Qui se souvient encore de Shocking Pinks en 2014 ? Artiste mineur pour certains, génie névrosé pour ses plus fervents admirateurs, Nick Harte a traversé la décennie zéro dans un épais brouillard sonique, aussi dense que les idées qui peuplent son esprit. Trois albums mirifiques (deux sur le mythique label néo-zélandais Flying Nun) et une compilation assemblée par les pontes de DFA, puis l’absence. Longue. Très longue. Six années flinguées par l’abus de drogue, une santé défaillante et un séisme de magnitude sept qui frappa sa ville natale, Christchurch, en 2010. Au-delà de la dépression, Nick Harte a tout de même réussi à enregistrer plus de trois cents morceaux, griffonnés entre chien et loup, comme le journal intime d’une errance profonde. Les plus aboutis ont atterri sur ce triple album d’une noirceur inhabituelle. Si le Néo-Zélandais était coutumier d’une pop ankylosée, clairsemée de quelques reflets lumineux, ces rares faisceaux ont aujourd’hui disparu, désagrégés par le traitement opaque qu’a subi sa musique au fil des années.
L’écoute successive des trois mouvements relève de l’épreuve de force, mais tout cela est nécessaire pour comprendre où le songwriter filiforme compte nous balader. On pourrait résumer l’affaire en trois couleurs : gris, noir et blanc. Soit les teintes qu’arborent alternativement ces trois disques. Le climax sépulcral est atteint en milieu de parcours sur des morceaux qui laissent transparaître une nouvelle facette de la musique de Shocking Pinks, abordant une expérimentation sonore proche de Flying Saucer Attack voire de Sunn O))). Pour le reste, on navigue en terrain connu en célébrant des retrouvailles inespérées avec cette voix nonchalante et ce jeu de batterie (son instrument de prédilection) reconnaissable entre mille. Dans la trentaine de morceaux que contient Guilt Mirrors, on trouve des saillies remarquables, parmi les plus belles composées par Nick Harte à ce jour. Des guitares surf de Ten Years au synthétisme à la New Order de Bliss en passant par la lacrymale St. Louis, Shocking Pinks a su conserver une intensité qui a évolué mais n’a pas vraiment été dépréciée par les affres du temps. Et pour les auditeurs qui craignent l’indigestion, le nouveau label du gars a eu la bonne idée de réunir les “meilleurs” titres sur un seul disque.