(Coop Breizh)
En janvier dernier, Arnaud Choutet signait le livre Bretagne – Folk, Néo-Trad Et Métissages. Sur le principe des guides édités par Le Mot Et Le Reste, on parcourait un vaste panorama des musiques bretonnes en une centaine d’albums, des années 60 à nos jours. Denez Prigent y figurait évidemment en bonne place avec Irvi (2000). C’est un choix.
On aurait préféré Me ‘Zalc’h Ennon Ur Fulenn Aour (1997), enregistré avec Arnaud Rebotini, qui mariait la jungle et la drum’n’bass à la gwerz (une lente complainte répétitive) et au kan ha diskan (ou chant-contrechant). Une belle illustration du sous-titre du bouquin, donc. Heureux hasard, on lève le nez de l’ouvrage en apprenant que Denez Prigent revient aux affaires après douze ans de silence et l’album Sarac’h (2003), où se croisaient entre autres Lisa Gerrard et le guitariste Xavier “Tox” Géronimi.
Entièrement acoustique, ce quatrième LP studio se situe dans le prolongement de Sarac’h, dont les seules traces synthétiques résidaient dans les claviers et (rares) programmations de Jean-Marc Illien. La rupture tient aux conditions d’enregistrement. Jadis rat de studio, le Breton simplement renommé Denez a tout capté en direct et en groupe, transformant la salle de concert de Plestin-les-Grèves en studio. Par ailleurs, le natif de Santec n’a pas puisé dans les innombrables airs et chants traditionnels de la péninsule, bien que ces compositions originales demeurent marquées par l’imaginaire local.
On songe à l’amour courtois, mais paré d’un romantisme macabre ou d’un humour très noir. Ces gwerz et autres kan ha diskan bénéficient d’arrangements luxuriants issus du monde entier. Au low whistle irlandais et au biniou kozh breton répondent le duduk arménien, le djembé africain, le cajón péruvien ou les tablas indiens – sans parler d’influences tziganes ou yiddish déjà présentes dans l’œuvre du musicien. De quoi irriter les tenants réacs du mythe d’une Bretagne figée et d’une culture cloîtrée.
Pourtant, ce métissage tous azimuts met du sel dans la tradition. Est-il besoin de citer, en vrac, le dub chez Bill Callahan, les tentatives (pas toujours abouties) d’Alan Stivell, l’influence mexicaine chez Calexico, l’irruption du jazz chez The Chieftains ou les musiques africaines redécouvertes par la jeune garde pop américaine ? La liste est infinie. Bref, Denez signe là un grand disque de folk, cette musique toujours populaire et, parfois, moderne.