“Époque dissonante, distraite et bruyante” : Le Top 10 de Wilfried Paris

TOP DE FIN D’ANNÉE. Les rédacteurs de Magic délivrent tous les jours leur Top 2018, sous la forme d’une liste de 10 albums, assortie d’un texte de mise en relief. Épisode 8 avec Wilfried Paris.

  1. ERIC CHENAUX  – Slowly Paradise (Constellation)
  2. LOWDouble Negative (Sub Pop)
  3. KATE NVдля FOR (RVNG Intl.)
  4. BEAK> – >>> (Invada Records / Temporary Residence)
  5. BORJA FLAMES – Rojo Vivo (Les Disques du Festival Permanent)
  6. SOURDURE – L’Esprōva (Les Disques du Festival Permanent)
  7. ÉLG  – Vu du Dôme (Editions Gravats)
  8. SISTER IODINE – Venom (Bruit Direct)
  9. JOHN MAUSAddendum (Ribbon)
  10. DIRTY PROJECTORS – Lamp Lit Prose (Domino)

+ le livre d’Agnès Gayraud, Dialectique de la pop, parce qu’il fera date et référence, et qu’il donne envie de penser davantage la musique.

Si l’époque est dissonante, distraite, bruyante, la musique qui caractérise le mieux l’époque est aussi dissonante, distraite, bruyante. C’est celle qui m’a le plus intéressée cette année.

Eric Chenaux, Low, Sister Iodine me semblent travaillés par cette question de la dissonance et de sa place dans le grand streaming contemporain. Poser des barbelés (Low), des points de dissonances (Chenaux) ou de venin (Sister Iodine) dans le long flux tranquille d’une écoute passive, léthargique, engourdie, me semble être un acte politique (une politique de l’écoute) aussi violent que joyeux, destructeur et donc ouvrant de nouveaux chemins.

D’autres dérives, telle celle de Kate NV au cœur de Moscou, tintinnabulante, ambient, très mélodieuse, associe de manière joliment ambigüe (même si consciente de ses effets) la beauté du monde autour de nous et l’inquiétude qu’il provoque. J’entends la même radieuse beauté, quasi romantique, dans les nouvelles mélodies de Beak>, sur un album pourtant profondément pessimiste, et chez Dirty Projectors, dans une volonté très naïve, sincère, premier degré, de célébrer la beauté, l’amour, l’amitié.

Cette capacité à entrer en dissonance avec soi-même (avec sa propre discographie), en résistance avec la suite attendue, avec ses habitudes, me touche chez Low (nouveau fracas électronique) et Borja Flames (nouvelle suavité électronique).

Se laisser surprendre, par soi-même, par la machine, par l’aléatoire, improviser et saisir, chamane, l’instant, le dérisoire, le comique de la situation, c’est la leçon de chaque concert de Élg. Se laisser surprendre (par l’autre, les deux autres membres du trio), envahir (par le son, le bruit, l’aléatoire du feedback), improviser et saisir, chamane, l’instant, la violence et la beauté de la situation, c’est la leçon de chaque concert de Sister Iodine.

Cette idée (de se surprendre soi-même) traverse sans doute aussi les travaux de John Maus, Eric Chenaux, Sourdure (et d’Orgue Agnès, que j’aurais pu ajouter dans ce top). La distraction y devient autre chose que le divertissement. Elle est dérivation, contretemps, contre-pied, et donc sollicitation.

Là, électrifier, ou électroniser (vilain mot) la tradition (le contrepoint baroque, la chanson médiévale, la chanson occitane) est moins conservateur que réinsufflant la vie moderne dans les formes anciennes. Pour de nouvelles transes, et du spirituel dans la pop, peut-être à nouveau ?

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