« De l’unité des genres » : Le Top 2018 de Gregory Bodenes

TOP DE FIN D’ANNÉE. Les rédacteurs de Magic délivrent tous les jours leur Top 2018, sous la forme d’une liste de dix albums, assortie d’un texte de mise en relief. Episode 11 avec Gregory Bodenes

 

  1. THE MARRIED MONK –  Headgearalienpoo (Ici, d’ailleurs) / PAULINE DRAND – Faits Bleus (UVM Distribution)
  2. THE INNOCENCE MISSION – Sun On The Square (Bella Union)
  3. NED COLETTE – Old Chestnutt (IT Records)
  4. COSMO SHELDRAKE – The Much Much How How And I (Transgressive Records)
  5. ROUGGE – Cordes (Universal Music)
  6. BAUM –  Ici Bas (Les mélodies de Gabriel Fauré)
  7. JONATHAN BREE- Sleepwalking (Lil Chief Records)
  8. DOMINIQUE A – La Fragilité (Wagram Records)
  9. THE LAST DETAIL – The Last Detail (Elephant Records)

+ L’Ep de FROM YOUR BALCONY – The Party

On peut dire ce que l’on veut de cette tradition des TopS de fin d’année mais comme chaque tradition justement, elle a cette vertu de marquer d’un sceau temporel une période de nos vies. Chaque année a la fragrance d’un film, le son d’une chanson, les mots d’un livre, ces petits éléments faits de rien qui font l’essence-même de ce que nous sommes, notre mémoire affective. A l’heure où les clameurs de la rue montent et se querellent entre conflit des genres et envies de replis sur soi, et si l’on allait chercher un terrain d’entente, un abri paisible dans une communauté ? Car, s’il est une activité humaine qui n’a que faire des démarcations, des frontières et des différences, c’est sans doute la création.

Ces artistes qui nous auront passionnés en cette année 2018, c’est assurément ceux qui sont allés au-delà, toujours plus loin, en dépassant les clivages entre les écoles musicales, en mettant à distance une certaine frilosité prudente.  Ces disques face auxquels on ne peut jurer de rien, qui nous mettent dans un inconfort bienvenu. Positionner deux disques tout en haut d’un classement, ce n’est pas une manière de se défausser, de ne pas prendre parti.  A travers ces deux choix, par-delà le fait de distinguer deux albums magistraux, c’est aussi l’envie de rappeler la force d’une scène française aux prismes stylistiques amples.

Le retour des vétérans des Married Monk toujours verts, que l’on n’espérait plus, dont on craignait d’ailleurs de ne plus avoir de nouvelles, est sans doute la plus belle surprise de 2018. Ambitieux, Headgearalienpoo n’est jamais un disque complexe, plutôt aventureux entre dissonance et clarté. Cyclothymique, Headgearalienpoo est un grand album incohérent et totalement intègre. Pauline Drand, avec Faits Bleus, quant à elle vient encore confirmer tout le bien que l’on pensait d’elle. Avec Alma Forrer ou Guillaume Stankiewicz, elle prouve une fois encore qu’une scène française est en train de se constituer entre orthodoxie classique et volonté de renouvellement.  D’une grande élégance, Faits Bleus est assurément l’acte de naissance d’une immense artiste.

Une année musicale réussie, c’est une année qui voit la sortie d’un nouveau disque des trop discrets The Innocence Mission. Porté par le couple Peris depuis une trentaine d’années, le groupe n’en finit pas de proposer une discographie exemplaire, vibrante et frissonnante à l’image de ce Sun On The Square sorti sur l’indispensable label Bella Union. L’heure exquise de cette année 2018. Old Chestnutt, le troisième disque solo de l’australien Ned Colette fait partie de ces objets sonores à la ligne claire mais qui demanderont bien des heures d’écoute pour voir s’épuiser un sentiment de découverte de nouveaux détails et de secrets bien cachés.

The Much Much How How And I, premier album du tout jeune Cosmo Sheldrake nous aura surpris par sa maturité d’écriture et par son envie de faire se bousculer mille idées au sein d’une structure pop qui doit autant à Kevin Ayers que Tom Waits ou encore un Spike Jones mélancolique. On ne saura le situer entre fanfare déglinguée et blues cajun. Assurément une des incarnations faites Pop d’un Deus Ex Macchina. Le pianiste de Nancy Rougge est plus proche de la musique contemporaine ou d’un courant néo-classique (Wim Mertens, Luigi Rubino). Cordes, son troisième disque, s’ouvre à des structures plus pop à ranger à côté des Cocteau Twins ou de Sigur Rós pour cette même utilisation de la glossolalie.

Olivier Mellano cumule les projets et l’excellence dans une même unité. Difficile de résister à sa relecture des œuvres de Gabriel Fauré  et de poèmes de Paul Verlaine, Théophile Gautier ou Sully- Prudhomme. On n’oubliera pas de citer la présence d’un quatuor (piano/violon/violoncelle et guitare) rejoints par Dominique A, Jeanne Added, Piers Faccini, Etienne Daho, John Greaves, Philippe Katerine et bien d’autres encore. L’idée, délester les partitions de Fauré de leur dimension lyrique pour en extraire l’essentiel, l’irradiation d’une mélodie.

Certains crieront à l’esbroufe, à l’escroquerie. D’autres ne cesseront de faire des louanges sur Sleepwalking, le troisième disque solo du Néo-Zélandais Jonathan Bree. Nous en sommes. Il a le mérite de ne pas laisser indifférent et de malaxer une matière étrange à mi-chemin du Gainsbourg période Melody Nelson et d’une réconciliation des deux époques de Scott Walker. Chimérique, parfois dérangeant ou funèbre, Sleepwalking reste une énigme et une invitation élégante au vertige.

En sa cinquantième année, Dominique A n’a pas sorti un mais deux albums, Toute Latitude et La Fragilité qui sonne comme une œuvre de synthèse et tente l’épure sans tomber dans l’inconsistance ou l’évanescence. Dominique A est dans une ambivalence bien heureuse : tendre vers toujours plus de classicisme sans s’abstraire pour autant d’une part d’ombre. La marque des disques essentiels.

Qui se rappelle encore en 2018 d’Erin Moran alias A Girl Called Eddy qui sortit en 2004 un joyau de Soul-Pop ? Qui se rappelle de Fugu le projet de Mehdi Zannad ? En formant à eux-deux The Last Detail, ils raniment une certaine idée d’une Pop à la Gorky’s Zygotic Mynci, à la Brian Wilson. Belle renaissance en tous les cas d’une artiste perdue de vue.

On avait adoré en 2016 The Party, le troisième album d’Andy Shauf qui lui avait permis de se faire un nom  de par la qualité de ses arrangements à la fois folk et orchestraux. C’est par le biais d’un groupe qu’il fait son retour avec Foxwarren. On y retrouve ce que l’on a aimé dans le dernier disque du canadien, des merveilles aventureuses et toujours familières. On était quelques rares personnes à avoir repéré l’univers du lillois From Your Balcony en 2008 à la faveur d’un EP, The Leaver And The Left suivi en 2009 du single The Calm After The Car Crash. Bien sûr, on entendait ça et là des accents d’un Sebastien Schuller mais il était toutefois difficile de résister au déchirement de An Old Fashioned Girl ou de Loneliness. Presque dix ans plus tard, From Your Balcony renoue avec le frisson  avec L’EP The Party annonciateur d’un (enfin) premier album à venir au printemps 2019.

Grégory Bodenes a découvert le rock dans le début des années 80, durant cet âge d’or de l’émergence des radios libres. Il a franchi le cap quelques années plus tard et écrit désormais des chroniques et articles pour des webzines (ADA, Benzine Magazine, Popnews, Addict Culture). Il a rejoint Magic à la fin de l’année 2017. Cette année, il a interviewé le grand Dominique A mais il s’est aussi replongé dans l’histoire foisonnante des mythiques The Cure qui ont fêté leur 40 ans cette année.  

Photo : Cédric Rouquette

à lire aussi