Gruff Rhys sort ce vendredi Babelsberg, son cinquième album solo. De retour chez Rough Trade après dix ans d’errance, le fondateur de Super Furry Animals a pris le temps de peaufiner l’album le plus politique de sa discographie, quatre ans après la sortie de American Interior. Il a répondu à nos questions avec de longues pauses entre chaque pensée et cet air lunaire qui le quitte rarement.
Babelsberg a bien failli être dépassé par l’actualité. Le cinquième album solo de Gruff Rhys est né dans un contexte politique troublé au Royaume Uni et aux États-Unis, avec le vote du Brexit et l’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche. « Au moment de présenter le disque à Rough Trade, j’ai eu peur que mes paroles ne fassent plus aucun sens, raconte, amusé, l’ancien leader de Super Furry Animals. Elles étaient affectées par la rhétorique politique de l’époque de la composition, en 2016 »
L’engagement politique n’est pas un coup d’essai pour l’artiste gallois. En 2016, en plein référendum sur la sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne, le fondateur du projet électro-pop Neon Neon s’engage en faveur du « remain ». Il chante son amour de l’Europe et d’une société cosmopolite dans I Love EU. Dans la foulée, Gruff Rhys s’enferme dans le studio du producteur Ali Chant à Bristol. Pendant trois jours, lui et ses musiciens répètent les dix titres de l’album et enregistrent une première version de Babelsberg, qu’il confie au chef d’orchestre Stephen McNeff. Les deux hommes ont déjà collaboré sur un projet d’opéra au début de l’année 2016. « Stephen McNeff a une approche très mélodique de la musique, inspirée par l’école minimaliste, raconte le natif de Haverfordwest. Pour Babelsberg, je lui ai envoyé une mixtape de plusieurs disques de pop un peu orchestrale, pour qu’il se fasse une idée. Des disques de Jean-Claude Vannier, Curtis Mayfield ou Bobbie Gentry. Et aussi Steve Reich ! ».
S’il jure ne pas avoir cherché à faire un album politique, Babelsberg est pourtant le miroir de la société occidentale vue par Gruff Rhys. Le chanteur insiste à plusieurs reprises sur la volonté de rendre un album « à la fois simple et personnel, avec un orchestre, mais qui ne sonne pas comme un album de rock symphonique. » Il affiche une nouvelle page plus personnelle de son répertoire. « Ce sont des instants de vie capturés. Il n’y a pas de narration comme dans American Interior, qui était un disque biographique sur la vie de John Evans», explique le Gallois de 47 ans. Sur le morceau Architecture of Amnesia, l’artiste raconte la crise provoquée chez lui par le débat autour du Brexit. « C’est une époque très inquiétante. Avant même le Brexit, le dialogue politique était déjà en crise. C’est aussi pour ça que je ne voulais pas sortir l’album immédiatement. Les évènements auraient pu aller dans une direction complètement différente… Mais non. Malheureusement. » Une chanson comme Frontier Man évoque par exemple le piège du culte de la personnalité et des comportements capricieux.
Politique, Babelsberg l’est jusque dans le choix de sa pochette. Au dos, tandis que la silhouette de Gruff Rhys est dessinée dans un coin, on découvre un étonnant trio attablé à la terrasse d’un gratte-ciel : Jésus Christ, Donald Trump et un serpent humanoïde qui compte des liasses de billets. L’artwork du disque a été confié à l’illustrateur russe Uno Moralez. Ses dessins représentent des scènes sombres et cyniques en pixel noir très détaillées, rappelant les jeux vidéos des années 80. La couverture de Babelsberg surprend. Et Gruff Rhys le premier !
« Je lui avais envoyé quelques suggestions. Je lui ai dit que j’aimais bien les montagnes, les buildings. Et aussi les dinosaures. Lorsqu’il m’a envoyé la pochette j’étais genre : “what the fuck ?!” ». Le chanteur ne s’attendait pas à voir le président américain sur la pochette de son album, mais il a laissé l’artiste-illustrateur aller au bout de sa démarche. « Je n’aime pas donner de la visibilité à Trump, précise Gruff Rhys. Alors je ne vais pas hésiter à lui coller un sticker sur la tronche. »
Charles Delouche Bertolasi