Impossible à pronostiquer, l'exceptionnel buzz du single "Chaise Longue" a fait des Anglaises Wet Leg une sensation dès le berceau. À l'heure du premier album, analyse des pouvoirs d'attraction du duo.
«Cette chanson a l’air tellement naturellement cool que, si c’était une personne, je n’aurais jamais le cran de l’aborder en soirée». La formule est jolie. C’est un commentaire YouTube parmi les plus plébiscités sous le clip du premier single de Wet Leg. Depuis la sortie de Chaise Longue en juin 2021, les Anglaises Hester Chambers et Rhian Teasdale ont appris à mesurer l’effet de leur tube chez ceux qui l’ont croisé : le magnétisme tranquille, le charisme presque accidentel d’une song next door. Douze millions de streams sur Spotify pour des guitares en colimaçon et d’hilarantes bêtises griffonnées sur un coin de table. Personne n’avait vu le coup venir, pas même les intéressées qui, en interview, semblent presque s’en excuser. Alors que l’album (après quatre autres singles retentissants) s’apprête à se faufiler dans cette brèche ouverte dans le plafond de l’indé, voici ce que raconte cette improbable percée.
1. Désengagement et déconfinement
Dans l’interview-portrait du duo qui ouvre notre revue trimestrielle, Wilfried Paris parle de Chaise Longue comme d’une «petite bulle de défection dans un monde épuisant», citant le désengagement du héros Bartleby d’Herman Melville comme référence, sorte d’ombrelle philosophique sous laquelle on imagine très bien se prélassant, en signe de protestation face aux sommations et au naufrage de notre société, l’ode à l’indifférence de Wet Leg. Difficile de ne pas voir dans Chaise Longue ce creux réconfortant où une bonne partie de la jeunesse irait loger son ras-le-bol et étendre son hédonisme passif. Un transat pour se couper de l’anxiété, donc, mais aussi un trampoline (tendu à bloc entre la basse et la batterie) pour tout envoyer valser après deux années de mouvements empêchés. Il y a l’un et l’autre dans ce premier single qui prend d’un coup deux libertés.
2. «Prendre du plaisir et s’amuser»
“Excuse me (what?) / Excuse me (what?)” Cette petite virgule qui ponctue les couplets de Chaise Longue est l’occasion d’un jeu de questions-réponses entre la voix de Rhian et celle plus discrète d’Hester. Sur scène, c’est aussi l’un des moments où leurs regards ne manquent jamais de se croiser. Pétillants, espiègles, jusqu’à laisser échapper un grand rire ou tout faire pour le contenir. C’était le cas sous le barnum du Green Man Festival, au Pays de Galles l’été dernier. De nouveau sur le plateau de Jimmy Fallon pour leur première télé américaine il y a quelques semaines. Même chose en interview où, quand ils ne fuient pas en direction de ses chaussettes, les yeux timides d’Hester semblent toujours chercher une étincelle d’hilarité dans ceux de sa camarade. Manière de rester fidèle à la seule épigraphe de Wet Leg telle qu’établie en 2019 : «prendre du plaisir et s’amuser», comme elles l’ont confié au NME. Il n’existe probablement pas d’ambition plus modeste. Mais n’est-ce pas la promesse sur laquelle se sont bâtis les plus solides entichements entre la pop et son public ?
3. Like and share
Pavement – ou plutôt le département marketing de son label – l’a bien compris récemment : s’il y a une vague qui gonfle et que les artistes ont tout intérêt à prendre, c’est TikTok (voir notre rubrique Stream Life du Magic n°223). Forte de plus d’un milliard d’utilisateurs, l’application de partage vidéo est présentée comme une nouvelle friche artistique doublée, semble-t-il, d’un sac de nœud algorithmique où des morceaux plus ou moins vieux et confidentiels se découvrent avec surprise une nouvelle célébrité auprès des moins de 25 ans. Wet Leg fait partie de ces rares groupes indé qui ont déjà misé sur cet outil promo en alimentant un compte avec plusieurs dizaines de «contenus». Extraits de concerts, gags, aperçus du quotidien : 240 000 abonnés accèdent aux coulisses de Rhian et Hester par tranche de quelques secondes. C’est – pour vous faire une idée – deux fois plus que sur leur Instagram et dix fois plus que sur leur Facebook.
Notre chronique de l’album est à lire ici.