Le premier réel album posthume de Prince, "Welcome 2 America", enregistré d’un trait en l’espace d’une dizaine de jours en mars 2010, s’inscrit généreusement dans la filiation de ses illustres aînés.
Son rire tonitruant troue l’espace à mille années-lumière d’ici. Ce rire dont l’écho nous parvient tout entier aujourd’hui sous la forme d’un album posthume, le premier de Prince conçu comme tel à sortir de son VAULT après trois flamboyantes livraisons d’inédits, des concerts et même une répétition intimiste piano voix. Ces douze titres, Prince les a enregistrés en près de dix jours, à la mi-mars 2010, six ans avant qu’il ne quitte le building.
Welcome 2 America est enregistré avec une formation ad hoc : une bassiste, aussi jeune que virtuose, Tal Wilkenfeld (Herbie Hancock, Jeff Beck…), à qui il demande de recruter un batteur pour venir « jammer » à Paisley Park. Sans leur mentionner l’identité du prestigieux commanditaire, Tal vend le bœuf à trois-quatre collègues de jeux, parmi lesquels Chris Coleman (Chaka Kahn, Rachelle Ferrell…), l’heureux élu à l’arrivée. L’histoire ne dit pas qui furent les recalés.
Prince, cette rationalité qui n’appartient qu’à lui
Sur place, à Minneapolis, Chris Coleman se met en quête d’une batterie avec un chèque en blanc du taulier, qui se montre, au retour du musicien, plus intéressé par la couleur (argentée) de l’équipement que par son prix (8000 dollars). Les sessions peuvent débuter : à chaque jour son morceau enregistré, en trio, Prince passant de la guitare aux claviers, sans donner plus d’indications que les grilles et les changements d’accords.
Tal et Chris avancent à l’aveugle, et la plupart des douze titres qui forment la substance de Welcome 2 America (Sony Music) sont enregistrés en moins de dix jours. Les semaines et mois suivants, entre deux tournées en Europe, Prince complète et fignole la matière, allant même jusqu’à déléguer les arrangements de cinq des dix titres à Morris Hayes, son fidèle clavier et directeur musical. Animé de cette rationalité qui n’appartient qu’à lui, Prince, non sans avoir invité à l’automne les musiciens à une séance d’écoute de l’album finalisé, décide in fine de reléguer l’enregistrement dans son VAULT.
C’est dans un carton du VAULT que sera découvert Welcome 2 America, sous la forme de 3 CD, présentant chacun un track listing à peu de choses près identique. A l’exception d’un titre, Cause & Effect, un rock acéré avec Larry Graham à la basse, sorti en cybersingle dès 2010, l’intégralité du projet nous est enfin donnée à entendre.
Pourquoi n’a-t-il pas publié alors ce Welcome 2 America ?
Mais pourquoi n’a-t-il pas publié alors ce Welcome 2 America, commentaire social aiguisé d’une Amérique gangrénée, selon lui, par le racisme (George Floyd mourra étouffé par un policier de Minneapolis dix ans plus tard), la cupidité et la dictature numérique ? Pourquoi lui a-t-il préféré le plus digital – et loin d’être indigne – 20Ten ? Mystère… Peut-être tout simplement parce que Tal n’était pas disponible pour partir en tournée à ses côtés.
Toujours est-il que de l’album, seul le titre, Welcome 2 America, est joué quelques mois plus tard, dans sa forme originelle et la tournée du même nom, en ouverture d’un concert au Madison Square Garden, toutes lumières éteintes. Ce morceau aux accents Pfunk – Parliament-Funkadelic Funk – donne le LA d’un album cohérent, dans son esthétique sonore comme dans son programme musical.
Plus que dans aucun autre de ses albums, Prince n’aura autant rendu hommage à ses pairs. C’est en héritier – et alter ego – de George Clinton (Welcome 2 America donc), Curtis Mayfield (Son of a master slave, Born 2 Die), Roy Ayers (la suite d’accords de Born 2 Die), Stevie Wonder (1000 Light Years From Here, One Day We Will All B Free), Sly Stone (Hot Summer, Yes) qu’il se place ici. Si on poussait, on discernerait presque Gainsbarre en embuscade dans les accords plaqués qui débutent le lyrique et tout personnel 1010 (Rin Tin Tin), seul morceau réalisé entièrement par ses soins.
Drôle de sensation que d’entendre la voix terrestre de Prince
Un héritage assumé, décontracté, qui n’empêche pas l’auto-citation, comme sur Check The Record, funk-rock acéré comme une marque déposée, sur Same Page Different Book, un fat funk qui cite le classique 100 mph (cf l’excellente compilation Originals), et sur When She Comes, oui, « quand elle jouit », digne de ses balades début 80’s les plus crapuleuses. On est d’accord, la reprise (inachevée ? on y entend même le clic du CD mal gravé) de Stand Up And B Strong, du groupe de Minneapolis Soul Asylum* n’emballe pas… N’était cette seconde partie gospel qui finit par emporter l’adhésion.
Drôle de sensation que d’entendre la voix terrestre de Prince, assez discrète et contenue dans l’ensemble, relayée ici et là au second plan par un lead de son trio de choristes. Omniprésentes, Shelby J, Liv Warfield et Elisa Fiorillo Dease noircissent la gamme, donnant à l’album la patine d’une soul old school, profonde, généreuse et mélodieuse. Ce même classicisme assumé avec lequel il refermera la porte de sa carrière six ans plus tard (cf HitnRun Phase II). Alors, comment ne pas l’imaginer hilare de la bonne blague qu’il nous joue à 1000 années-lumière d’ici ? Éclatant de ce rire tonitruant à l’idée que ce n’est encore que le début…
* Le batteur de Soul Asylum, le génial Michael B., fut le batteur du NPG de 1989 à 1995 et accompagna parfois Prince en studio dans les années 2000 et 2010.
PS1 : la version deluxe de l’album inclut le Blu-Ray de sa performance du 28 avril 2011, donnée lors d’une résidence de 21 dates au Forum de Los Angeles. L’occasion de vérifier qui était le boss sur scène.
PS2 : pour tout connaître sur Welcome 2 America, rendez-vous sur l’épisode du podcast Violet qui lui est dédié https://podcast.ausha.co/violet/welcome-2-america-le-monde-selon-prince