Frank Darcel, cofondateur des Marquis de Sade, a été retrouvé mort samedi. Il rejoint Philippe Pascal au panthéon du rock français.
On croisait souvent sa silhouette imposante, souvent vêtue de noir, dans les rues de Rennes, marchant d’un pas décidé. Parfois, on l’interpellait et Frank Darcel s’arrêtait pour discuter. Il avait toujours un projet à lancer, un combat à mener, une aventure à vivre…
En Haute-Bretagne, il existe un dicton gallo qui dit : «Grand disou, petit faisou». En gros : il y en a qui parlent beaucoup mais qui ne font rien du tout. Frank Darcel était bavard, c’est vrai, mais il faisait beaucoup. Énormément, même. C’était un menhir en mouvement perpétuel. Littérature, politique, musique évidemment… Il avait des convictions, il avait du caractère, ce qui n’était pas sans lui valoir quelques inimitiés. Il avançait toujours.
Philippe Pascal le torturé, Frank Darcel le fonceur
Né à Loudéac en 1958, Frank Darcel se prend la vague punk en pleine figure alors qu’il vient d’arriver à Rennes pour suivre des études de médecine. Avec Christian Dargelos, il forme Marquis de Sade en 1977. À l’époque, les punks se comptent sur les doigts de quatre mains à Rennes.
Dargelos est obsédé par l’Angleterre, Frank a vu la lumière à New York. «Comme beaucoup de gens en Centre-Bretagne, j’avais un oncle en Amérique, nous racontait-il il y a quelques années. Il tenait un magasin de perruques sur Madison Avenue. Je bossais pour lui la journée. Le soir, je sortais.»
Il y découvre Richard Hell, The Feelies, Teenage Jesus et le saxophoniste James Chance avec qui il liera une amitié durable. Ces influences vont nourrir son jeu de guitare au sein de Marquis de Sade tandis que le chanteur du groupe, Philippe Pascal, amène sa passion du krautrock et de l’expressionnisme allemand. Philippe Pascal le torturé, Frank Darcel le fonceur. L’attelage fonctionne le temps de deux albums, Dantzig Twist (1979) et Rue de Siam (1981), encore aujourd’hui miraculeux.
Rapidement, les différends – entre autres, esthétiques – se font plus profonds. Frank Darcel, revenu d’un énième séjour à New York, a découvert les Talking Heads, rêve de soul blanche, d’une musique plus dansante. Ce sera Octobre dès 1981.
Merci d’avoir été dans ma vie et de l’avoir changée à jamais
Étienne Daho sur Frank Darcel
À la même époque, il accompagne, avec la section rythmique de Marquis de Sade, les premiers pas d’Étienne Daho sur Mythomane (1981) puis produit La Notte, la notte… (1984), deuxième album de la future idole pop. Il reste avec Daho jusqu’à Tombé pour la France (1985), raz-de-marée déclencheur de la Dahomania. «Merci d’avoir été dans ma vie et de l’avoir changée à jamais», a rendu hommage Daho sur les réseaux sociaux.
Ensuite, il y a Senso et les premiers pas de Pascal Obispo, duquel il restera toujours proche et qui a été un des premiers à annoncer son décès avec une «infinie tristesse», samedi 16 mars. Et puis le Portugal où Frank Darcel produit dans les années 1990 plusieurs albums de Paulo Gonzo, une célébrité nationale. La Bretagne chevillée au corps, Frank Darcel posera aussi sa patte sur des albums d’Alan Stivell et de Nolwenn Korbell.
Dans les années 2000, revenu à Rennes, on le croise tout autant dans les salles de concert que dans des salons du livre, pour défendre l’un de ses polars ou ROK, une somme en deux volumes sur cinquante ans de musique électrifiée en Bretagne qu’il a dirigée, et même dans l’arène politique depuis qu’il a rejoint le Parti breton. En 2020, il se présentera même à la mairie de Rennes.
L’énergie de l’adolescence
Mais Frank Darcel reste avant tout un musicien et relance un nouveau groupe, Republik, avec qui il publie deux albums en 2015 et 2017. Jusqu’à la reformation miraculeuse de Marquis de Sade en 2017. «Dès qu’on a ouvert la boîte de Pandore, nous avons récupéré des fantômes mais aussi une énergie qui revenait directement de notre adolescence, se réjouissait-il encore il y a trois ans. Ce n’est pas donné à tout le monde de revivre ça trente-huit ans après.»
Hélas, les drames ne vont pas manquer. À commencer par le suicide de Philippe Pascal en septembre 2019, en pleine préparation d’un nouvel album. Malgré toutes les épreuves, Frank Darcel ne lâchera pas le morceau – «Si on avait tout mis à la poubelle, on arrêtait définitivement la musique» – et deux albums vont sortir sous le nom raccourci de Marquis en 2021 et 2023.
Malgré le Covid, malgré les deuils et les épreuves. Vaille que vaille, Frank Darcel avançait toujours, la guitare restait nerveuse, le caractère bien trempé, l’envie intacte. Et puis il a été retrouvé mort sur une plage en Espagne ce jeudi 14 mars. On ne le croisera plus au détour d’une rue, au comptoir d’un troquet, dans une salle de concert. Ça fait bizarre. Ça rend triste. Personne ne nous avait prévenus que les menhirs pouvaient partir ainsi.