Avant un grand entretien à venir dans notre revue trimestrielle, avant-goût de notre rencontre avec Bill Callahan. L'Américain vient de faire paraître, ce vendredi 14 octobre, le très beau "YTILAER", où son folk impressionniste approche la réalité d'un peu plus près.
Combinant un songwriting au classicisme éprouvé et les arrangements free d’un groupe dévoué, le nouvel album de Bill Callahan, YTILEAR, est une ode à la réalité, mais où les jours portent toujours l’empreinte des rêves de la nuit. Le musicien y aborde plus frontalement que jamais – quand bien même avec de nombreuses métaphores et analogies, animalières notamment – de véritables sujets de société : la pandémie de Covid-19 (sur First Bird ou Bowevil), les inquiétudes environnementales (Everyway, The Horse), l’incapacité pour l’humanité d’observer ce que lui dit la nature (Natural Communication). Voici les trois premières réponses de Bill Callahan à une longue interview – à retrouver prochainement en intégralité dans la version papier de Magic –, où il aborde quelques unes de ces thématiques.
Penses-tu que la musique peut vraiment changer les gens, les amener à agir différemment ?
Comme beaucoup de jeunes gens, vers quinze-seize ans, j’ai utilisé la musique pour comprendre et définir qui j’étais, ce en quoi je croyais. La musique change les gens parce que, même si elle touche quelque chose qui est déjà en vous, elle le fait grandir, elle vous fait prendre conscience de ces choses qu’il y avait en vous. En ce sens, la musique peut aider les gens à être vraiment eux-mêmes. C’est pourquoi on est souvent très protecteur avec la musique qu’on aime. Si quelqu’un critique la musique qu’on aime, on va le prendre très personnellement, et c’est normal, parce que la musique est quelque chose de très personnel, comme une partie de nous.
Quels artistes t’ont ainsi aidé à définir qui tu étais, jeune homme ?
Des artistes comme le Velvet Underground, et Lou Reed. Ses chansons validaient toutes sortes de choix de vie : prendre des drogues, être transsexuel… Ces modes de vie devenaient «OK» sous sa plume, et on n’entendait pas souvent ce genre de choses à l’époque. La manière d’écrire de Lou Reed m’a aidé à réaliser qu’on pouvait écrire sur n’importe quel sujet. La simplicité et la sincérité de ses chansons, de son chant, interdisaient toute impression de parodie. Ça ne vous mettait pas à distance, c’était très naturel. Et ce n’est pas si facile à faire, en étant aussi convaincant. Il a définitivement eu un rôle important pour moi, m’a appris à écrire et à chanter.
Dans la première chanson de l’album, First Bird, tu décris une sorte de porosité entre les rêves de la nuit et le monde éveillé, la réalité. “And we’re coming out of dreams / As we’re coming back to dreams”. Qu’as-tu voulu exprimer ici ?
La première chanson parle de se réveiller le matin dans son lit, de sortir d’un rêve, et de se retrouver face à ce qui ressemble à un autre rêve. J’ai écrit cette chanson quand on sortait du premier confinement lié à la pandémie de Covid. On avait l’impression que c’était la fin de cette période – même si la suite a montré que ce n’était pas vraiment le cas – mais c’était une impression étrange. On pouvait à nouveau aller dehors, sans masques chirurgicaux, voir les gens à nouveau, mais ça ressemblait à un rêve : dans les rêves on peut faire es choses qu’on n’est pas censé faire, comme marcher nu dans la rue. C’est un peu ce qu’on ressentait sans masque dans la rue, surtout au Texas, où c’est arrivé de manière plus rapide et étendue que partout ailleurs dans le monde je crois. On se retrouvait dans cette nouvelle-ancienne situation de normalité qui ressemblait à un rêve, avec cette question : «Qu’est-ce qui vient de nous arriver ?». C’était comme de sortir d’un rêve, celui du confinement et de la pandémie, et de se retrouver dans un nouveau songe. On n’avait pas vraiment l’impression de vivre la fin de quelque chose : certaines personnes agissaient comme si la pandémie était toujours là et d’autres en avaient assez de parler de ça – ce que je comprends totalement, et moi-même désirais ne plus en entendre parler. Mais agir ainsi dessinait une sorte de ligne de séparation, entre ce passé proche et le présent, qui ne correspondait pas à la réalité. Lorsqu’on se réveille d’un rêve, peu importe ce qu’il s’est passé dans ce rêve, on vit une nouvelle journée comme si rien ne s’était passé durant la nuit. Là, ce n’était pas vraiment possible…
YTILEAR
(DRAG CITY)
Sortie le 14/10/2022
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