L'Homme à tête de chou (Mix 2023)
Serge Gainsbourg
Mercury / Universal Music

Chronique : L’homme à tête de chou, toucher à La Joconde

Pourquoi repeindre sur La Joconde ? Parce qu’au XXIe siècle, l’on fait vernis exceptionnels, qui préservent les textures et les couleurs originales et leur donnent encore plus d’éclat.

Ça, c’est l’histoire d’un remix qui est peut-être le plus spectaculaire qu’on ait jamais vu. Avant de disparaître en 2018, l’ingénieur du son des Beatles Geoff Emerick avait accordé un de ses derniers entretiens à Magic. L’Anglais y avait, de façon mémorable, exprimé une défiance envers toutes les entreprises de révision de l’équilibre entre les sons gravés à la sortie d’un album, en posant cette question métaphysique au sujet de Sgt. Pepper : pourquoi repeindre par-dessus La Joconde ?

À cette question, qu’ils ont vue venir de loin, les ingés son Christophe Geudin et Sébastien Merlet apportent la réponse dans leur note d’intention de cette nouvelle édition de L’Homme à tête de chou (1976) de Serge Gainsbourg, justifiée par un remix total. Inspiré d’une sculpture de Claude Lalanne, représentée sur la pochette, L’Homme à tête de chou est le dernier grand album de la carrière de l’auteur de La Javanaise. Il est le frère cadet de Histoire de Melody Nelson (1971) au rayon des albums-concepts ayant aussi affreusement mal vieilli sur leur expression verbale qu’ils ont vu leur aura croître pour leur partie strictement instrumentale. Histoire de Melody Nelson racontait le détournement d’une adolescente «de quatorze automnes et quinze étés» après un accident de vélo. L’Homme à tête de chou n’est ni plus ni moins que le récit d’un féminicide ultraviolent sur fond de jalousie affective et d’obsession sexuelle. Beaucoup de littérature reste probablement à écrire sur la recevabilité de tels récits en 2023, même s’ils renferment leur lot de vers sublimissimes, mais ce n’est pas le propos de cette sortie qui nous tire explicitement l’oreille vers la couleur musicale de l’œuvre.

Pourquoi repeindre sur La Joconde, disions-nous ? Parce qu’au XXIe siècle, l’on fait vernis exceptionnels, qui préservent les textures et les couleurs originales et leur donnent encore plus d’éclat, répondent en substance Geudin et Merlet. En 1976, pour que soit audible le récit érotomane, poétique et glaçant de Gainsbourg, qui généraliserait désormais le talkover en lieu et place du chant jusqu’à sa mort, il n’y avait pas d’autre choix que de compresser la fresque du guitariste et directeur musical Alan Hawkshaw. Le numérique offre désormais la possibilité de «tailler à la brindille» l’équilibre entre toutes les prises originales de guitares, de piano, de Rhodes, de basses et de percussions, sans attenter à la clarté de la voix. Dès les premiers accords, les premières nappes de synthé, les premiers coups de cymbale, L’Homme à tête de chou troque son noir et blanc profond pour une image en couleurs à la résolution 4K. Et pour les auditrices et auditeurs dégoûtés par l’histoire, un deuxième disque propose des versions instrumentales longues qui confirment post-mortem que l’un des grands talents de Gainsbourg était de savoir s’entourer.

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