"Archive Material" de Silverbacks est l'album de la semaine du 21 janvier 2022 par Magic RPM. Parmi les nombreux atouts des Irlandais : "un art total pour composer des refrains instantanément marquants"...
L’Irlande, un peu plus de 5 millions d’habitants rassemblés sur 70 273 kilomètres carrés (l’équivalent de la région Auvergne‑Rhône‑Alpes), mais une empreinte énorme dans le monde de la musique. My Bloody Valentine, Thin Lizzy, Rory Gallagher, Sinead O’Connor, U2… et tant d’autres. Osons une comparaison footballistique : l’île d’Émeraude serait à la pop et au rock ce que l’Uruguay est au football. Un vivier incroyable de talents, malgré un territoire modeste, capable de se renouveler sans cesse.
Le présent le prouve avec des groupes, tous originaires de la capitale Dublin, comme The Murder Capital, Girl Band, le phénomène Fontaines D.C.. Mais aussi Silverbacks.
Nous sommes en 2018. Après un premier single autoproduit et remarqué, Just for a Better View en 2017, la formation réunie autour des frères O’Kelly, Daniel et Kilian (guitaristes et chanteurs, actifs ensemble depuis 2008), accompagnée par Emma Hanlon (voix et basse), Peadar Kearney (guitare) et Gary Wickham (batterie et percussions) sort le single Dunkirk, le premier du groupe produit par Daniel Fox de Girl Band. Basse hypnotique, guitares frénétiques, chant cynique, refrain magnétique. C’est un succès immédiat. Le groupe tourne deux ans et son premier album suscite l’intérêt de plusieurs écuries indie. Attendu pour novembre 2019, repoussé en mars 2020, Fad subit, comme tant d’autres, la crise sanitaire. Il reste dans les cartons jusqu’en juillet. À sa sortie, la critique acclame ces treize titres urgents qui vont de l’art-rock et du punk de la fin des années 1970 à l’indie des années 1990 en passant par le revival rock du début des années 2000. Testées et retestées en live, les pistes sentent la moiteur des fosses déchaînées.
Pour leur deuxième disque, Covid et restrictions obligent, les Irlandais n’auront pas ce luxe. Tout viendra du studio. Fatalement, la production d’Archive Material s’en ressent. Les douze morceaux subliment le savoir-faire mélodique des O’Kelly et modernisent tout un pan de l’histoire de la pop indé. Grâce à ses guitares intemporelles, Silverbacks aurait pu naître dans n’importe quelle décennie, des seventies à nos jours, et rameuter autour de lui une armée de fanatiques. Les couches de six-cordes font indéniablement penser à Television (A Job Worth Something, Econymo) mais dans les accords et les structures, impossible de ne pas entendre les Talking Heads (They Were Never Our People), le Gang of Four, The Fall, mais aussi les Strokes ou le LCD Soundsystem des débuts.
Si les références sont nobles et la comparaison avec ces monuments plus que méritée (et par ailleurs assumée), les Irlandais possèdent toutefois leurs propres atouts. D’abord, un art total pour composer des refrains instantanément marquants. La recette : des paroles simples et directement mémorisables, scandées par les différents chanteurs avec une conviction contagieuse (Recycle Culture, Rolodex City). Autre qualité : la capacité d’Archive Material à être en phase avec son époque. Enregistré pendant la pandémie, l’album parvient à saisir ce sentiment d’inquiétude et le côté monocorde qui s’est adossé à nos vies depuis maintenant deux ans. Cette retranscription parfaite vient de l’habileté de Daniel O’Kelly à réécrire les petites et grandes interrogations du quotidien, sans pathos, mais surtout avec beaucoup d’humour noir et d’ironie (Different Kind of Holiday). «J’aime penser que, dans trente ans, les jeunes groupes parleront de la façon dont ils ont été influencés par les Silverbacks», espérait récemment Kilian O’Kelly dans une interview accordée à Upset Magazine. Archive Material est de ce bois-là. Comme tant d’autres fameux Irlandais avant eux.
SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE LE 21/01/2022