Entre 2020 et 2021, nos rédacteurs résument leur année pop dans un Top 10 de leurs albums préférés. Aujourd'hui, Philippe Mathé.
1. PHOEBE BRIDGERS – Punisher (Dead Oceans)
2. FONTAINES DC – A Heroes Death (Partisan Records)
3. OTHER LIVES – For Their Love (Pias)
4. FIONA APPLE – Fetch The Bolt Cutters (Sony/Epic)
5. ROLLING BLACKOUTS COASTAL FEVER – Sideways to New Italy (Sub Pop)
6. BILL CALLAHAN – Gold Record (Drag City)
7. CAR SEAT HEADREST – Making a Door Less Open (Matador)
8. SUFJAN STEVENS – The Ascension (Asthmatic Kitty Records)
9. DOMINIQUE A – Vie étrange (cinq7)
10. ANDY SHAUF – Neon Skyline (Anti-)
Mis entre parenthèses, les mots prennent une importance secondaire. Ils peuvent être éludés, le sens de la phrase ne changera pas. Cette année, pour moi comme pour beaucoup, aura été pleine de parenthèses. Mais, pour le coup, impossible de les mettre de côté sans changer le sens de 2020.
Dans la première parenthèse, il y a une chanson, une reprise: L’Éclaircie de Marc Seberg, revue par Dominique A qui a si justement mis des mots sur ce que nous vivions. Il en a fait ensuite un beau disque, Vie étrange ; il a écrit aussi un livre sur Philippe Pascal, tout aussi juste. Il y a un album, celui de Fiona Apple, reçu comme un coup de poing quand il fallait rester claquemurer, pour lequel l’enthousiasme a été débordant mais, au final, justifié.
Avant la parenthèse, il y avait eu une autre vie. Les brèves de comptoirs d’Andy Shauf, accoudé au Neon Skyline, permettent de s’en souvenir comme d’un désormais anachronisme… Dans cette autre vie, il avait des concerts : sueur, promiscuité, décibels dans les oreilles. Un cauchemar d’épidémiologistes, le nirvana pour les amateurs de musique. Working Men’s Club m’avait agacé puis fait vibrer du côté de Saint-Malo pour ensuite me laisser froid sur disque, allez comprendre…
Et puis, après la parenthèse, il y a eu quelques mois où j’ai pu respirer : le grand air avec la folk orchestrale d’Other Lives et leur magistral For Their Love ; l’air vicié de Car Seat Headrest qui avançait (c’est de saison) masqué en mettant de l’electro dans ses guitares ; un air de liberté avec le splendide Punisher de Phoebe Bridgers, album d’émancipation et de libération totalement enivrant ; un air de vacances et de virées ensoleillées avec les toujours brillants Rolling Blackout Coastal Fever, Australiens au songwriting magique.
Il fallait aussi mettre un peu d’électricité et de tension dans l’air après des semaines avachies, les Irlandais de Fontaines DC s’en sont chargés, en réussissant le meilleur album post-punk de l’année. Cela a aussi été le temps des retrouvailles (sans geste barrières) avec Bill Callahan, plus apaisé, toujours un brin caustique, qui chante plus que jamais d’or ; avec Sufjan Stevens et son disque kaleïdoscopique, peut-être pas magistral de bout en bout mais dont plusieurs perles pop ont ravi et ému mes oreilles.
Et puis, une seconde parenthèse est arrivée, qui tarde à se refermer. Ces dernières semaines, certains disques s’y sont glissés. Celui de Tunng en tête qui vient parler de mort (comme si c’était le moment) avec des chansons réjouissantes. Celui de Nick Cave à l’Alexander Palace, un enregistrement en solo majestueux qui file tellement de frissons qu’il incite à faire un test PCR. Et puis celui, surprise, de Paul McCartney avec ce qui va devenir un genre en soi : le disque confiné.
Parce que, au bout du compte, cela devient compliqué, en regardant 2020, de savoir où vraiment placer les parenthèses…