Depuis bientôt trois ans, c’est un nom qui circule : Heartworms, nouvelle pépite tendance gothique du rock anglais. La jeune femme a déjà fait les premières parties de The Kills et de Saint-Vincent et son premier album, qui sort en ce début d’année, est le premier choc de 2025. Mais l’autre choc, c’est de converser avec Jojo Orme, jeune Anglais au look innocent, loin des postures de son double scénique. Elle ne cache pas que c’est un costume qu’elle enfile. « En ce moment, je ressens chaque jours de la pression, beaucoup de pression. A cause de mon disque mais aussi du fait d’être exposé ainsi aux yeux du public. » Elle répond pourtant à nos questions en toute décontraction depuis le grenier de sa maison, à West Norwood, dans le sud de Londres. Autour d’elle, dans ce qu’elle appelle son bunker, des instruments de musique, quelques livres aux belles reliures et des peluches. Rien d’extravagant. Mais attention, avec Heartworms, il faut se méfier des apparences !
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire des chansons, de jouer de la musique ?
Je suis quelqu’un de créatif, j’ai toujours eu besoin de trouver un moyen pour m’exprimer. Je ne peux pas garder tout enfermer en moi. J’ai commencé par jouer de la guitare, je gratouillais des trucs du genre Hey There Delilah (une chanson de Plain White T’s, un groupe pop punk américain du début des années 2000) et puis j’ai écrit mes premières chansons alors que je vivais en auberge de jeunesse. C’est à partir de là que je me suis senti plus motivé pour continuer à faire de la musique. Avant, jouer de la guitare, c’était un hobby. Je ne pouvais pas l’envisager comme un métier. Je voulais être traductrice en allemand, j’adore la langue allemande, ses sonorités, la façon de la parler. Et puis la musique a tout changé. Je ne sais pas bien jouer de la guitare, je ne le saurai jamais, mais quand j’ai réussi à jouer correctement tout en chantant, je me suis dit que ça pouvait le faire.
Vous êtes partie de chez vous à 14 ans, vous avez tourné le dos à votre mère… Dans quelle mesure cela a nourri votre musique ?
Ah, ma maman. Je l’aime tellement même si nous ne serons jamais d’accord ! Elle a été une vraie source d’inspiration. Sa façon d’être… Je ne dirai jamais du mal d’elle parce qu’elle a toujours été d’une grande aide. C’est juste que parfois les gens peuvent être difficiles. Mais, au fond, j’ai quitté la maison tôt parce que je voulais faire mon propre truc, suivre mes propres choix. C’est tout.
À 14 ans quand même…
Vous seriez surpris de voir à quel point on peut être très indépendant à 14 ans ! Surtout quand la vie à la maison ne vous permet pas d’être libre. Cela aurait été dangereux pour moi de rester. Si j’étais restée confinée là sans pouvoir partager qui j’étais et expérimenter la vie comme j’étais censée le faire, je ne serais probablement pas là où je suis aujourd’hui. Donc je suis reconnaissante à ma mère de m’avoir donné le courage de partir… Nous sommes très semblables, deux fortes têtes avec des opinions très arrêtées. Et nous étions en train de nous écraser mutuellement. Cela m’a donné depuis tellement de matière pour chanter ou écrire des poèmes, toutes ces émotions, tous ces souvenirs…
Vous écrivez aussi de la poésie ?
Je me sens plus poète que musicienne. J’aime la liberté qu’offrent les mots. C’est comme aménager une pièce en y ajoutant ce qui sonne bien, une image par ci, une émotion par là. Je n’arrive pas à faire ça avec des instruments. J’ai appris la basse et la guitare en autodidacte, je joue un peu de piano et de batterie électronique, tout ce qui donne le son de Heartworms. Ce n’est pas très sophistiqué même si ça sort des sentiers battus. Je lance des idées qui sonnent bien. Cela ne doit rien au hasard, cela a un sens même si je ne sais pas toujours ce que je fais.
Chez vous, les mots arrivent avant la musique…
Cela dépend. Parfois, les instrumentaux sont composés et j’écris les mots par-dessus. En fait, c’est très rare que j’utilise mes poèmes pour en faire des chansons. Je préfère les garder pour un futur livre. La poésie, c’est Joséphine, un autre partie de moi, mon côté Dr Jekyll. Et les chansons, c’est Heartworms, Mr Hyde. C’est comme si j’avais un interrupteur en moi. Je peux passer très rapidement de Josephine, quelqu’un de très émotif, toujours inquiète, toujours anxieuse, qui pleure après un concert à Heartworms que rien n’atteint.
Heartworms, c’est en quelque sort votre double gothique et sombre. C’est une définition qui colle bien à votre musique, non ?
Je n’ai pas grandi avec ce genre de musique. A la maison, ma mère écoutait plutôt Hot Chocolate, Fleetwood Mac, Michael Jackson, Prince… Beaucoup de musiques arabes et égyptiennes aussi. Je n’ai découvert le post punk qu’à l’université, avec les gens avec qui je traînais à Londres. J’ai commencé à écouter Cure, Siouxsie and The Banshees et je suis tombé amoureuse de cette culture gothique, je me suis reconnue dedans. Je voulais être sombre et ne pas avoir peur de l’être.
Est-ce vraiment une part de votre personnalité ou un costume que vous enfilez avant de monter sur scène comme une actrice ?
On peut très bien jouer un rôle et être vrai. Pour moi, c’est une façon de canaliser une part de moi. Avec Heartworms, je montre que je suis forte. Je ne le suis pas toujours mais je peux l’être, je l’exprime sur scène dans ma façon de m’habiller, de chanter. Vous savez, on joue tous plus ou moins un rôle dans la vie, on ne montre jamais totalement qui on est vraiment. Etre sombre, c’est ne pas fuir ses émotions mais les canaliser et être en accord avec elles. Je pourrais ne chanter que l’amour de manière pop et légère, c’est très bien de le faire, mais ce n’est pas la seule émotion qui compte pour bien comprendre ce sentiment.
C’est ce dont parle votre album ?
Complètement. Ce disque traite de la manière dont nous tous, êtres humains, sommes attirés par la souffrance. Et quand je parle de souffrance, cela peut être souffrir en se forçant à être heureux. Ce n’est pas un album joyeux mais il n’est pas non plus complètement triste. Je pense qu’il y a même un peu d’espoir dedans.
Comme dans la dernière chanson, plus acoustique et lumineuse, qui reprend d’ailleurs les paroles d’un morceau du début de votre disque…
Oui, il y a d’un côté Glutton for Punishment qui finit l’album et Just to Ask To Dance au début qui sont comme les serre-livres du disque. Elles se répondent l’une à l’autre et je trouvais génial d’avoir une chanson avec le même refrain au début et à la fin de mon disque.
Puisez-vous l’inspiration pour vos chansons avant tout dans votre vie et vos émotions ?
Elles ne parlent pas toutes de moi, pas du tout. Elles viennent toute de moi, évidemment, mais elles s’inspirent de ce que j’observe autour de moi, de l’histoire militaire par exemple, de la guerre. La guerre est quelque chose que nous ne devrions pas ignorer. Personne n’a envie d’en entendre parler mais il ne faut pas oublier que l’histoire peut se répéter. Enfin, comme le disait Mark Twain, l’histoire ne se répète pas mais elle rime. C’est pour cela qu’il faut évoquer la guerre pour ceux qui ne l’ont pas connue, pour que personne n’oublie ce que c’est et que ça peut arriver à nouveau.
Vous avez plusieurs chansons qui l’évoquent sur votre album, notamment Warplane. Vous êtes même devenue bénévole au musée de la Royal Air Force à Londres. D’où vous vient cette passion ?
Du ciel et ça atterri jusqu’à moi ! La première fois que j’ai vu un Spitfire, c’était dans un documentaire sur Alan Turing (scientifique de génie, un des pères de l’informatique, qui déchiffra notamment Enigma, la machine de codage utilisée par les nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale). Tout de suite, ça m’a impressionné. J’ai eu envie d’en savoir plus. À l’époque, je voulais savoir tout sur tout. J’ai juste tapé Spitfire dans un moteur de recherches et je suis tombé sur ce documentaire… C’était magnifique. La scène d’ouverture, l’avion qui traverse les nuages, on l’entend puis on le voit lentement arriver et puis par-dessus les témoignages de pilotes de l’époque. Ils racontaient ce qu’ils ressentaient aux commandes, l’impression qu’ils avaient de voler sur une plume. Vraiment, cela m’a touché en plein cœur.
A tel point que vous avez écrit cette chanson sur ce pilote de Spitfire. Ce n’est pas pourtant pas un thème habituel pour une chanson…
Clairement non mais l’histoire de ce pilote, William Gibson Gordon, mérite d’être racontée, comme celle de tous ces jeunes hommes de 18, 19, 20 ans qui sont morts injustement à la guerre. Cela peut paraître étrange d’écrire une chanson là-dessus mais c’est ma manière de faire pour que cette histoire soit entendue. Je comprends bien que certains ne veuillent pas l’écouter, ils préfèrent vivre dans un monde où tout est rose mais ça n’existe pas. Il faut aussi appréhender la tristesse de ce monde pour vraiment l’apprécier. C’est une histoire d’équilibre. Il faut ressentir cette tristesse, la gérer et la surmonter comme le font tous les êtres humains.
La musique sert aussi à alléger notre quotidien…
Tout à fait. Pour ça, j’écoute de la musique classique. C’est mon remède personnel. Mais j’ai toujours vécu en pensant que la vie était compliquée. Quand ça devient trop facile, j’ai l’impression d’en perdre le sens. Ça vient sûrement de la manière dont j’ai grandi. J’ai toujours été habituée à marcher sur des œufs, en me disant que quelque chose allait me tomber dessus au coin de la rue. Il y a toujours quelque chose à craindre.
Au fait, pourquoi avoir choisi ce nom, Heartworms, plutôt que votre vrai nom ?
Je veux faire du théâtre, je veux être poète et je préfère garder mon nom, Josephine Orme, pour ces activités. Heartworms, je trouve que c’est à la fois amusant et sombre et puis c’est une référence à l’un de mes chansons préférées des Shins. J’adorerais, un jour, faire leur première partie.
Leur musique est pourtant très éloignée de la vôtre…
Mais je ne suis pas qu’une gothique post-punk. Je suis aussi douce et émotive. La chanson Celebrate sur mon album est très inspirée par The Shins. Je peux même imaginer James Mercer la reprendre, ce serait formidable. Elle collerait bien à part peut-être la fin.
Si on parle de références, quand j’écoute Smugglers Adventure, j’ai l’impression d’entendre la PJ Harvey de To Bring you My Love…
Merci ! J’adore cet album. Je me souviens la première fois que j’ai écouté Working for The Man, j’ai été littéralement cloué sur place. Je n’avais jamais entendu une production pareille.
Votre premier album, qui sort sur Speedy Wunderground, est produit par Dan Carey (Fontaines DC, Wet Leg, Squid). Comment l’avez-vous rencontré ?
Pendant la pandémie, je l’ai suivi sur Instagram et il m’a suivi à son tour. Et puis il m’a envoyé des fichiers audios d’instrumentaux parce qu’il aimait ma voix. J’ai chanté cette chanson que l’on peut trouver sur SoundCloud, Take One For The Family, nous sommes devenus amis et un an plus tard, je signais sur Speedy Wunderground.
Qu’est-ce qu’il vous apporté pour votre premier disque ?
Beaucoup de choses. Il a réussi à donner vie à ma musique comme elle devait être. Il savait exactement ce dont il y avait besoin. Il n’a pas changé Heartworms mais il a… Comment dire… C’est comme s’il avait enlevé le film plastique qui la recouvrait. Mais personne n’a interféré sur ce disque par ailleurs.
Qu’est-ce qui vous aviez posté sur Instagram pour attirer ainsi son attention ?
Oh je me tenais juste devant un micro dans ma chambre, on ne voyait même pas mon visage et je fredonnais une mélodie. (Elle chantonne) Mmmm Mmmm… Avec un peu d’écho dans la voix. Tout était filmé en noir et blanc. Tout mon Instagram est en noir et blanc de toute façon. Et ça a plu à Dan qui m’a écrit ensuite via Messenger. Tout est arrivé si naturellement, comme si ça tombait du ciel.
Que cherchiez-vous en postant ces vidéos sur Instagram ? A vous faire repérer par un label ?
Oh non. Je traversais une période compliqué à l’époque alors j’avais besoin de poster ma musique. Enfin, ma musique… C’était juste des sons et de la poésie avec des images en noir et blanc. Il n’y avait pas vraiment de thèmes, je faisais selon mes envies. Je pouvais poster des photos de fenêtres. C’était juste ma manière de m’exprimer.
Et quand avez-vous découvert que vous aviez une voix particulière, qui pouvait retenir l’attention ?
Tout récemment, l’année dernière je pense…
Pas avant ? J’ai du mal à y croire…
Non vraiment. Je n’aime pas ma voix sur mon premier EP. Je la déteste même. Mais en écrivant et en enregistrant mon album, l’année dernière, j’ai réussi à l’utiliser d’une manière que j’ignorais. Je me suis rendu compte qu’elle s’améliorait, qu’elle avait quelque chose de spécial, que je pouvais atteindre certaines notes. Disons que j’ai mis du temps à admettre que j’avais une belle voix. J’ai toujours tendance à me sous-estimer. C’est comme ça, c’est ma manière d’être.
Mais ça doit être compliqué pour vous en concert…
Ce serait terrible, terrifiant même, si je restais Josephine. Mais sur scène, je deviens Heartworms et je suis prête à conquérir le monde entier. J’ai le sentiment de pouvoir tout tenir dans le creux de ma main. Quand le public me regarde, que la chanson commence et que je me mets à danser, j’adore ça. Je profite de chaque concert à fond.
Heartworms sera en concert à Rennes le 27 février dans le cadre de la Route du Rock Hiver, le 28 février au Portobello Rock Club à Caen et le 1er mars au Petit Bain à Paris.