En deux disques, le groupe américain Cigarette after Sex s’est assuré une renommée planétaire. Avec une recette immuable : voix androgyne et musique sensuelle. Sa prochaine tournée passera par tous les continents. En France, l’Accor Arena de Paris et la halle Tony Garnier à Lyon, où il se produira en novembre, affichent complet depuis longtemps.
Le groupe au nom accrocheur – « Une habitude d’une ancienne petite amie qui aimait
fumer après l’amour » – séduit un très large public, des ados branchés sur TikTok aux
quadras fans de rock indé en passant par les métalleux en quête de douceur. Un succès qui
surprend toujours Greg Gonzalez, le leader et cerveau du trio. Il nous raconte, depuis Los
Angeles, la genèse et l’histoire de X’s, mais aussi sa relation particulière avec Françoise
Hardy.
Cela fait cinq ans que Cry était sorti. Avec Cigarettes after Sex, vous avez toujours aimé prendre
votre temps mais pourquoi avoir attendu si longtemps pour ce troisième album ?
C’est vrai qu’il n’y avait eu que deux ans entre notre premier LP et Cry. Cela m’a pris plus de temps à écrire ce disque parce que je voulais qu’il rassemble un long chapitre de ma vie. J’ai senti il y a trois ans que j’étais prêt à écrire. En fait, ce disque raconte une relation du début à la fin, il est très autobiographique et personnel. J’ai senti qu’il fallait que j’écrive sur ce sujet. J’ai commencé l’écriture en 2020 juste après avoir déménagé de New York à Los Angeles avec Hot et Tana Blue. On a commencé avec le groupe a enregistré à la fin 2020 mais nous n’avions pas assez de chansons. Ça a mis un peu de temps à se mettre en place et finalement on a bouclé l’enregistrement l’été dernier.
Et cela n’a pas été compliqué d’écrire tout un album autour d’une seule et même relation ?
Mes chansons ont toujours été comme des carnets intimes. Avant j’évoquais différentes relations, là j’ai choisi des personnages récurrents. Enfin, une romance récurrente serait une expression plus juste. Disons que cela a été la relation la plus, comment dire… Celle qui m’a le plus submergé depuis que le groupe existe. C’était très intense, très passionné. J’avais envie d’écrire sur elle, cela semblait une évidence. Nous nous sommes rencontrés à New York, nous avons habité ensemble, nous avons aussi eu une relation à distance un temps, on se retrouvait dans différents endroits. Ecrire ces chansons, c’était une manière de documenter nos escapades. De raconter avec plus d’honnêteté possible ce que j’ai vécu ces quatre dernières années.
Vous pensez que la personne au cœur de ce disque l’écoutera ?
Je ne pense pas. Je lui avais fait écouté Tejano Blues et elle l’avait beaucoup aimé. Mais, vous savez, cela dépend des relations. Dans certaines, quand elles se finissent, vous parvenez à rester amis, vous garder le contact, votre ex rencontre un nouveau petit ami et vous en parlez… J’ai beaucoup d’amis qui sont comme ça. Et puis il y a ceux qui préfèrent à la fin d’une relation prendre des chemins séparés et ne plus se revoir. Elle est plus dans cette catégorie. Cela ne me pose pas de souci. Moi, je préfère garder le contact parce que quand j’aime quelqu’un, c’est aussi ma meilleure amie. Et c’est dommage de perdre tout ça d’un coup. Mais elle a préféré couper les ponts, donc je doute qu’elle écoute le disque. Peut-être un jour…
On ne sent aucune acrimonie, aucune colère dans vos chansons…
Ce n’est pas vraiment mon style. Je ne veux pas paraître vindicatif ou amer. Quand on aime vraiment, il y a toujours des désagréments, des choses douloureuses, des désaccords. Mais ce qui me reste en général, ce sont surtout les très beaux souvenirs de ce que j’ai partagés avec quelqu’un. J’écris mes chansons en me concentrant sur ces souvenirs, des moments doux qui sont maintenant dans le passé. Cela peut être éprouvant d’y repenser. Il y a de la tristesse dans tout cela mais c’est aussi ce qui provoque des émotions…
Vos disques en sont remplis. Comment voyez-vous votre musique ? Comme quelque chose qui
rend triste, joyeux, qui apaise ? Comme une étreinte sans fin ?
Ma musique, je la vois douce, délicate. Pour moi – ça va paraître prétentieux, tant pis -, elle sonne comme un grand feu de camp sur une plage à minuit, comme le vent qui traverse les arbres. Quelque chose qui nous ramène aux éléments, à la nature. Mais j’aime bien votre image d’une étreinte infinie. Vous êtes avec quelqu’un, vous vous serrez contre lui, vous vous parlez en chuchotant. Mes chansons essaient de capturer ces émotions véritables. J’ai beaucoup de mal à mentir en amour, j’ai besoin de le ressentir profondément dans mon corps et mon esprit. Ça fait un bon résumé : il y a les vagues, un feu sur la plage, le sable et vous serrez quelqu’un contre vous en chuchotant à son oreille.
Où avez-vous enregistré les chansons de X’s ?
J’ai essayé dans différents endroits de Los Angeles pour finalement finir dans la maison où j’habitais, près du Hollywood Bowl, dans le quartier d’Hollywood. On transformé une petite chambre à coucher en studio de musique et on s’est entassé là-dedans. Le premier disque, c’était New York, Brooklyn, le deuxième l’Amérique et l’Espagne. Là, c’est vraiment le disque de Los Angeles.
Des changements qui n’affectent pas le son de Cigarettes after Sex. Pourquoi n’a-t-il pas bougé
depuis vos débuts ?
Et pourtant, même si ça reste subtil, je trouve que notre son a changé. Je compose la plupart des chansons à la guitare et là, pour la première fois, j’ai utilisé des cordes en nylon, que l’on retrouve plus souvent dans la musique classique. Chez Leonard Cohen aussi, qui est une des grandes influences. Je pense que cela change la tonalité des chansons. Et je trouve qu’il y a un peu plus de groove dans la batterie, un son plus années 1970. Mais il faut garder une cohérence au son de Cigarettes after Sex. Je n’ai pas envie de tout bouleverser, juste d’apporter des petites variations qui ne sautent pas forcément aux oreilles dès le départ. Il faut un peu creuser pour les sentir.
Est-ce que vous considérez Cigarettes after Sex comme un groupe à part entière ?
Oui, même si j’écris les chansons, même si je choisis les illustrations, les photographies. La plupart des idées viennent de moi mais c’est le groupe qui leur donne vie et qui joue cette musique de la manière plus puissant possible. Le line-up n’a pas changé depuis les débuts, avec Jacob Tomsky à la batterie et Randal Miller à la basse. Ce sont eux qui rendent réelles la musique qui j’imagine dans ma tête. Nous avons aussi sur le disque un claviériste, Jeff Kite. Il a remplacé Phil Thomas qui a quitté le groupe en 2019. Il détestait les tournées, et comme nous avons commencé à faire des concerts à travers le monde entier…
Comment justement appréhendez-vous le fait de jouer désormais dans des salles immenses ?
Votre musique est plutôt intimiste. Cela ne pose pas de souci ?
Dans ma tête, j’écris avant tout des chansons pop, je les imagine même toutes comme des hits, des chansons d’amour grand public. Et jouer ce genre de musique n’a jamais empêché d’attirer les foules. On ne joue pas du rock de stade comme Metallica ou des groupes comme ça, c’est certain. Mais il y a suffisamment d’espace dans notre musique et des mélodies assez fortes pour remplir de grands espaces. Et puis ces chansons trouvent un écho dans la vie des gens. Elles ont aussi un peu cette odeur de sexe, drogue et rock’n’roll que dégageait des groupes que j’adore, comme The Doors. Derrière la romance, il y a aussi un côté gothique, noir et mystérieux. Même si nos compositions restent par essence de douces chansons d’amour.
Parmi vos influences, vous évoquez régulièrement Françoise Hardy. Je suppose que sa disparition
vous a affecté…
Absolument. Françoise Hardy a été la plus grande influence de ma musique. Quand j’ai entendu pour la première fois La Question, ce devait être autour de 2008, cela m’a totalement bouleversé. J’ai eu l’impression que quelqu’un s’était introduit dans ma cage thoracique et avait saisi mon cœur, c’était vraiment très intense. Je me suis dit : « C’est comme ça que je veux sonner. Comment faire une musique qui me fasse sentir la même chose ? » Et puis, quelques années plus tard, il s’est passé quelque chose d’incroyable. Cigarettes after Sex avait décollé, nous avions sorti notre premier album et je reçois un e-mail d’Étienne Daho qui me disait : « Je suis un grand ami de François Hardy, elle est très fan de votre musique. » C’était tellement incroyable, je ne savais pas quoi penser.
Vous avez pu la rencontrer ?
Oui, avec le groupe, nous avons pu ensuite dîner avec elle. Elle était incroyable. Elle m’a offert deux CD que je chéris plus que tout aujourd’hui. Sur l’un, qu’elle m’avait dédicacé, il y avait ses chansons préférées de son propre répertoire. Et sur l’autre les chansons qu’elle préférait d’autres artistes. Nous n’avons jamais rompu le contact ensuite. Chaque fois que je venais à Paris, j’essayais de la voir même si c’était compliqué ces derniers temps, sa santé déclinait. Mais nous avons toujours correspondu par e-mail. Je lui souhaitais son anniversaire tous les ans. Elle me parlait des artistes qu’elle aimait, de son fils… De sa mauvaise santé aussi. Elle me disait toujours que ses jours étaient comptés. Sa mort ne m’a pas surpris mais cela a été douloureux. Comme je vous le disais, c’était ma plus grande influence musicale. Je pleurerai toujours sa disparition.