La Française Léonie Pernet a osé, en 2018, un premier album nerveux et habité Crave. En creux, l’aboutissement d’une quête spirituelle, consécutive à sa conversion à l’islam. Elle est à l’affiche du FNAC live Festival ce mercredi 3 juillet à Paris.
[Article paru pour la première fois dans Magic n°212 en novembre 2018]
«J’ai demandé le baptême à 8 ans. J’ai sauté quelques classes de caté pour faire ma communion, j’étais déjà familière de l’Ancien Testament». Léonie Pernet se livre dans son fief du Marais, où son label InFiné a placardé le titre de son premier album, Crave, en grosses lettres sur la devanture de son shop. «Crave» signifie «le besoin» en anglais, ou «le manque» selon l’artiste. Le craving dans l’addictologie désigne l’envie irrépressible pour la drogue, l’alcool, la clope. «J’ai découvert ce terme quand j’avais 20 ans, à Montréal, avec la pièce de la dramaturge anglaise Sarah Kane (ndlr., auteure suicidée à 28 ans).» Son écriture sur la douleur fait écho à la réalisation compliquée du disque, mûri pendant quatre ans.
«Je n’en serais jamais arrivée là si je n’avais pas arrêté de boire», éclaire cette néo-Despentes de trente ans, comme un adieu à ses quelques sorties de route. Léonie Pernet a arrêté l’école à seize ans, passé son bac en candidate libre à dix-huit, avant d’entamer, pour un an, l’étude des Arts sacrés à la fac. La Française s’est ensuite époumonée comme DJ et organisatrice des soirées queer «Corps vs Machine», Chez Moune, métro Pigalle, sous la houlette de Guido, moitié d’Acid Arab et DA dudit club. Mais la night a perdu de sa superbe et la vérité de Léonie, aujourd’hui, se situe loin des excès. Elle la fantasme sous les traits de Jeanne Moreau interprétant Duras. «Je me sentais une connivence avec cette voix qui a vécu», dit-elle pour défendre sa reprise d’India Song.
Father, ou l’endroit du creux
Si elle refuse de qualifier Crave d’album-remède, cette percussionniste électron libre reconnaît que ses chansons l’ont aidée à trouver la paix intérieure. Father est le titre le plus sombre de l’album. Le mot lui revient souvent en bouche, dans Butterfly et la chanson-titre. «Dans ma mythologie personnelle, Father symbolise l’endroit du creux», justifie-t-elle. Chez elle, ce creux, ce manque, pose la question de la filiation et de ses origines touarègues du Niger, longtemps tues. Léonie Pernet fut d’abord horrifiée par son métissage. «Pour être parmi les champions, je voulais être blanche, de la même manière que je voulais être un mec.»
Débarrassée des regrets, Léonie s’efforce d’«habiter le présent comme étant le lieu par lequel l’homme peut entrer en contact avec l’éternel». La citation est de Pascal. Elle a entamé dès l’enfance une mini-crise mystique – sa période gothique, croix à l’envers, fut anecdotique. Bach lui a offert un nouvel éveil, au sortir de l’adolescence, avant que son intuition l’oriente vers l’islam. «J’ai demandé une éducation catholique, mais j’étais dans le déni, je ne croyais pas en Jésus, mais en Dieu.» Longtemps musicienne pour d’autres (Yuksek, Raphaël, Aaron), Léonie Pernet impose dans sa musique une profondeur troublante, qu’elle choisit d’incarner pour la première fois derrière un micro. Cette voix qu’elle apprivoise à peine, dans le souffle et ses chœurs solennels, se frotte aussi au chant lyrique. Vertigineux.
Texte : Alexandra Dumont
Photographie : Julien Bourgeois
La chronique de Crave est à lire dans notre numéro 211 de Magic.