Apocalypse (2011) fut un disque étrange. Déjà, il suivait un chef-d’œuvre, Sometimes I Wish We Were An Eagle (2009). C’est toujours envahissant un chef-d’œuvre. Pour le coup, Apocalypse jouait sur une continuité et une contestation un brin désarmantes. Finalement, c’est un disque qui s’est imposé à nous avec le temps, se révélant quelque peu décevant, incomplet, brutalement suspendu à une quasi impossibilité de jugement. Apocalypse a pourtant été l’objet d’une certaine reconnaissance. L’imperfection était l’une des clés de la discographie de Smog, mais le renouvellement en était une autre. Contrairement à Will Oldham, Bill Callahan a toujours su se défiler au moment de servir la soupe à l’ennui. Or, il y avait pourtant une certaine répétition, un certain confort dans les contours d’Apocalypse. Aujourd’hui, Callahan revient. Dans quelle forme ? Déjà, avec le même type de référence picturale concernant la pochette. Une filiation également dans la production et le son. Et dans le (faible) nombre de compositions. Oui, Dream River possède bien la même carnation que ses deux prédécesseurs. Mais il s’avère plus majestueux et plus abouti qu’Apocalypse. Il reprend par ailleurs un peu de la candeur de Sometimes I Wish We Were An Eagle. Et travaille, remâche et poétise la boucle mélodique qu’était Blood Flow, ce titre obsédant présent sur Dongs Of Sevotion (2000).
Si Tim Buckley avait été la source principale d’inspiration de l’austère The Doctor Came At Dawn (1996) Marvin Gaye semble tenir le cap de Dream River. Éclairs et orages des sentiments, fièvre soul, électricité latente dès ce lent fleuve qu’est The Sing : tous ces éléments se mettent à carillonner. Des cordes viennent s’enrouler autour d’une légère rythmique. Une sorte de Nick Drake dont les tempes battent le sang d’un Curtis Mayfield. Suit le galop ténébreux de Javellin Unlanding, un éclair haletant dans le ciel. Small Plane est un ralentissement sublime, une brume lumineuse. Spring est un standard soul où des flûtes et des arpèges tissent une fantastique toile. Plus loin, on retrouve les violentes poussées et le tonnerre tout au long du prodigieux Summer Painter. Tout cela s’arrête net avec un dernier accord frappé comme une égratignure… Car Winter Road, le dernier titre, se stoppe telle une averse. Parfois fleuve impassible, parfois torrent fougueux, Dream River ne choisit jamais sa direction. Alors, cette conclusion abrupte nous laisse rêveur, nous pousse à réentendre ces étranges chants magnétiques. Extrêmement bien produit, marqué par le fer noir de la soul, Dream River est le jumeau ombrageux de Sometimes I Wish We Were An Eagle. Une intempérie ensorcelante et inoubliable.