You Belong There
Daniel Rossen
Warp Records

Chronique : Daniel Rossen, le grand jeu en solitaire

À l'occasion du concert parisien de Daniel Rossen le 14 mai au Café de la Danse, Magic vous offre la chronique de "You Belong There", sa première et splendide échappée extra-Grizzly Bear.

Cette chronique est issue de notre hebdo n°12, daté du 8 avril 2022.

Daniel Rossen avait jusqu’ici mené ses escapades en dehors de Grizzly Bear comme on trempe les mollets dans l’eau d’une mer d’automne. Un maxi en 2012, un single lors du Record Store Day 2018. Le dernier arrivé du quatuor n’avait jamais plongé dans le grand bain, malgré les longues plages de disponibilité entre les albums du Grizzly (deux LP seulement ces dix dernières années : Shields en 2012, Painted Ruins en 2017). You Belong There, son premier long-format abouti, composé de dix inédits sur lesquels il a joué seul de quasiment tous les instruments, tombe au meilleur moment pour les admirateurs de Grizzly Bear. D’abord car retrouver cette voix familière fait du bien au moment où l’avenir du groupe est pour le moins compromis, en tout cas dans la formule Ed Droste / Chris Taylor / Christopher Bear / Daniel Rossen, celle qui a enchaîné quatre albums sans faute depuis Yellow House en 2006. Ed Droste, le fondateur, a annoncé arrêter la musique en 2020 pour devenir thérapeute. Ensuite car ce que révèle You Belong There, c’est l’influence manifestement fondamentale de Rossen dans le songwriting du groupe et son lyrisme rêche impossible à copier. Il manque à l’album la production de Chris Taylor, bassiste-réalisateur à qui le Bear doit la densité et l’accroche de ses sonorités. Pour le reste, l’album de Daniel Rossen nous prive quasiment des surprises que peuvent receler les disques solo de membres de grands groupes, cette idée que l’œuvre nouvelle va nous renseigner sur le jardin secret du musicien infidèle ou ses obsessions gardées jusqu’ici sous cloche. Les lignes mélodiques, les rythmiques en dentelle, les accords de guitare gris clair, les changements d’univers permanents, tout l’ADN de Grizzly Bear se trouve là.

Avant même sa qualité intrinsèque, ce disque est un document en forme de certificat d’authenticité sur l’apport énorme de Daniel Rossen à l’œuvre de Grizzly Bear. Prenez Unpeopled Space, I’ll Wait for Your Visit, Keeper and Kin, ou The Last One, et vous pourriez le présenter comme un inédit du quatuor à n’importe quelle oreille entraînée. La participation du batteur Christopher Bear à quelques morceaux cultive ces signes de ressemblance. Reste que le travail de Rossen se pose comme l’exact contraire des deux autres échappées solitaires d’autres membres du quatuor, Chris Taylor qui avait commis un Dreams Come True synthétique et contemplatif sous l’étiquette CANT en 2011, et Christopher Bear qui avait fait paraître des Fool’s Harp Vol. 1 d’influence minimaliste en 2020. De Chris Taylor, il manque aussi les lignes de basses vrombissantes : Rossen a appris à jouer de plusieurs instruments dans sa maison isolée située dans le désert jouxtant Santa Fe au Nouveau-Mexique, et la contrebasse est, à l’écoute, le plus important de tous. Une fois replongé dans ces chansons au parfum si familier, l’auditeur pourra s’approprier des nuances : quelque influence hispanique proche des arpèges de Matt Elliott, des bois et des cuivres préférés aux synthés pour soutenir les accords, quelques passages a-rythmiques proches du post-rock. Dix-sept ans après l’arrivée de Rossen dans le groupe avec quelques chansons en poche, on comprend pourquoi Ed Droste dit avoir eu la certitude d’avoir achevé la constitution de l’entité Grizzly Bear à l’époque. Il ne serait pas fou que ce disque solo autorise sa mise à mort.

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE LE 08/04/2022

A découvrir aussi