de la période Ugly Beautiful/There’s Something Going On/Bugged ? Est-ce que ce sont de bons souvenirs ou finalement une grande incompréhension entre toi et l’industrie musicale ?
Je pense que Ugly Beautiful était une compilation un peu merdique. There’s Something Going On et Bugged sont ce dont je suis le plus fier, de vrais albums du début à la fin. Le précédent soi-disant album n’était qu’une compilation de morceaux que j’avais fait seul et ce n’est qu’avec ces deux-là que c’est devenu une véritable œuvre de groupe. Ugly Beautiful n’était fait que pour prolonger le succès du single You’re Gorgeous, et donc très orienté pour en faire un succès commercial. Mais il m’a rapporté plein d’argent, comment pourrais-je me plaindre ?
Lors d’un concert récent, tu as présenté cette chanson, You’re Gorgeous avec les mots suivants : “Imaginez un groupe spécialisé dans les reprises, qui ferait une reprise d’une reprise d’une reprise… ” et tu as ironisé en disant qu’il fallait que tu la joues car “c’était contractuel”. Pourrais-tu ne plus la jouer ?
On a fait quelques concerts sans l’inclure dans la setlist, mais je m’en fous un peu maintenant. Mon attaque cardiaque m’a rendu plus tolérant, et maintenant on en fait une version très sombre et subversive, plus du tout un tube pop…
Avec le recul, de quoi es-tu le plus fier ?
Avoir atteint le top 40 britannique avec le single Bad Old Man. Avoir enregistré avec Johnny Depp était évidemment complètement surréaliste (sur le titre Unloveable). Le concert à La Cigale était aussi un grand moment…
Propos recueillis par Julien Courbe
Photo : Jérôme Sevrette