Comment David Bowie a transformé Donny McCaslin

Il y a tout juste trois ans, David Bowie s’éteignait à l’âge de 69 ans, deux jours seulement après la sortie de sa toute dernière oeuvre Blackstar. Le jazzman et saxophoniste Donny McCaslin, 52 ans, a été présent à ses côtés durant l’enregistrement de cet album. Totalement transformé par cette expérience, le Californien s’est métamorphosé sur son dernier album, Blow sorti en octobre dernier chez Motéma Music, en s’affranchissant des styles et en proposant une oeuvre où le chant prend une importance majeure.

 

Comment s’est déroulé l’enregistrement de Blackstar ? En quoi travailler avec David Bowie a changé ta manière de faire de la musique ?

J’étais très excité d’avoir la possibilité de faire quelque chose de si différent par rapport à mes habitudes. David m’a d’abord envoyé une musique pour me préparer, apprendre et j’étais surexcité. Je pouvais entendre ma voix, la sienne, mon groupe et lui jouer ensemble. A ce moment-là, j’ai commencé à voir comment je pouvais orchestrer les choses. C’était très amusant. Quand nous avons commencé à enregistrer, il m’a demandé de jouer comme mon oreille me l’indiquait. Il était très ouvert à toute idée. Il nous inspirait tous et nous l’inspirions aussi. Cela n’aurait pas pu être un environnement plus créatif et plus efficace. David était également très présent. Lorsque nous travaillions ensemble, il était incroyable, fin et généreux. Chaque jour, j’allais au studio et je me disais : “je n’arrive pas à croire à quel point ça se passe bien”. Il était si heureux du pouvoir de la musique. C’était vraiment génial de voir qui il était en tant qu’artiste. Il ne se souciait pas de ce qu’on allait dire sur sa musique et il n’avait pas peur de prendre des risques. C’est pour cette raison que j’ai voulu que mon futur album, Blow, soit un album sans appréhension. Cette expérience fut incroyable et m’a transformé. Il m’a fait évoluer en tant que musicien.

Qu’est-ce qui t’a le plus impressionné au cours de sa carrière ?

C’est sa capacité à évoluer et à changer. Je pense qu’il avait un point de vue tout à fait unique sur la musique et l’art. Il a eu le courage de continuer à se réinventer année après année, album après album.

As-tu écouté Blackstar depuis sa mort ?

Oui mais épisodiquement. Ça suscite chez moi tellement de sentiments. Quand je l’écoute, il y a énormément de souvenirs qui me rappellent David, l’homme qu’il a été pour moi. C’était un événement tellement énorme dans ma vie… (silence)

Tu as dit “avant de travailler avec David Bowie, un album comme Blow ne me semblait pas envisageable”. Qu’est-ce qui différencie cet album de tes autres expériences solos ?

Ce qui était très différent, c’était de collaborer avec les différents chanteurs et paroliers, et de combiner leurs idées et les miennes. C’était un processus très différent. Nous avons également enregistré pendant une période plus longue que d’habitude. Finalement, on s’est retrouvé avec beaucoup de chansons différentes et on a décidé de garder les meilleures. Enfin, les sons de saxophone sont totalement différents par rapport à mes derniers disques, la façon dont ils sont manipulés, chanson par chanson.

Pour toi, entrer en studio revient à explorer de “nouveaux territoires”, as-tu dit. Sur Blow, il y a très peu de pistes instrumentales et beaucoup de parties vocales. Associer du chant à ton saxophone a été pour toi un nouveau terrain de jeu pour ton imagination ?

Cela m’a pris du temps de le comprendre. Je savais que les voix allaient prendre une grande importance dans ce disque, mais je ne savais pas à quel point. Avec Steve Wall, mon producteur, on a commencé à travailler avec cette idée, à écouter des musiques différentes. Je recherchais des chansons qui pouvaient stimuler mon inconscient créatif. Et, petit à petit, j’ai su où je voulais aller et l’idée était vraiment de faire un album essentiellement vocal. A ce moment-là, j’ai réellement commencé à collaborer avec différents songwriters, ce qui m’a offert beaucoup de clarté sur mon projet. En fait, ça a démarré avec la chanson Club Kidd que j’ai écrite avec Ryan Dahle. La première chose qu’il m’a envoyée était le refrain. Quand j’ai entendu ça, j’ai senti que ça donnait vraiment le ton pour le reste de l’album.

Finalement, avec cette proéminence des voix, un son différent, des refrains bien identifiés, Blow sonne plus comme un disque de pop que de jazz.

Oui, mais je pense que c’est un album dur à catégoriser. Ce n’est pas un album de jazz. Mais, je suis en quelque sorte fatigué de penser en termes de style. Laisser la musique être ce qu’elle est, sans la qualifier, est quelque chose que David Bowie incarnait parfaitement et je suis d’accord avec lui. Blow est peut-être un album de art-rock, de rock alternatif, de pop… Je ne sais pas en fait. Et c’est peut-être la plus belle chose à son sujet.

Propos recueillis par Luc Magoutier
Photo : Jimmy Fontaine

Retrouvez la chronique de Blow dans notre numéro 212 

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