En effervescence depuis le milieu des années 2010, la pop italienne a vu quelques-uns de ses plus beaux représentants sortir un album ces dernières semaines.
Chez Magic, on garde toujours un œil attentif sur l’actualité de la pop italienne. Et ces dernières semaines, plusieurs des noms que nous avions loués dans notre grand panorama publié dans le Magic n°223 ont sorti un album. Dans des registres très différents. Mais toujours avec cette sincérité si caractéristique d’une musique toujours plus exigeante et grand public. De Calcutta à ARIETE, l’occasion était trop belle de repartir de l’autre côté des Alpes.
CALCUTTA
RELAX
(BOMBA DISCHI / SONY MUSIC) – 20/10/2023
En deux albums, Mainstream (2015) et Evergreen (2018), il a tout changé en Italie. «Il y a un avant et un après Calcutta», nous expliquait Chiara Gallerani, project manager chez Italian Music Export (voir notre article «Immensità» publié dans le Magic n°223). Edoardo D’Erme a fait tomber les frontières entre l’indé, l’underground et le mainstream. C’est lui qui a montré à toute une nouvelle génération qu’il était possible de faire une musique italienne sincère, exigeante, populaire et en chantant dans sa langue maternelle. Calcutta est à l’origine de cet emballement, de cette explosion de nouveaux groupes et artistes de l’autre côté des Alpes. Son statut de monument de la pop italienne est indiscutable.
Mais depuis cinq ans, le chanteur originaire de Latina, une ville à 70 km au sud de Rome, s’est fait discret, n’apparaissant qu’à de rares occasions, comme sur l’écriture du morceau MARE DI GUAI d’ARIETE. Alors quand son quatrième album RELAX a été annoncé, une excitation s’est faite sentir, tant son public attendait depuis longtemps le retour de cette voix grave, mélancolique, faussement nonchalante, vraiment charismatique.
Avec les onze titres de RELAX, le cantautore (mot qui regroupe les notions d’auteur, compositeur et interprète en italien) a mis l’accent sur la musicalité de ses chansons. En s’entourant (entre autres) de Giorgio Poi et du Français Myd à la production (Laurent Brancowitz de Phoenix est également crédité à la composition de Coro, la piste d’ouverture), les mélodies de Calcutta prennent une couleur nouvelle, une luminosité bienvenue. RELAX marque par son immédiateté, son travail sur des refrains toujours aussi efficaces (Giro con te, Controtempo) et une envie de mettre les synthés plus en avant que les guitares (merci Gaetano Scognamiglio). Plein d’influences se mélangent : Phoenix, McCartney, l’héritage de la musique italienne, la french touch… Stylistiquement très abouti, le disque ne souffre d’aucun faux pas. Mieux, il égrène quelques (déjà) classiques (2minuti) et de beaux moments d’émotions (Tutti, Allegria…). Avec RELAX, Calcutta solde son passé et livre un remarquable album de studio. Sans se renier, mais avec de nouvelles sonorités. Tout en gardant son style inimitable et cette beauté âpre.
SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE
COLAPESCE DIMARTINO
Lux Eterna Beach
(NUMERO UNO / RCA) – 03/11/2023
Lorenzo Urciullo (Colapesce) et Antonio Di Martino (Dimartino) sont, sans discussion possible, des artistes plus qu’importants dans l’histoire récente de la musique indépendante italienne. Le premier a sorti trois très bons albums entre 2012 et 2017, en particulier le dernier, Infedele. Le second est l’auteur de cinq disques avec son groupe Dimartino entre 2010 et 2019. Mais c’est bien en duo que les deux Siciliens ont obtenu un succès plus que mérité. En 2020, ils sortent le brillant I Mortali puis une réédition qui comporte le morceau Musica leggerissima qui enregistre quasiment 100 millions d’écoutes aujourd’hui sur YouTube. Après deux passages par le festival de Sanremo en 2021 et 2023, un film (La primavera della mia vita) et quelques singles, revoici Colapesce Dimartino avec un second album intitulé Lux Eterna Beach.
Si le précédent disque était une succession de tubes, de pépites pop d’une rare intelligence, ici le duo sublime sa collaboration et livre onze titres d’une grâce bouleversante. Tous les ingrédients des (très) grands albums sont présents : le côté immédiat avec des chansons fortes, mémorisables, attachantes (Sesso e architettura, Splash, Considera). D’autres encore plus profondes, qui se révèlent après plusieurs écoutes (Cose da pazzi). Des singles redoutables. Des moments de pure magnificence (Lux Eterna Beach). Des influences pas envahissantes (Radiohead sur La luce…, les Beatles sur Ragazzo di destra). Des mélodies intemporelles.
L’alchimie entre les deux artistes se perçoit encore plus que sur I Mortali. Colapesce et Dimartino développent leur obsession pour la métaphysique sans que ce soit pompeux. Laisse libre cours à leurs élans politiques, aussi. Ils ne s’interdisent rien, sans autocensure mais avec justesse et subtilité. Lux Eterna Beach possède aussi un côté très onirique qui fait travailler notre imaginaire et où les paysages, évidemment siciliens, se succèdent.
Si vous n’êtes pas (encore) familier avec la pop italienne, cet album peut être une magnifique porte d’entrée car Colapesce et Dimartino offrent de nouveaux espaces à leur musique et atteignent des sommets mélodiques qui laissent admiratifs. Les deux amis pourraient même s’autoriser d’arrêter ici leur collaboration pour retourner à leur carrière solo. Ce serait dommage. Mais comment aller au-delà d’une telle œuvre ?
SORTIE CD ET NUMÉRIQUE | VINYLE LE 24/11
ANDREA LASZLO DE SIMONE
Le Règne Animal (Original Motion Picture Soundtrack)
(HAMBURGER RECORDS / EKLEROSCHOCK RECORDS) – 03/10/2023
En France, Andrea Laszlo De Simone n’est pas un inconnu dans le monde de la pop moderne. Son passage aux Trans Musicales en 2021 a été très remarqué. L’année d’avant, son EP Immensità avait subjugué la critique. Difficile de faire autrement tant toute l’histoire de la musique italienne (ancienne, présente et future) tient dans ces quatre titres où le Turinois étirait des symphonies sublimes et où son art de la mélodie grandiose sans être grandiloquente faisait merveille. Malheureusement, l’Italien est du genre discret, tout sauf hyperproductif. Il décide de sortir ses projets quand bon lui semble. C’est aussi ce qui fait son mystère, son charme.
Heureusement, le revoici dans un nouveau rôle en cette fin 2023. Laszlo De Simone a composé la bande originale d’un des succès les plus inattendus du cinéma français : Le Règne Animal de Thomas Cailley. Que ce soit avant ou après avoir vu le (très bon) long-métrage, sa musique nous émeut toujours autant. Avant, elle intrigue, fait travailler notre imaginaire. Le style du compositeur est bien présent dans ce lyrisme si maîtrisé. Après, elle prend tout son sens. Il n’impose pas ici sa musique ou sa vision. Elles se mêlent aux images, au message du film. Elles accompagnent le scénario avec un grand respect, une grande humilité, tout en proposant des compositions vraiment magnifiques et intenses (Devant toi, Amour et Guerre – Part 2). Cet exercice peut ouvrir de nouvelles perspectives musicales à Andrea Laszlo De Simone. À vrai dire, elles s’entendent déjà sur Il Regno Animale, la seule piste où il chante avec une gravité nouvelle. L’Italien a encore montré tout son talent.
SORTIE NUMÉRIQUE
ARIETE
LA NOTTE
(BOMBA DISCHI / UNIVERSAL MUSIC) – 21/09/2023
Arianna Del Giaccio est une figure majeure du renouveau de la scène pop italienne, et cela alors qu’elle n’a que 21 ans. Repérée par le génial label Bomba Dischi, elle avait sorti l’année dernière l’excellent SPECCHIO où elle impressionnait par le charisme de sa voix grave. Après des singles très convaincants, ARIETE s’affirme encore un peu plus sur LA NOTTE, tout en s’ouvrant à de nouvelles idées pour agrandir sa pop avec de nouvelles nuances. Il y a encore ici cette atmosphère mélancolique touchante, cette personnalité unique qui colle si bien à son époque. Mais l’Italienne propose des pistes avec davantage d’orchestrations, plus de couches d’instruments. C’est l’album d’une artiste qui prend de l’épaisseur, de plus en plus d’assurance, et multiplie les tubes organiques comme MARE DI GUAI, UN’ALTRA ORA, NULLA ou NOSTALGIA. Et par bonheur, elle possède toujours cette voix si pénétrante, prête à vous faire parcourir des frissons d’émotions à chaque instant. Ce second album confirme un succès de plus en plus grand en Italie. C’est mérité.
SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE
Et d’autres…
Comme autres sorties ces dernières semaines, il faut citer le LANGUORE d’Ibisco, compositeur venu de Bologne. Son électro teintée de new wave fonctionne tout aussi bien que sur son prédécesseur, NOWHERE EMILIA, sorti l’année dernière. Autre bonne surprise, l’EP ERA SPAZIALE du producteur Golden Years (Pietro Paroletti) qui a déjà collaboré avec des figures majeures comme Frah Quintale, PSICOLOGI, ARIETE ou Colombre. Bien accompagné (Giorgio Poi, Drast, Laila Al Habash, Franco126), le Romain, en seulement six titres, inscrit sa musique dans une modernité passionnante et à suivre de près. Dans un registre plus jazzy, l’EP Maledetta Quella Notte d’Il Mago Del Gelato est à découvrir. Entre funk et afrobeat, le quatuor mêle des accents méditerranéens et l’élégance milanaise dans des sonorités joyeusement foutraques. Enfin, ce n’est pas un album, mais les guitares – et surtout les synthés ici – de Marco Castello sont de retour avec un excellent single intitulé Dracme. Signe que la vitalité de la scène italienne semble encore loin de se tarir.