Avec "Once Beautiful Twice Removed", Elysian Fields fait paraître un album pour road trip. Un disque en mouvement, invitation à faire défiler l'éphémère et à s'oublier dans l'immensité.
Retrouver l’univers d’Elysian Fields, c’est l’assurance de connaître et de vivre le moment présent dans sa plus lumineuse clarté, de ne faire qu’un avec l’heure exquise, exquise car ne se refusant jamais à la sensualité, au mystère mais aussi à l’élégance. Les chansons de Jennifer Charles et Oren Bloedow jouent toujours avec l’espace et l’expérience. Après le conceptuel et très réussi Transience of Life en 2020, Elysian Fields revient avec un disque beaucoup plus spontané, né du traumatisme lié aux confinements que nous avons subis ces dernières années. De cette ambiance anxiogène, le duo américain a souhaité prendre le contrepied. Pour se libérer de cette angoisse sourde, Elysian Fields a pris la tangente et nous invite dans ce disque – qui peut sembler de prime abord presque anecdotique – à prendre la route. Once Beautiful Twice Removed a véritablement été conçu comme un disque qui doit s’écouter en voiture avec ces paysages qui défilent dans une monotonie généreuse, dans une langueur qui avale les kilomètres, dans une certaine tendresse. On entre dans ces chansons comme on se love sous des draps dans un lit douillet. La voix mutine et amie de Jennifer Charles s’évapore dans l’instant, elle n’est jamais distante ou inatteignable. Elle nous conforte et nous réconforte, elle nous rappelle l’ivresse du voyage et de la découverte.
Toutefois, rien n’est jamais si simple avec Elysian Fields. Derrière cette façade de café isolé à la porte du désert se cachent (mal) des histoires de personnes cabossées, d’estropiés de l’âme et du cœur. Car voyager c’est se dépayser, c’est perdre de vue l’angle connu de notre quotidien, c’est se décentrer pour mieux se retrouver au cœur du paysage. Observer une route qui défile, kilomètre après kilomètre, c’est se confronter à soi, s’entendre dans le silence du moteur qui s’irrite, le radiateur qui s’essouffle, les freins qui s’épuisent. C’est s’arrêter dans un petit motel, c’est être ce visiteur, ce John J. Macreedy qui s’arrête dans cette bourgade perdue au milieu de nulle part dans Un homme est passé, ce film de John Sturges de 1955 avec Spencer Tracy. C’est croiser ces silhouettes que jamais l’on ne rencontrera, ces vies que jamais l’on ne connaîtra, qui jamais ne feront partie des nôtres. C’est l’appel de la route qui nous saisit, celui d’une fuite, en avant ou en arrière, à dire vrai on ne le saura jamais et cela importe peu. Ce qui prime c’est le mouvement. Le mouvement, le voyage chez Elysian Fields, c’est une invitation à s’oublier, à diluer ce que l’on est pour ne plus faire qu’un avec le paysage que l’on traverse. C’est ouvrir tous ses pores aux vies que l’on croise, à ces ballades de café tristes comme échappées d’un roman de Carson McCullers, aussitôt entendues et aussitôt remplacées par d’autres ballades de café tristes. Rien que le titre de chacun des morceaux de Once Beautiful Twice Removed est en soi comme un indice, un résumé des parfums que diffuse la musique d’Elysian Fields. Cela peut paraître simple voire simpliste mais les deux Américains veulent esquisser des visions claires sans approximation, que ce soit sur Crows Over Cornfields, Gone South ou Alone in the Desert. Elysian Fields décrit l’immensité comme le plus intime, l’absolu comme l’infime, le familier comme l’incertain.
SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE LE 04/10/2022