Feuilletonné en chapitres depuis plusieurs mois, le huitième album de Beach House n'en reste pas moins enveloppé d'un doux mystère.
Cette chronique, parue dans notre hebdo pop moderne n°6, est exceptionnellement disponible en accès gratuit et pour une durée limitée.
C’est ce qui s’appelle soigner son retour. Non content d’annoncer, quatre ans après le précédent, un plantureux nouvel album (double), Beach House a décidé, tel un auteur du XIXe feuilletonnant dans les journaux, de le dévoiler par épisodes, un par mois depuis novembre sur les plateformes. Quatre «chapitres» – terme choisi à dessein – accompagnés de vidéos en forme de clips minimalistes. Tel un karaoké arty, elles mettent en scène les mots scandés par Victoria Legrand, qui défilent sous nos yeux comme autant de formules magiques évanescentes, hypnotiques. Souvent, les doubles albums sont l’occasion pour les artistes de laisser respirer leur musique en se permettant, par exemple, des morceaux instrumentaux pour faire des transitions. Once Twice Melody n’est au contraire que mélodies chantées. La voix de Victoria Legrand y prend une part plus importante que jamais. Toujours délicieusement voilée, elle dévoile une poésie certes perchée (beaucoup de “dream”, “sky” et “sun” dans les paroles) mais jamais fumeuse. “Just one key ties everything” («Une seule clé relie tout»), chante la nièce de Michel Legrand dans le splendide Sunset, et on la suit les yeux fermés.
De tous les albums de Beach House, ce huitième n’est pas le meilleur (l’indépassable Teen Dream, paru en 2010, reste indépassé) mais sans doute le plus mystérieux – et donc addictif. Assurant pour la première fois la production eux-mêmes, Legrand et Alex Scally ont décidé de varier les atmosphères, ce qui, couplé au format hors-norme du disque (18 titres, 84 minutes), offre un voyage aux paysages et possibilités d’aventures infinis, dont on sait déjà – et redoute – qu’il ne nous en restera qu’un souvenir flou au réveil, comme au sortir d’un rêve. Ce doux périple est ponctué d’escales dans des contrées extraordinaires (les constructions à tiroirs de Once Twice Melody et Pink Funeral, où synthés typiques du duo et cordes inédites, arrangées par le ponte David Campbell, font bon ménage), mais aussi d’échappées poppy jamais entrevues chez Beach House (Superstar et Only You Know, carrées et rondes à la fois comme du Grandaddy) et de curiosités électro à la limite du kitsch, mais toujours sauvées par un pont ou un final génial (Runaway et son vocoder french touch, Masquerade et ses gongs synthétiques new age). Mais c’est quand il se défait de ses apparats que l’album reste le plus touchant. Sur les pastoraux – quelque chose de Bach dans ces (Once Twice) mélodies qui semblent couler de source – Sunset, Many Nights et Illusion of Forever, Beach House pousse sa science du rêve jusqu’à nous faire croire à la possibilité d’un au-delà.
SORTIE DOUBLE CD, DOUBLE VINYLE, DOUBLE CASSETTE ET NUMÉRIQUE LE 18/02/2022