Julien Bourgeois pour Magic

Sur leur premier album, éponyme et paru fin 2018, Parcels s'est imposé comme l'un des groupes les excitants du moment. Héritiers des grands sons des années soixante-dix, les Australiens avancent sans complexe et n’hésitent pas à réinventer leur répertoire dans un temps accéléré qui est celui de leur époque. Comme le prouve encore aujourd'hui ce Live Vol.1 paru le 30 avril dernier.


Un article initialement paru dans le numéro 212 de Magic


Overnight démarre avec sa mélodie extrêmement funky et estivale, son synthé rétro en rupture et sa ligne de basse ronde et catchy. La foule s’enthousiasme, incapable de se retenir de danser face au tube imparable et exquis de Parcels, composé en juin 2017 en collaboration avec les légendaires Daft Punk, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo. La même scène a eu lieu à Milan en juillet 2018 et, cinq semaines plus tard en août, au Touquet (Hauts-de-France). Une même chanson, deux festivals d’été mais deux prestations totalement différentes. Elles illustrent le désir de mouvement et l’inventivité de ces cinq gamins australiens qui dépassent péniblement vingt ans de moyenne d’âge. En Italie, le quintette étire son titre dans un élan furieusement disco-pop, toutes guitares dehors, avec un rythme effréné, seulement soutenu par des synthés d’une clarté resplendissante. Dans le Pas-de-Calais, changement de direction. À la fin du morceau, le guitariste Jules Crommelin abandonne sa six cordes, bidouille ses pédales d’effets et fait basculer le morceau dans une escapade électronique au cœur de la French Touch. À chaque fois, la même précision sidérante, doublée de l’aisance impeccable de Parcels. L’une et l’autre scotchent un public d’abord surpris par tant de précocité et de puissance mélodique, puis réceptif devant cette infinie facilité. Mais le cas d’Overnight est loin d’être isolé : sur scène, la formation venue de Byron Bay, petite ville réputée pour les vagues qu’elle offre aux surfeurs, la plus à l’Est de l’Australie à 800 kilomètres au nord de Sydney, s’amuse à triturer ses propres morceaux, parfois jusqu’à la transformation totale. «On fait ça très souvent !», confirme le batteur Anatole «Toto» Serret, de passage à Paris en compagnie du reste du groupe, les claviéristes Patrick Hetherington et Louie Swain, le bassiste Noah Hill et le chanteur-guitariste Jules Crommelin, sosie officiel de George Harrison (période Let it be). À presque chacun de nos concerts, c’est le cas, renchérit ce dernier. On souhaite toujours rester en mouvement pour devenir meilleurs. Quand nous regardons des concerts anciens, on se dit : “Oh fuck, c’est vraiment mauvais”, donc on bosse sans relâche.» «Si vous jouez la même version d’une chanson pendant deux ans, vous allez vous éteindre, poursuit Patrick Hetherington. Mais, même avec un petit changement, votre cerveau se réveille et vous êtes beaucoup plus actif sur scène.»

En première partie de Phoenix à l’AccorHotel Arena, dans une Cigale en transe en novembre 2017, l’année dernière au We Love Green ou aux quatre coins du monde, Parcels se met en difficulté à une période – le début de carrière – où la majorité des autres formations préfèrent jouer la sécurité. «On prend surtout des risques en répétition, quand il est temps de décider de notre direction, tempère Anatole “Toto” Serret. Mais dès que nous jouons face au public, nous faisons très attention.» «On a connu des échecs terribles», se souvient Jules Crommelin. «Des échecs relatifs, coupe Noah Hill. Quelque part entre “ç’aurait pu être mieux” et “c’était complètement raté”. Et surtout, on apprend à chaque fois.» Ce désir de nouveauté et de découverte, les Parcels l’ont depuis toujours. Leurs parents sont professeurs de musique, musiciens ou détiennent des tonnes de vinyles. Depuis le début de leur adolescence, ils écoutent tous les styles, les décryptent, les analysent, ingurgitent le maximum d’influences. Au lycée, le groupe est déjà dans sa configuration actuelle. En 2014, ils trouvent le nom «Parcels», en hommage au nom du café-pâtisserie tenu par les parents de Louie Swan, qui abandonnent le garage de l’établissement à la formation pour ses répétitions. Elles permettent aux Australiens, fans absolus du duo américain Steely Dan, d’affiner leur style collectif en permettant à chacun d’apprivoiser son instrument. Si tout semble limpide pour les musiciens à chaque concert, ces sessions y sont pour beaucoup. À chaque fois, leur cohésion impressionne et se double d’une bonhommie contagieuse. L’énergie déployée sur scène est «aussi importante» que la composition de nouveaux morceaux, selon Jules Crommelin. «Voir la réaction de la foule est vraiment inspirant dans la composition de nos chansons», appuie Anatole «Toto» Serret.

Métamorphoses

Même en studio, Parcels rejette le confort. Entre la sortie de son EP, Hideout, en 2017 – leur deuxième en réalité après Clockscared en 2015, mais introuvable aujourd’hui même sur Spotify – et leur premier album, les Australiens ont fait évoluer leur funk abrasif au groove rétro-moderne vers des expérimentations plus pop, voire folk. En seulement un an, signe d’une trajectoire fulgurante, que seuls peut-être les Anglais de Shame peuvent suivre cette année. «C’est grâce à un travail d’introspection, estime Jules Crommelin. Et en nous mettant beaucoup de pression». «Je m’ennuie très vite quand je vois des gens faire la même chose, poursuit Patrick Hetherington. Nous sommes un peu hyperactifs. Quand on entend trop souvent quelque chose, on se doit de le changer.» L’enregistrement de Hideout s’est organisé autour d’une idée : imaginer cinq titres pour faire danser les auditeurs. Mais les mutations opérées en live ont bousculé cette volonté initiale et produit une oeuvre plus hétérogène et nuancée même si, à quelques endroits, certaines mélodies (notamment l’imparable single Tieduprightnow ou l’irrésistible Closetowhy avec sa guitare roucoulante et ses synthés coruscants) confirment ce talent inné pour provoquer instantanément une irrésistible envie de sautiller sur place. «On a essayé de sortir du cadre dans lequel les gens nous mettaient, je pense, affirme Jules Crommelin. Dès qu’ils entendent une chanson, ils vont se dire “OK, ce groupe, c’est ce son-là”. Et la réaction immédiate d’un musicien est de se dire “je veux faire quelque chose de différent”. Aucun musicien ne veut être mis dans une case.» Avec des guitares célestes, des basses fascinantes, des synthés scintillants, des rythmiques ultra-efficaces, Parcels, grâce à ses efforts sur scène et son rythme de tournées, a rapidement réussi à définir un style propre, immédiatement reconnaissable. Difficile de le rattacher à un courant. Ces métamorphoses dessinent une croissance rapide. Les salles s’agrandissent, les médias affluent.

«C’est un peu effrayant, reconnaît Jules Crommelin, mais en même temps, c’est ce que nous voulons faire. Nous devons réussir pour continuer à faire évoluer notre musique.» «Et “aller assez loin” dans la prise de risque en concert et en studio pour toujours continuer à “créer notre propre son”», selon le batteur «Toto». Comme leur «modèle» Phoenix, la composition et la production se font à cinq. L’album a été réalisé sans l’aide de producteurs : «On était vraiment excités à l’idée de le faire nous-mêmes», explique Hetherington. Au tout début de leur très récente carrière, les membres de Parcels ont commencé à découvrir comment jouer de la musique sur ordinateur. De balbutiements disco aux premiers accords en tant que groupe, d’un déménagement à Berlin pour sortir du cocon de Byron Bay et se révéler au monde – quitte à dormir à cinq dans la même pièce pendant quelques mois – le temps et les modes semblent peu influer sur une musique en constante innovation. À la fois référencée mais originale, bien dans son époque et convoquant des souvenirs passés, elle semble destinée, si elle poursuit sa route vers les sommets, à ne pas vieillir. «Le but est d’être intemporel, conclut Noah Hill. Tu es inspiré par la musique qui est parvenue à devenir intemporelle. Chaque artiste veut survivre à son époque. Être si bon que sa musique touche également les générations futures.»

Un autre long format ?