Kurt Wagner, l’âme et le cerveau de Lambchop était à Paris au début du mois de février pour présenter son album This (is What I Wanted to Tell You), en débat dans le numéro 214. Sa rencontre avec Matt McCaughan, son désir d’évolution, son usage de l’Auto Tune : il nous raconte tout.
À l’écoute de ce This (is What I Wanted to Tell You), on sent, comme sur ton dernier album FLOTUS sorti en 2016, un désir d’évolution, de tenter des nouvelles choses. N’est-ce pas épuisant de chercher sans cesse à se renouveler ?
Non, pour moi ça rend surtout les choses intéressantes. J’aime beaucoup ça. J’ai toujours cru qu’il était important d’intégrer de nouvelles choses, de nouvelles idées dans ma musique, qu’importe d’où elles viennent. Comme dans le rap par exemple, un genre très créatif qui est devenu techniquement fantastique : ce style change plus vite que les autres car les artistes essaient toujours d’incorporer de nouvelles idées. Ce n’est pas toujours facile, ni acceptable pour le public, mais pour moi en tant qu’artiste, c’est tout simplement impératif. Tu te dois de le faire. Lambchop a commencé avec juste une boîte à rythme et ma voix, et avec deux gars à la guitare et à la basse. Ce désir de nouveauté remonte littéralement à mes débuts.
Tu as collaboré avec Matt McCaughan (batteur de Bon Iver depuis plus de dix ans, ndlr) sur ce nouveau disque ? Comment s’est passé ce travail en duo ?
Je n’avais jamais travaillé avec lui auparavant, mais on s’est rendu compte assez vite qu’on faisait une musique assez intéressante. On a décidé que ce serait amusant de collaborer ensemble. On s’envoyait, à distance, des nouvelles idées et on commençait à voir de nouvelles choses se développer. Il était très enthousiaste et c’était parfois difficile à suivre. La décision qui a fait en sorte que tout fonctionne a été de lui proposer de venir chez moi à Nashville, pour bosser vraiment ensemble, et non pas depuis deux endroits différents.
Qu’a-t-il apporté à ta musique ?
Il a cette sensibilité incroyable pour explorer des sons à travers les nouvelles technologies. Il est capable de prendre une information ou une indication brute et de la changer en quelque chose de vraiment bien. C’est difficile à décrire. Il ressemble presque à un scientifique. Il a le même type de méthode. Ça a quelque chose de conceptuel et ça me parle parce que j’ai toujours eu cette même idée de conceptualisme Ce n’est pas forcément évident et ça ne se traduit pas d’une seule manière mais si vous regardez le cœur de ce que je fais, il y a toujours des concepts ou des idées pour soutenir ce que je compose.
Comment s’est passé la composition des chansons présentes sur ce This (is What I Wanted to Tell You) ?
Matt faisait des longues performances, des sortes de morceaux. C’était beaux du début à la fin, de longs fragments très abstraits et très ambient. Ils étaient aussi très longs donc le défi était pour moi de préserver la nature de ses idées, tout en essayant de l’incorporer à une chanson et de la rendre écoutable. Ce qui était difficile car je devais comprendre d’où elles venaient. Je découvrais comment il parvenait à faire des transitions avec ses machines pour amener ses sons dans un tout autre univers. C’est dans son travail sur les transitions que j’ai trouvé l’essence magnifique de ses créations. J’ai essayé de garder ça plutôt que d’arbitrairement choisir quelques uns de ses sons. Je me disais : “pourquoi cette chose a-t-elle une si belle transition?“. Et cela ne peut arriver que par la volonté d’un homme, en tournant un bouton par exemple. C’est le moment où l’artiste interagit avec le son et c’est ce qui le rend spécial. Ce sont des choses uniques que vous pouvez capturer durant l’enregistrement d’un album, et c’est ce qui en fait quelque chose de cool.
Y a-t-il une chanson qui a servi de point de départ à ce disque ?
La chanson titre du disque, This (is What I Wanted to Tell You). C’est la première que nous avons composée ensemble. Une fois que nous l’avons écrite, le reste est vite arrivé. Cela montre aussi le potentiel de ce qui pourrait arriver si Matthew et moi-même continuons à travailler ensemble. J’ai vraiment hâte.
Penses-tu avoir conçu un album qui se définit par sa modernité ?
Je crois que oui. Je me dis même que, peut-être, ça aurait pu être encore plus aventureux. Mais à ce moment-là, je voulais voir ce que je pouvais accomplir avec Matthew. Cela aurait certainement pu être un disque de quatre heures rempli de choses intéressantes. Mais j’étais encouragé dans cette voie innovante quand j’ai écouté le disque de Low (Double Negative, élu meilleur album de l’année 2018 selon les lecteurs de Magic, ndlr). J’étais enthousiasmé par la puissance de leurs compositions et la façon dont ils repoussent les limites de ce que doit être un son acceptable pour l’oreille.
Faut-il nécessairement repousser les limites de sa musique pour être moderne ?
Je m’efforce de le faire en tous cas. Il est toujours intéressant d’essayer de trouver le moyen que votre musique soit acceptée par un auditeur occasionnel et en même temps par un connaisseur. Il y a de la place pour tout dans la musique et je m’efforce toujours de trouver un lien entre ces deux possibilités. Peut-être que ce n’est pas possible, mais cela m’intéresse.
Que veux-tu raconter à travers tes textes ?
J’ai plongé dans plusieurs thèmes. Avec FLOTUS, je suis arrivé à un point où j’étais assez abstrait. J’étais plutôt préoccupé par l’impact émotionnel de mes textes. Sur celui-ci, je me suis focalisé sur les paroles et le défi était de savoir comment faire avec tant d’instruments étranges autour de mon chant. C’était délicat.
Comme sur FLOTUS, tu as utilisé le logiciel Auto Tune sur ta voix. Tu le compares même à un outil capable d’émotion et en mouvement.
Oui, je le crois, mais je pense aussi que le mot “auto tune” doit être défini. Je considère que je traite ma voix avec ce logiciel. Je ne me suis jamais vu comme un grand chanteur, mais au fur et à mesure, j’ai réalisé que j’avais ce qu’il fallait pour faire de la musique. Et quand j’ai découvert Auto Tune, ça m’a ouvert beaucoup de possibilités. C’est assez excitant. Je pense que cela m’a donné quelques années de plus. C’est devenu un nouvel instrument pour moi. J’ai en quelque sorte changé de voix.