My Bloody Valentine Olympia 92
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Concert culte : le blanc décollage de My Bloody Valentine

Monolithe sonique, pierre philosophale de la noise, "Loveless" de My Bloody Valentine, paru en 1991, eut comme séquelles sismiques les déflagrations suspendues de ses concerts mémorables. Celui de L’Olympia en 1992, et sa conclusion dantesque, a laissé un petit caillou de bruit blanc dans la mémoire de ceux qui y ont assistés (qui sont restés jusqu’à la fin), dont notre journaliste, qui se souvient.

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Ceci est la reproduction de l’article “White light, white hit” paru dans l’hebdo pop moderne n°21

MARDI 17 MARS 1992
L’OLYMPIA
75 009 PARIS

MY BLOODY VALENTINE

Le mardi 17 mars 1992 à L’Olympia, My Bloody Valentine termina son concert – ainsi qu’il le faisait à chaque date de sa tournée – par “The Holocaust”, petit nom donné par les membres du groupe aux 20 minutes de bruit blanc, tenues sur un seul accord, qui concluaient le dernier titre de sa setlist, You Made Me Realise. De la même manière que l’oreille, confrontée à une juxtaposition de sons à fort volume, n’en perçoit toujours que le dominant (le son d’un avion qui décolle recouvrant indistinctement ceux d’un marteau piqueur, du moteur d’une moto, d’un aspirateur, etc.), on serait bien en peine de se remémorer les autres titres joués ce soir-là, tant cette déflagration continue, jouée à 130 dB (équivalent au son d’un avion qui décolle, justement) imprima sa marque indélébile dans les cerveaux ébahis, extasiés, effrayés ou simplement agacés des spectateurs.

À propos de ce rituel sonique des concerts de MBV, Billy Corgan, le leader des Smashing Pumpkins, raconte dans le documentaire de 2014 Beautiful Noise : «Le son était à son volume maximum et pendant les trois premières minutes, tu te dis : “Oh ok, c’est plutôt cool”. Puis tu penses : “C’est vraiment too much. J’aimerais bien qu’ils arrêtent”. Et puis, à environ 7 minutes, tu commences à trouver ça assez fun. Et finalement au bout de 10 minutes, tu finis par rentrer dedans».

C’était exactement ça : pendant le «pont» suspendu, étiré sans résolution (et donc pouvant se poursuivre indéfiniment dans l’esprit de son auditeur), de You Made Me Realise, nombreux furent les spectateurs à quitter la salle en haussant les épaules ou en râlant (la légende raconte que d’autres s’évanouirent, vomirent ou se firent pipi dessus).

Mais pour ceux qui restèrent, au-delà d’éventuels acouphènes qui les poursuivirent ensuite, l’expérience fut bien celle d’une transe, où l’immersion dans le tonnerre électrique d’un seul accord répété, joué d’un bloc par un groupe debout sur ses pédales d’effet, entraîna une passionnante désorientation, un léger doute sur la nature de la réalité, de la stabilité spatio-temporelle de cet endroit, L’Olympia (l’Olympe?), et de ces gens tout autour, hagards, errant dans le vrombissement continu d’un décollage qui n’en finissait pas – un peu comme si la montée de cordes de The Fool on the Hill des Beatles, jouée par des guitares saturées, s’était transformée en un glissando infini de Shepard-Risset.

Désorientation ou réorientation ? Perdait-on le fil ou bien ce drone sonique nous ramenait-il à la dimension transcendantale, derviche, liturgique, mystique, de la musique ? Il y avait quelque chose de la blague (sinon, pourquoi nommer ce moment “The Holocaust” ?) de la part de Kevin Shields et ses sbires, dans cette manière punk, anarchiste, offensive, de bousiller les oreilles occidentales avec ce bourdon explosif, qui nous faisait forcément réévaluer, dans la fosse, notre intérêt pour la musique pop, la bière coupée à l’eau et les diverses substances qu’on pouvait s’envoyer pour rehausser nos perceptions. La musique était la drogue, le moment était initiatique : soit on décollait, soit on fuyait en se bouchant les oreilles.

Ceux qui restèrent jusqu’au bout se demandent encore comment et pourquoi ils ont tenu, mais ils n’oublieront jamais la couleur rouge des rideaux de L’Olympia, la vibration du parquet, les flashs des stroboscopes qui éclairaient alternativement, comme des ombres dans une caverne, les spectateurs saisis dans la lumière et le bruit blancs, puis aussitôt replongés dans l’obscurité, les nerfs branchés sur un éternel courant alternatif.

C’était à la fois excitant et relaxant, c’était le calme pendant la tempête, le plaisir dans l’anéantissement sensoriel. Il y avait bien de l’électricité dans l’air en 1992 – quelques jours plus tôt, le 28 février à L’Européen, Yo La Tengo avait donné un même genre de performance abrasive ; on écoutait en boucle Nevermind de Nirvana et Dirty de Sonic Youth – mais personne ne savait comme My Bloody Valentine marier avec autant de grâce chansons pop mélodieuses et bruit blanc, délicatesse et violence, ligne claire et magma sonique. Une musique paradoxale, comme un rêve.

SETLIST : 

  1. When You Sleep
  2. Only Shallow
  3. I Only Said
  4. Slow
  5. Nothing Much to Lose
  6. You Never Should
  7. Blown a Wish
  8. Honey Power
  9. Soon
  10. To Here Knows When
  11. Feed Me with Your Kiss
  12. You Made Me Realise

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