Beth Orton, "Friday Night", 2022
Beth Orton, “Friday Night”, 2022

Liste indispensablement absurde : le Top 2022 de Grégory Bodenes

Humanité, métamorphoses, inquiétudes et rapport au vide cohabitent dans le Top albums 2022 de Grégory Bodenes.

  1. 1. BILL CALLAHAN, YTILAER
  2. 2. DOMINIQUE A, Le Monde réel
  3. 3. BARZIN, Voyeurs in the Dark
  4. 4. ROBERT HAIGH, Human Remains
  5. 5. EMMANUELLE PARRENIN, Targala, la maison qui n’en est pas une
  6. 6. MATHIAS DELPLANQUE, Ô Seuil
  7. 7. WEYES BLOOD, And in the Darkness, Hearts Aglow
  8. 8. JULIEN PONTVIANNE / ABHRA, Seven Poems on Water
  9. 9. MELAINE DALIBERT, Shimmering
  10. 10. HAYTHEM MAHBOULI, Last Man on Earth

Alors que la guerre s’est réinstallée en Europe, que la pandémie liée au Covid n’en finit pas de finir, la futilité d’un Top albums annuel est plus que jamais indispensable ; parce que futile, justement. Il n’y a certes rien de plus absurde que de se souhaiter une meilleure année à venir aux sons des cloches de Minuit mais il n’est jamais dérisoire de faire un retour sur les douze mois écoulés.

Ce qui distinguera 2022 des autres années passées, plus que des disques magistraux, ce sont des gestes, parfois des renoncements, souvent des métamorphoses. Des renoncements qui ne ressemblent pas à des renoncements comme le point final donné à l’histoire de Mendelson, le plus grand groupe de rock français. Des retours aussi comme celui de la Britannique Beth Orton qui, avec Weather Alive, signe une œuvre marquée par les confinements, le silence et le doute.

Beth Orton (Weather Alive) 2
Beth Orton © Eliot Lee Hazel

Le Monde Réel, le quatorzième album de Dominique A emprunte des chemins parallèles à ceux de Beth Orton. Nombre des albums majeurs de 2022 abordent le rapport à la réalité et à l’imaginaire, à l’âpreté d’un monde contemporain, à sa douceur parfois. Bill Callahan en est le meilleur exemple avec Ytilaer, le chef d’œuvre qui manquait à sa discographie post Smog.

On pourrait aussi s’attarder sur Magnolia, le disque sublime et vénimeux du toujours constant Garden With Lips. Le Covid habite les disques de manières tellement différentes, parfois antagonistes. Voyeurs In The Dark, le cinquième album du Canadien Barzin, bien trop discret, nous plonge dans un état de stupéfaction et d’hébétude comme dans une sorte de contemplation anxieuse, glissant ici un clin d’œil de cinéphile à Michael Powell et son Peeping Tom, là irriguant sa musique de propos sibyllins et psychanalytiques.

Barzin, 2022
Barzin, 2022

D’humanité, il est toujours question au creux de cette année 2012, que ce soient avec le vétéran Robert Haigh et son Human Remains fragile et complexe ou avec Emmanuelle Parrenin qui continue encore et toujours de construire une musique qui ne ressemble qu’à elle, qui conserve comme elle une pertinence et une liberté rare, loin des postures et de l’éphémère.

De métamorphose, il n’est pas question avec Weyes Blood et son And In The Darkness, Hearts Aglow mais plus de confirmation, suite à l’évidence critique autour de Titanic Rising. Il serait difficile de ne pas citer Lifted, le disque le plus abouti à ce jour du natif de la Nouvelle Orléans Troy Andrews alias Trombone Shorty aperçu dans l’excellente série de David Simon, Treme (2010). 

L’année 2022, musicalement parlant, aura été une année du rapport au vide, à l’élément naturel et Seven Poems On Water, l’album du saxophoniste français Julien Pontvianne avec le collectif Abhra est peut-être ce qui ressemble le plus à un refuge, à une terre hospitalière avec ce je ne sais quoi qui renvoie aux travaux de David Sylvian, de Stina Nordenstam, aux productions du label allemand ECM ou à Kranky.

Ne pas non plus oublier toute l’inquiétude que diffusent de nombreux ressentis d’artistes, que ce soient le nantais Mathias Delplanque qui, avec O Seuil, sorti chez Mind Travels, la collection parallèle du label Ici D’Ailleurs, signe un des disques les plus tourmentés et aventureux de cette année. Du côté obscur de la force, on citera également le second disque remarquable du pianiste Haythem Mahbouli, Last Man On Earth, qui semble avoir saisi toutes les leçons d’un Gustav Mahler ou d’un Johann Johannsson ou encore toute la beauté sombre du second volet de This Immortal Coil

Et si la musique, quand elle devient essentielle, devenait une voix, finissait par établir un dialogue dans le non-dit avec celui qui s’attarde auprès d’elle. A l’écoute de Shimmering du pianiste Rennais Melaine Dalibert, les mots et le son d’une voix amie sont là, à nos côtés et nous rappellent l’importance, toute l’importance de ce qui est dérisoire et peut-être futile. Un moment de vie, une année.

This Immortal Coil - The Dark Age of Love
This Immortal Coil – The Dark Age of Love

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