Maud Lübeck et Alain Chamfort ont partagé la même scène lors de la dernière édition des Francofolies de La Rochelle en juillet dernier. Le titre "À deux" issu de l'album "Divine" de Maud Lübeck, réenregistré avec la voix d’Alain Chamfort, est sorti à l’occasion de la Fête de la musique. Visiblement les deux artistes ont beaucoup de points communs. De ce premier essai est née une amitié. Interview croisée.
D’où vient cette idée de réenregistrer le titre À deux et comment vous êtes-vous rencontrés ?
Alain Chamfort : Nous nous sommes rencontrés par l’intermédiaire de Frédéric Lo.À l’époque il travaillait à la réalisation de mon album. Il travaillait aussi à un projet avec Maud. Et puis ensuite Marc Lumbroso qui est l’éditeur de Maud m’a contacté pour me demander si j’avais écouté son dernier album et m’a proposé de faire un duo avec elle. J’avais été particulièrement touché par le titreÀ deux qui a quelque chose d’immédiat. Fait du hasard, c’est ce titre-là que Marc m’a proposé de chanter avec Maud. J’ai donc été partant.
Maud dans quel état étais-tu ?
Maud Lübeck : Plus que ravie… C’était quelque chose d’un peu fou pour moi de chanter avec Alain. Je n’ai jamais eu l’occasion de lui dire mais j’ai été très touchée qu’il accepte. Le moment le plus fort, c’est lorsque j’ai entendu sa voix pendant l’enregistrement sur le morceau. A l’origine j’ai fait un enregistrement solo pour l’album mais j’avais aussi cette envie de le faire avec quelqu’un. Il y avait aussi cette date de première partie d’Alain Chamfort à la Rochelle qui arrivait et qui représentait quelque chose d’important pour moi. J’ai souhaité quelque part laisser une trace de cela avec ce duo.
AC : Il ne s’agissait pas de faire un duo juste pour la forme cela aurait été un peu ridicule… La chanson s’y prêtait particulièrement. Il fallait un contexte, un prétexte et ce titre À deux le justifie totalement. Et puis l’univers intimiste de Maud est assez proche du mien.
https://www.youtube.com/watch?v=Y1WzBWAciw8
À deux décrit la peur d’être seul et la peur d’être à deux, c’est au final peut-être votre source d’inspiration principale à tous les deux.
AC : Oui… C’est vrai que c’est toujours un peu inquiétant de se lancer dans une nouvelle histoire parce que bien souvent les expériences passées nous amènent à nous dire qu’il y a toujours une part de risque, que l’on la calcule lorsqu’on a vécu quelque chose d’un peu traumatisant auparavant.
Alain, lors de ton concert tu as évoqué des sujets très intimes dans tes chansons. D’autres traitent de sujets de société importants, que tu saupoudres ici et là de chansons plus légères. Ca crée un concert avec une multitude d’ambiances. À l’inverse Maud, il y a une certaine linéarité où le sentiment amoureux est le fil directeur.
AC : C’est le temps. Lorsqu’on chante depuis longtemps comme moi, on est obligé d’explorer des choses différentes et sortir de son petit univers qu’on se doit de bousculer, dépasser. Lorsqu’on construit un tour de chant avec la carrière qui est la mienne inévitablement il y a des chansons qui sont très très différentes entre elles. Ce concert est juste à l’image de ma vie, il est cohérent avec ma carrière.
ML : Je crois que les albums autofictionnels vont devenir ma marque de fabrique… Il y a effectivement un fil directeur entre mes albums et plus particulièrement avec les deux derniers qui créent un diptyque. Le prochain risque d’être également du même acabit. Une chanson c’est tellement court. J’aime bien m’imposer un thème et me dire que j’ai 9neuf ou dix chansons pour l’explorer.
Nous sommes aux Francofolies de la Rochelle mais avez-vous déjà chanté en anglais ?
AC : Oui sur un texte de Jane Birkin qui s’appelait Let Me Try Again sur l’album Poses en 1979. C’est un album que j’ai fait avec Gainsbourg. J’ai trouvé que cette musique méritait un texte en anglais à l’époque. Je ne sais pas pour quelle raison… Je n’ai pas renouvelé l’essai car je pense que la langue française, musicalement parlant, permet beaucoup de choses. C’est une langue qui permet de s’exprimer avec énormément de subtilité, ce qui est beaucoup moins facile en anglais. On a un vocabulaire beaucoup plus riche aussi qui permet de travailler sur des degrés très différents. Mais ça reste beaucoup plus compliqué d’écrire une bonne chanson en français qu’en anglais.
ML : Je n’y ai jamais pensé pour ma part. Si tu m’entendais parler en anglais, tu comprendrais. C’est une catastrophe ! Et puis, je pense que la langue maternelle, c’est la langue des émotions, non ?
Alain, tu composes mais tu laisses le travail d’écriture à des paroliers alors que toi Maud tu écris et composes. Quelle est ton rapport à l’écriture Maud ?
ML : Je fais tout en solitaire. Je travaille seule, j’arrange seule, j’enregistre seule chez moi. C’est vraiment un travail que je fais dans ma bulle. Je ne me vois pas vraiment collaborer pour l’instant. Par contre, l’idée de collaborer sur des projets d’autres personnes, par exemple écrire pour d’autres, composer, j’adorerais parce que j’aime l’idée de travailler avec quelqu’un. Sur mes projets, ça me semble compliqué… En général, c’est toujours dans un état d’urgence que j’amorce mon travail et dans ces moments là, mieux vaut me laisser seule…
https://www.youtube.com/watch?v=UqudYbnfvQc
Maud, on te sent accompagnée d’une petite tribu autour de toi : Maissiat, Katel, Robi. Est-ce que leur avis est important lorsque tu travailles tes chansons ? Alain l’avis des autres ça compte dans le processus de création ?
ML : Maissiat et Edward Barrow ont été les deux personnes à qui je faisais écouter l’avancée de mes chansons de l’album Divine. Je les ai d’ailleurs invités à faire les choeurs sur l’album. Mais il y a très peu de personnes autour de moi lorsque je travaille. Je me disperse très peu lorsque que je suis en création. Je peux avoir besoin d’une oreille extérieure sur les arrangements mais un peu plus tard.
AC : Seul mon avis compte et celui de l’auteur. C’est tellement intime une chanson que l’avis de mes proches par exemple ne compte pas. Je préfère bien évidemment lorsqu’ils apprécient ce que je fais mais en aucun cas je ne leur demande un avis sur ce que je suis entrain de réaliser. Je donne souvent comme conseil aux jeunes artistes de ne pas prendre en compte les remarques des autres sinon on n’en sort pas et c’est vite l’enfer. Une chanson, c’est personnel. C’est un jardin secret. L’avis des uns et des autres ne doit pas interférer à ce moment-là. Quand j’ai signé mon contrat chez CBS après avoir travaillé avec Claude François, j’ai demandé à ce qu’il n’y ait pas de directeur artistique qui vienne mettre son grain de sel dans mon travail parce que évidemment, on est tenté de les écouter. On est mieux seul pour créer.
La programmation des Francofolies est un peu représentative de l’état de la musique francophone avec l’hégémonie des musiques urbaines assez représentées. Comment résiste votre musique ? Alain, penses-tu que ce soit plus difficile pour la génération de Maud ?
AC : Si l’on prend le cas de Gainsbourg par exemple, il a mis beaucoup de temps à percer. Il a gardé son style, est resté impopulaire pendant des années et des années et à un moment sans raison apparente, le public a accepté sa musique. Parfois il ne faut pas chercher à tout prix le succès rapide.
ML : Je pense qu’il y a un public pour cette chanson. J’aurais tendance à penser que le problème vient des diffuseurs, des passeurs… J’ai eu de très bons retours sur cet album par la presse et le public mais il y a un endroit où ça bloque. Par exemple, je ne passe pas en radio et je n’ai pas de tourneur… Mais heureusement il y a des miracles aussi. Gérard Pont qui me programme aux Francos, c’en est un.
Propos recueillis par Benoît Crévits