Amen Dunes – Love

Dans la galaxie lointaine des musiciens de l’étrange, Amen Dunes – Damon McMahon à la ville – est l’une des étoiles les plus brillantes. En 2009, il jaillissait de l’obscurité avec Dia, un album aussi fascinant qu’effrayant, parcouru de chansons en lambeaux qui invoquaient les figures les plus décadentes du rock, de Syd Barrett à Roky Erickson en passant par Alexander Spence. Logiquement, il se faisait embrigader dans la foulée par le label Sacred Bones, spécialiste des musiques déviantes, et y signait un EP, Murder Dull Mind (2010), puis le LP Through Donkey Jaw (2011). Les deux disques épaississaient le mystère autour de cette musique sortie de nulle part ; du fait maison dont la seule ligne de conduite est l’errance et l’angoisse. Pour Love, Damon McMahon a délaissé ses méthodes de travail habituelles, notamment l’improvisation et l’enregistrement dans des endroits incongrus (une cabane dans les bois pour Dia, un séjour en Chine pour Murder Dull Mind), afin de s’essayer à la rigueur du travail en studio. Traînant entre Brooklyn et Montréal, McMahon a notamment collaboré avec des membres de Godspeed You! Black Emperor et Iceage.

La production est en effet soignée, ce qui rend le propos moins opaque. Elle n’enlève cependant rien à l’extrême fragilité de la musique d’Amen Dunes dont les contours restent indescriptibles même si le terme “pop” peut être aujourd’hui avancé. La poésie qui se dégage de Love est souvent saisissante, mais aussi toujours nuancée. Elle ne cède jamais aux facilités d’une noirceur complaisante ni à celles d’une béatitude factice. Les onze morceaux s’axent tous autour d’un piano lancinant ou d’une guitare folk feutrée à côté desquels marchent à pas de velours des percussions discrètes, quelques cuivres et parfois des chœurs. Et il y a cette voix fugitive dont les complaintes déchirantes transpercent le voile instrumental avant de disparaître vers un horizon crépusculaire. Lonely Richard, Splits Are Parted, I Know Myself et Lilac In Hand font partie de ces grandes compositions dont la magie demeure inintelligible même après de nombreuses écoutes. Débarrassé du lo-fi, Damon McMahon brouille toujours les repères en jouant une musique somnolente qui ne choisit pas entre le confort du rêve et la solennité de la réalité. Toujours plus à la dérive, toujours plus éloigné, l’astre Amen Dunes continue de nous irradier à rebours avec sa lumière étrange.



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