Il y a trois ans, lors de la sortie de Life Is People (2012), le premier album que le Londonien Bill Fay parvenait simultanément à enregistrer de manière professionnelle et à publier de manière officielle depuis 1971 (soit un gouffre de quarante-et-un ans, un record que seul le groupe américain The Sonics vient de battre), on a parlé de come-back.
Or, pour utiliser ce terme, il faudrait que le délicat songwriter ait connu auparavant sa petite heure de gloire, ce qui n’est pas le cas dans la mesure où il a jusque-là été condamné à une totale et douloureuse obscurité médiatique. Il faudrait aussi qu’il se soit vraiment éclipsé, ce qui est tout aussi discutable puisque le désormais septuagénaire n’a en réalité jamais cessé de composer durant ses années de purgatoire.
Life Is People et aujourd’hui le tout aussi magnifique Who Is The Sender? sont des disques nés de cette ambivalence au moins autant que de la persévérance du producteur et fan américain Joshua Henry à accompagner son idole portée disparue dans ces deux nouveaux chapitres miraculeux de sa “carrière” discographique.
Pas étonnant dans ce cas de constater combien Who Is The Sender? tire sa force de ces nombreuses ambivalences, d’autant que ces dernières années, Fay est passé médiatiquement du statut de fantôme à celui de référence.
Sur le fond, les chansons de notre rescapé, pour la plupart des ruminations sur l’existence (celle de l’humanité toute entière prise entre cupidité, guerre et pollution, ou celle du songwriter qui s’y débat), évoluent de l’inquiétude plaintive au ravissement nettement plus optimiste, marquées par le symbolisme religieux, la sagesse rédemptrice et l’espoir d’un futur (qu’il soit meilleur ou non).
Sur la forme, elles balancent – toujours gracieusement – d’un classicisme pop rock élégant et affirmé (piano, orgue et arrangements pour cordes dominent) à un intimisme fragile et mystérieux, proche de la rupture. La référence à Leonard Cohen a souvent été évoquée au sujet de Bill Fay, mais puisque son compatriote Jason Pierce participe aux chœurs sur cet album, on rapproche d’instinct la beauté évangélique de Who Is The Sender?, débarrassée de tout prosélytisme, du corpus de Spiritualized.
En tout cas, les nombreuses forces contraires à l’œuvre se réconcilient autour d’une évidence : parfois, le don de créer des grands disques loin des obligations du business ne se perd jamais, et Bill Fay en apporte la preuve poignante et sereine.