Une fiévreuse torpeur. À la fois ouatées et rugueuses, les chansons de Bill Callahan semblent être captées sur le vif. Tout comme Damien Jurado, on l’imagine plus volontiers marmonner ses chansons mélancoliques adossé à une baraque à pans de bois que dans le confort d’un studio (même bon marché). C’est pourquoi l’annonce dès la parution de Dream River (2013) d’un éventuel pendant dub en a étonné plus d’un – certains imaginaient déjà l’ex-Smog en dreadlocks et joint au bec. Mauvaises langues. Par ses conditions originelles de production (la Jamaïque, les sixties), le dub a souvent été réduit à un sous-genre du reggae. Pas totalement faux. Mais le rejeton s’est affranchi de la tutelle de l’aîné pour devenir une école à part entière qui, question futurisme, se posait là. L’Allemagne avait Kraftwerk, les Caraïbes avaient King Tubby et Lee “Scratch” Perry : des sons étranges et inouïs, une imagerie iconique, et surtout, un amour immodéré pour la technologie, cette dernière prenant le pas sur le disque original.
D’ailleurs, Bill Callahan paraît absent de Have Fun With God – son chant grave et chaud demeure omniprésent mais de façon fantomatique. Un comble au vu de ce timbre terrestre. C’est que le conteur a laissé les bandes à son vieux complice Brian Beattie, ingénieur du son de la matrice Dream River et présent à ses côtés depuis la cime Sometimes I Wish We Were An Eagle (2009). On ne va pas vous faire un dessin, la voix et les percussions se voient bardées d’échos, l’accent est mis sur les lignes de basse et quelques virgules de guitares magnifient l’ensemble. Comme pour nous contredire, Brian Beattie met en lumière des mots-clés qui renvoient… au reggae, tels “Armageddon” (sur Expanding Dub, la relecture de Javelin Unlanding). Plus loin, les traits d’esprits de l’Américain sont réduits à leur plus simple expression (le fameux “Beer… Thank you”, sur Thank Dub). Manière de souligner que par-delà la narration brillante, les chansons de Bill Callahan sont également une affaire d’ambiances. Altérées, ces dernières ne sont ni sublimées ni trahies. Have Fun With God propose simplement une autre approche de l’œuvre pour en créer une nouvelle. Défi risqué mais brillamment relevé.