GNX
Kendrick Lamar
pgLang / Interscope Records

Chronique : Kendrick Lamar, les moissons du fiel

Point d’exclamation surprise au bout de l’année 2024 de Kendrick Lamar, "GNX" a beaucoup à voir avec sa série de diss tracks anti-Drake. L’humeur, les muscles, l'absence de double-fond. Et l’insolence, forcément.

On est le premier lundi de décembre. Ça fait dix jours que GNX est sorti, et presque une semaine qu’on le laisse reposer. L’explication est simple. Comme ça coinçait un peu, on a cru bien faire en réappuyant sans arrêt sur play. Erreur. Marche forcée. Bourrage de crâne. Peur d’être à côté de ce qui compte, de perdre Kendrick sur un malentendu, de se fâcher avec les copains qui étaient plus emballés. On a préféré tout couper. Des fois qu’on se serait laissé étourdir par le chaud-froid de cette sortie surprise…

On veut parler du coup de chaud du vendredi 18 heures, quand on a compris que Kendrick Lamar venait d’uploader un album entier – quelques minutes seulement après avoir dévoilé la pochette et un teaser vidéo. De la flambée d’enthousiasme qui a suivi, tout excité qu’on était de le découvrir méchant, droit au but et brut de prod, rappelant notamment près de lui DJ Mustard, déjà aux manettes de Not Like Us, le tube monté sur suspensions qui roule sur Drake depuis le printemps. Et puis il y a eu la clim du lendemain, quand on a capté que c’était tout ce que GNX avait à offrir. Décharges d’émotions faciles, drops de mic, beats protéinés et revue du patrimoine rap/R’n’B de L.A. en empruntant les grands boulevards. On n’était pas habitué. Et c’est comme ça qu’on s’est buté à vouloir lui trouver des passages secrets, une architectonique éclairée et de quoi se creuser la tête. Que des mauvaises idées.

Au moment de retrouver le disque aujourd’hui, on réalise qu’on lui a opposé de la résistance au mépris de notre propre avis. Après tout, on envisageait très bien il y a deux ans que Mr. Morale & the Big Steppers puisse acter la fin d’un cycle artistique, personnel et quasi romanesque chez Kendrick Lamar. Fin octobre, on ne s’étonnait pas non plus de lire en exergue d’une interview parue dans Harper’s BAZAAR que «la musique n’était que le point de départ, pas une fin en soi». Et ce n’est pas comme si l’abondance (formelle, réflexive) de son cinquième album avait été entretenue jusqu’ici : The Hillbillies, single de 2023 en duo avec son cousin Baby Keem, était fun et sans embarras ; sa récente série de diss tracks à destination de Drake, titulaire d’une formule simple et efficace. Peut-être faut-il comprendre qu’on espérait secrètement autre chose au format LP. Ça aurait été dommage, on se serait privé d’un sacré disque de rap.

Disque de rap pur, pas bien épais (45 minutes), tout en samples ou presque, monomaniaque ou pas loin, auquel le beef avec Drake a probablement donné la meilleure raison d’exister. Ça, on aurait pu l’écrire à regret il y a une semaine. La différence c’est qu’on l’écrit maintenant avec la hauteur qui nous manquait, et qu’on se réjouit que la musique de Kendrick Lamar admette une nouvelle entrée. Par les grands boulevards, disait-on. Ça file tout droit, c’est un peu plus fléché, ça parade beaucoup, et c’est même l’occasion de faire monter à bord Jack Antonoff, producteur propret des blockbusters de Lana Del Rey, Taylor Swift ou St. Vincent. GNX (du nom d’une muscle car de 1987, la Buick Grand National Experimental) le mobilise aux côtés de l’inamovible Sounwave pour des revêtements sonores nets et dégagés. Du billard pour le flow du rappeur de Compton qui ne se fait plus entendre tout à fait comme avant. Humble ou ensommeillé quand il se laisse enlacer par la voix de SZA. Mâchant ses couplets comme le ferait une petite crapule de cartoon quand il porte ses coups. Toujours insolent quand il s’agit de faire claquer ses fins de phrases pour chasser les mouches.

C’est l’avantage d’un album de Kendrick Lamar où la matière à réflexion est disponible en quantité plus limitée : on s’y livre volontiers à des plaisirs simples. Acquiescer, viber, s’enivrer, fondre ou hurler, au hasard : “MUSTAAAAAAAAAARD!”, forcé de l’imiter au moment où détone tv off, amusante copie non-conforme de Not Like Us dont les paroles invitent tout un chacun à se détacher du troupeau et faire le job soi-même. Le thème récurrent de la figure d’exception – c’est de lui qu’il parle en général – pointe dès le premier titre, un wacced out murals tamponné de reproches à ses idoles de jeunesse Snoop Dogg et Lil Wayne, de pep talk à lui-même et de grosses basses modèles de persécution. Oui, monsieur est un peu soupe au lait et cela nous vaut d’en prendre plein la tête sur des charges hyphy (squabble up), G-funk acide (le rampant hey now) ou West Coast à valeur symbolique lorsqu’il décalque la boucle de piano du Made Niggaz de 2Pac et Outlawz pour conter des vies antérieures (reincarnated). Heureusement pour lui, descendre quelques blocs dans sa ville (dodger blue) et faire remonter de vieux souvenirs (ceux de son collectif Black Hippy sur heart pt. 6) l’incitent aussi à la détente. Heureusement pour tout le monde, luther et gloria, ses deux duos avec SZA, liquéfient tous ceux qu’ils touchent. Kendrick le premier, qui renonce ici à employer sa force de dissuasion. Et nous avec, bien évidemment. S’il nous était resté la moindre critique à adresser à GNX au moment de le quitter sur les cordes nylon de gloria, à tous les coups on l’aurait bafouillée.

SORTIE NUMÉRIQUE | CD, VINYLE ET CASSETTE LE 28/02/2025

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