Alors que les fêtes se rapprochent et que notre trimestriel de fin d'année suit le même chemin, Magic laisse la parole à ses journalistes pour que ceux-ci vous présentent leur classement des pépites de 2024. Ici, Rémi Lefebvre nous évoque une année crépusculaire aux guitares mutantes et aux vieux sages toujours verts.
Il n’y a jamais eu autant de propositions musicales. Tous les vendredis sur les plateformes c’est une nouvelle offre pléthorique facilement accessible de sorties, à disposition. Difficile de faire le tri entre les artistes que l’on suit, les émergences, les tendances, les niches… À chacun de démêler son bon grain et de prononcer son ivraie. L’exercice rituel des bilans de fin d’année ordonne cette profusion en de salutaires sélections. À chacun sa hiérarchisation en forme de décantation. Bilan personnel éclectique en quelques entrées.
Crépuscule
L’année 2024 a été politiquement et géopolitiquement plus que sombre. À l’image de ce magnifique disque d’El Perro del Mar et de ses ambiances synthétiques crépusculaires souvent oppressantes. La Suédoise a sorti au début de l’année un disque habité et vénéneux qui a accompagné le chaos du monde.
Révélations
Le disque pop le plus créatif vient de la Nouvelle-Zélande, patrie du mythique label Flying Nun. A Kingdom in a Cul-de-sac est pétillant, sarcastique, tordu, poétique et ne laisse aucun répit. Il fourmille de tubes qui n’en seront jamais, de mélodies en cascades, d’harmonies à tiroirs. Le premier album du collectif Tapir est fait d’autre bois, un folk orchestral et une pop pastorale admirables. Un disque en trois actes avec un ample instrumentarium (tambours, cornet à pistons, saxo, violoncelle…) qui fait songer à la nostalgie cuivrée de Beirut et résonne des échos de Gymnopédies.
Vieux sages toujours verts
Au rayon des valeurs sûres toujours intactes, voilà d’abord Jason Lytle qui a sorti un disque passé un peu inaperçu et sous-estimé sans doute parce qu’il n’a pas la flamboyance et l’exubérance des œuvres précédentes. Le son spatial de Jeff Lynne et d’ELO a fait place à des ballades pleines de douceur et de profondeur. Nick Cave et ses mauvaises graines ont sorti aussi un disque faussement secondaire, moins audacieux que les disques précédents mais non moins séminal. Le deuil est passé mais ce n’est pas encore l’heure de la sérénité. C’est l’Australien qui en parle le mieux : « une sorte de reconnaissance du côté sombre des choses, sans que celui-ci ne nous dévore ».
Guitares mutantes
Le rock se porte encore plutôt bien. Idles et Corridor en proposent deux versions régénérées pleines d’intensité. Les premiers ont accouché d’un passionnant disque de maturité qui propose une mutation électro et rap inspirée guidée par Nigel Godrich et le beatmaker américain Kenny Beats (Vince Staples, Slowthai), déjà présent sur Crawler, le précédent album du quintet de Bristol. Viscéral et cérébral à la fois. Le groupe de Montréal a sorti une petite merveille d’album en huit titres compacts. Mimi s’écoute comme une longue plage insécable qui tient en haleine et affirme un style assez unique. Sur une base souvent post-punk, les guitares cisaillent, carillonnent, tournoient et s’intriquent dans des lignes de chant, traitées comme des instruments à part entière, qui offrent un contrepoint harmonique et aérien. Ce contraste des guitares anguleuses et granulées et des mélodies vocales plus contemplatives et psyche se déploie dans des constructions de morceaux à la fois alambiquées et limpides, construites autour de boucles, de structures répétitives et bourgeonnantes.
Brio de l’électro
Deux disques brillants auront marqué le paysage de l’électro. Je ne sais pas encore bien ce qu’est l’Hyperpop mais Charli XCX a sorti avec Brat un album aussi futé que putassier. Irrésistible série de tubes. Jamie XX nous aura plongés dans une jubilation proche imprégnant ses inspirations mélancoliques aux styles house, jungle, dubstep… Implacable.
Euphorie
Barbagallo a sorti l’album français de l’année. Il est un batteur plébiscité qui a joué et tourné avec Tame Impala, Tahiti 80, Aquaserge ou Bertrand Burgalat. Son cinquième album est solaire et plein de fulgurances. Il magnifie le quotidien, sublime nos élans et nos peines. Une production enregistrée en solo depuis son exil d’Australie. On dit merci (superbe titre de l’album) pour cette euphorie.
Le Top 10 de Rémi
EL PERRO DEL MAR := Big anonymous
BARBAGALLO : Garde-fou
HA THE UNCLEAR : A Kingdom in A Cul-De-Sac
CHARLI XCX : BRAT
GRANDADDY : Blu Wav
IDLES : TANGK
TAPIR : The Pilgrim, Their God and The King of My Decrepit Mountain
CORRIDOR : Mimi
NICK CAVE AND THE BAD SEEDS : Wild God
JAMIE XX : In Waves