"Leur musique est une offrande" : le Top 2019 d'Alexandra Dumont

Jusqu’à la fin de l’année, nos rédacteurs publient le Top 10 de leur année pop. Voici celui d'Alexandra Dumont. Le Top de la rédaction sera publié dans nos hors-séries de fin d’année à pré-commander et à pré-financer ici.

  1. BIG THIEF, U.F.O.F. (4AD/Beggars)
  2. FKA TWIGS, Magdalene (Young Turks/Beggars)
  3. ALDOUS HARDING, Designer (4AD/Beggars)
  4. MICHELLE BLADE, Visitor (Midnight Special Records/l’Autre Distribution)
  5. LAFAWNDAH, Ancestor Boy (Concordia/!K7)
  6. CHARLOTTE ADIGÉRY, Zandoli (Deewee/PIAS)
  7. DODI EL SHERBINI, Fictions (Ontophanies/Kidderminster)
  8. FAYE WEBSTER, Atlanta Millionnaires Club (Secretly Canadian)
  9. MAUD OCTALLINN, Sainte Saucisse (Ratée Production/Inouïe Distribution)
  10. UTO, The Night’s Due EP (Pain Surprises Records)

+ Blandine Rinkel, Le Nom secret des choses, aux éditions Fayard

La spiritualité a irrigué la pop en 2019. Celle de Lafawndah est dévotionnelle. «La musique a une fonction collective qui permet aux gens de faire l’expérience d’un dépassement», assure-t-elle. La chanteuse égypto-iranienne pense ses concerts comme des expériences collectives, de trance. Son premier album milite pour l’émergence d’un nouvel ordre, créé par la nécessité de trouver les autres (écoutez sa reprise de Brigitte Fontaine et Areski Belkacem, Vous et nous, en duo avec Bonnie Banane). Une philosophie que semble avoir adopté Big Thief, tant ses membres sont fusionnels (une version augmentée du papier paru dans le numéro 215 sera à lire dans notre hors-série). Leur musique est une offrande. Un cadeau. Céleste. Au cosmos. Avec lequel il cherche à communiquer.

Nos hors-séries de fin d’année à pré-commander ici

Adrianne Lenker, leader du groupe, est une intuitive. Elle vibre à mesure qu’elle écrit. C’est une chose qu’elle a en commun avec Aldous Harding. On a souvent l’impression en écoutant la deuxième que les chansons se déroulent sans qu’elle s’y attende. Elle sait ce qu’elle va chanter, mais elle ne sait jamais exactement quelle intention elle y mettra. Les paroles sont cryptées. Il faut savoir lire entre les lignes, la maternité vécue comme une injonction, un phénomène de mode, dans Design, par exemple – une cigogne lui envoie un enfant, Aldous chevauche l’oiseau, où est passé l’enfant ?

Sur son deuxième album, Magdalene, FKA Twigs se rêve idole religieuse, et réhabilite la figure de Marie-Madeleine, grande oubliée de la Bible, « la vierge-putain » comme elle la définit, « sacrée tout autant que sensuelle ». La connexion avec sa musique est spirituelle. L’artiste se sent dotée d’une aura mystique, quand elle chante sa victoire sur la vie ; son propre corps, endommagé par une série d’opérations douloureuses, son cœur, piétiné, par toutes ses ruptures amoureuses largement médiatisées. Sa vulnérabilité n’est jamais feinte. Elle fascine.

La vulnérabilité est aussi au cœur du travail de Blandine Rinkel, auteure et chanteuse de Catastrophe. Au moment de me procurer son nouveau roman, un vendeur d’une grande enseigne me met en garde : « illisible, je ne suis pas allé au-delà des premières pages ». Mais pas question de me défiler. Dans Le Nom secret des choses, Blandine Rinkel interroge nos petits arrangements avec la réalité pour briller en société. Elle nous parle de duplicité. Du « tu », on glisse progressivement vers le « je », ce « je » qui se dévoile difficilement à voix nue, et qui crée de la défiance.

Toujours intime, mais plus grivois, l’album de Maud Octallinn, Sainte Saucisse, qui réveille la pop avec son premier degré et demi. Dodi El Sherbini, qui la travestit à coups d’autotune et de formules magiques qui font référence au « Nan mais allô » de Nabilla en même temps qu’à Marc-Aurèle. Charlotte Adigéry, la revisite en ASMR, moulée dans une combi en latex noire pour les besoins du clip de Cursed and Cussed, extrait revisité de son deuxième EP, Zandoli, où sa pop tribale, au croisement de la house et du R’n’B, séduit dès la première écoute. La pop se fait lugubre sur le disque de Faye Webster, issu de la fusion du folk, du bluegrass et de la country ; ésotérique sur le nouvel EP d’UTO, The Night’s Due, entre hip-hop, trip-hop et ambient. Enfin et c’est sans doute la plus belle surprise de 2019 : Michelle Blades, geek du son et globe trotteuse, qui se la joue Frank Zappa, un groupe dans chaque port d’attache, en France et au Mexique. Pour les fans de psyché.

Alexandra Dumont

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