(Columbia/Sony Music)
Il faudrait parfois s’abstenir complètement de lire l’opinion d’autres journalistes avant de s’attaquer à la critique d’un disque. Car la seule question qui mérite réellement d’être posée à propos de I Don’t Like Shit, I Don’t Go Outside, second album solo d’Earl Sweatshirt, a déjà été précisément circonscrite par Eric Thurm dans son (long) article paru dans Pitchfork, Earl Sweatshirt and Tyler, the Creator’s Odd Future as Mature Adults.
Le passage à l’âge adulte est à la fois la thématique sous-jacente de ces trente minutes de rap ténébreux, et un fascinant paradoxe pour ce membre du collectif Odd Future, connu pour porter depuis 2007 la voix d’une nouvelle espèce de kids afro-américains en colère, aussi effrontément créatifs que sal(ac)ement provocateurs. Bien sûr, Doris (2013), son premier LP enregistré après une rééducation forcée aux îles Samoa, exsudait déjà une noirceur peu commune pour un garçon de son âge.
Mais les névroses et angoisses exposées portaient tout de même le sceau de la jeunesse. Deux ans plus tard, Thebe Neruda Kgositsile ne va pas mieux, bien au contraire.
Tant dans la production, minimale et dépressive jusqu’à l’étouffement (et dont il est presque entièrement responsable sous le nom de RandomBlackDude), que dans son flow grave et neurasthénique (d’où ne filtre plus aucune hésitation) et ses textes complexes lestés par la désillusion, ce qu’on entend semble terriblement éloigné des préoccupations habituelles d’un jeune homme de vingt-et-un ans (à part l’alcool et la weed, qui ne connaissent plus d’âge limite). “I don’t act hard, I’m a hard act to follow”, dit-il sur Grief.
Pas sûr, en effet, que les fans de son âge continueront de le suivre jusqu’au bout de la nuit (noire). Et si c’était le cas, ce serait aussi réjouissant pour l’état du hip hop que flippant pour celui de la jeunesse actuelle.