Entretien avec Maxime Chamoux, pilote du projet Pharaon de Winter, dont l'album "France Forêts" tire une partie de son inspiration de faits divers sordides.
Maxime Chamoux a plusieurs casquettes. Les plus pointus des fans d’indie pop se souviennent peut-être de (Please) Don’t Blame Mexico. Les autres ont certainement entendu (et même lu) l’enquête qu’il a co-écrite en 2019 pour Society sur Xavier Dupont de Ligonnès.
Un pied dans la musique, un autre dans le fait divers : c’est le fil rouge de France Forêts, son deuxième album sous le nom de Pharaon de Winter, un nom emprunté à un personnage de L’Humanité, un film de Bruno Dumont (1999) qui lui-même le tirait d’un peintre originaire de Bailleul dans le Nord.
Dans les chansons de France Forêts, on croise les ombres d’Émile Louis, « le boucher de l’Yonne », de Jean-Claude Romand, de Natascha Kampusch. Un dessin représentant Jean-Pierre Treibert, « l’homme des bois », qui a tué la comédienne Géraldine Giraud, illustre la pochette du disque.
Un disque fait pour le Nouveau détective ? Non, pas du tout. Il est même franchement Magic dans ses sons et ses influences pop et moderne. Maxime Chamoux nous le présente.
MAGIC : Pourquoi se servir de faits divers sordides comme trame de chansons d’un album pop ?
Maxime Chamoux : J’ai grandi dans l’Yonne dans les années 1990 en même temps que de nombreux faits divers spectaculaires : Émile Louis, l’affaire Treiber, Fourniret aussi qui était passé dans le coin. Quand tu es au collège et au lycée, ce sont des choses qui marquent. Tu grandis en ayant conscience que le mal peut être dans la maison d’à côté et peut avancer sous le masque de la banalité.
MAGIC : Il n’y a ni voyeurisme ni sordide dans vos chansons…
M.C. : Ce qui m’intéresse, c’est comment des gens se retrouvent dans des situations intenables, acceptent de vivre l’invivable, se mettent en prison eux-mêmes… Le défi, c’est de raconter sans empathie ce qu’il y a d’universel dans ces situations, le moment où ça peut parler à tout le monde, où ça frappe dans le ventre. Pour écrire ces chansons, j’ai voulu faire appel le moins possible à des choses vécues – je n’ai jamais tué ni séquestré personne – en essayant de trouver ce qui me touchait justement et de le communiquer aux autres.
Le défi, c’est de raconter sans empathie ce qu’il y a d’universel dans ces situations, le moment où ça peut parler à tout le monde, où ça frappe dans le ventre.
MAGIC : C’est le sens de la première chanson, L’Habitacle qui ouvre l’album ?
M.C. : C’est sur l’affaire Jean-Claude Romand, cet homme qui s’était inventé une vie et finira par tuer toute sa famille. On ment tous un peu, on s’arrange avec nos propres vies mais lui, il fait semblant tout le temps. Je l’imagine en train de regarder le pare-brise, il se retrouve face au vide. C’est vertigineux.
MAGIC : Le disque n’est pas que 100 % macabre, il y a aussi des chansons d’amour…
M.C. : Une chanson comme Une Statue pour Nigel évoque, c’est vrai, le sentiment amoureux. C’est l’histoire d’un Fou de Bassan qui semble décider à mourir d’amour, ça s’inspire d’un article que j’avais lu. L’aventurière, ça évoque l’admiration que j’ai pour une personne qui a partagé ma vie. La Vidéo m’est venue pendant les débats autour de la Var dans le foot. Je me suis dit que ce serait parfois pas mal de revoir certaines situations conflictuelles de nos vies pour bien comprendre ce qui s’est passé.
MAGIC : Est-ce que, pour ces chansons, ce sont d’abord les thèmes, les paroles qui se sont imposées à vous ?
M.C. : Pas du tout ! J’ai beaucoup de mal avec les paroles, je suis avant tout un mélodiste. Quand j’écris des dialogues, je le fais pour des personnages. Dans les chansons, je dois transmettre quelque chose qui relève du sentiment, qui est plus personnel. C’est toujours une vraie séance de torture.
MAGIC : Musicalement, quelles sont vos influences ?
M.C. : Comme sur le précédent album, la variété française des années 1970 et 1980, élégante et ambitieuse. Même si je pense que sur France Forêt, il y a un côté plus rêche et anguleux. Disons que c’est à la fois brut dans le son, l’interprétation mais aussi orchestré et sophistiqué.
Mes influences : la variété française des années 1970 et 1980, élégante et ambitieuse.
MAGIC : Il y a toujours un côté William Sheller…
M.C. : Peut-être sur ma façon de chanter mais moins que sur le précédent. Non, mon influence principale, ça reste Gérard Manset, la seule grande rock star française, le seul à avoir maintenu un mythe autour de lui en France. Dans la production, j’ai aussi été influencé par Deerhunter et Cate Le Bon. Mais mon idée, ça reste de faire une musique qui ne soit pas anglo-saxonne. C’est pour ça que j’aime beaucoup le krautrock, les musiques italiennes et brésiliennes ou encore un groupe comme les Nits.
MAGIC : Qu’est ce qui se cache derrière le titre de l’album France Forêts ?
M.C. : Ça ressemble presque au nom d’une personne. France pour faire comme je viens de l’expliquer une musique qui n’est pas anglo-saxonne et forêts parce c’est le lieu des faits divers, l’endroit où l’on est en liberté, à l’abri des regards. C’est aussi un endroit libératoire de pulsions. Pour expliquer au groupe ce que je souhaitais, j’avais tendance à dire que mon album précédent était bleu et celui-ci était brun, comme la terre. Il fallait qu’on joue comme si on était au milieu d’une forêt.
MAGIC : Mission accomplie ?
M.C. : Ça va paraître très prétentieux mais je suis confiant dans la qualité de ce disque. Je suis aussi conscient que l’époque n’est pas à ce genre de musique. Il ne sonne pas comme ce qui se fait maintenant. J’ai un rejet de la production doudou cocooning qui a cours actuellement. Je n’en attends rien commercialement, mais je me dis que ce disque finira par être apprécié un jour ou l’autre.
PHARAON DE WINTER
France Forêts
(VIETNAM / BECAUSE) – 22/10/2021