Trois albums. L’affaire devient sérieuse et l’on peut légitimement parler d’une œuvre. Voici seulement cinq ans, qui l’eût cru ? Et qui l’eût dit ? À l’époque, malgré l’enthousiasme, tout semblait trop beau pour être vrai, sans parler de durer. Trois gaillards à fière allure débarqués d’Auvergne avec en poche une douzaine de chansons impossibles de précision, d’ingéniosité et de simplicité. On n’invoquera pas le génie, trop banal, mais une vision, certainement. Comme si Jean Felzine, Johan Gentile et Rémi Faure évitaient instinctivement faux-pas et chausse-trappes pour proposer quelque chose de nouveau. D’honnête, surtout. Un petit panthéon personnel et ô combien classique (Suicide et Eddie Cochran, Daniel Darc et Kraftwerk) revisité avec une classe et une grâce inespérées. Ce qui n’aurait pu être qu’un coup d’essai (et coup de maître) s’est affiné le temps de trois efforts qui, s’ils ne font pas encore l’unanimité, feront date – les paris sont pris. Car en sus de jongler vaillamment avec les références, Mustang impose une patte et des marottes – ainsi, après C’est Fini et J’Fais Des Chansons, La Mort Merde se pose également en chanson de métier, ou comment aborder l’indicible deuil. Mêlant le miel au fiel, Jean Felzine se révèle comme l’un des meilleurs paroliers français depuis un bail.
Rarement autobiographiques mais souvent narratives, ces compositions évoquent des thèmes classiques (la solitude et la jalousie, les coups d’un soir et les cœurs brisés) mais présentés sous un jour nouveau – la chanson éponyme (la rancœur via Facebook) ou Mes Oignons (Ne Font Pleurer Que Moi), éloge du quant-à-soi en quelques exemples pas banals mais universels. Le tout magistralement interprété comme sur Les Oiseaux Blessés, mêlant une attaque de batterie entendue chez Cockney Rejects à une voix claire dotée d’un léger falsetto. À nouveau épaulé par Stéphane “Alf” Briat, le trio élargit sa palette et signe plusieurs tubes potentiels (au hasard, la glam Coup De Foudre À L’Envers), imagine un psychobilly numérique pour PS4 (Je Vis Des Hauts) et s’aventure dans de sombres territoires sous tension où plane l’ombre de Suicide (Ce N’Est Pas Toi). Enfin, Sans Des Filles Comme Toi, hommage aux filles (dites) faciles composé par Johan Gentile et cime de la collection, se place en droite lignée de la pop fifties revisitée par The Smiths. La pop moderne francophone ayant le vent en poupe, les imposteurs et opportunistes sans âme sont très (trop) nombreux. Et si dans quelques années, on ne doit retenir qu’une poignée de ces disques, on l’affirme sans crainte, les trois albums de Mustang seront de ceux-là.