Philippe Pascal, leader emblématique de Marquis de Sade, est décédé le 12 septembre à Rennes, à soixante-trois ans. En 2017, à quelques jours du retour sur scène de son groupe culte, il nous avait raconté son itinéraire de gosse exilé qui a su se soustraire à l’ennui par le blues, la poésie et la création.
Un article initialement paru dans Magic#218 sous le titre “So Sade”
Philippe Pascal avait remué le rock français au sein de Marquis de Sade (1977-1981) puis poursuivi sa carrière avec élégance au sein de Marc Seberg (1981-1992), groupe emblématique de la new wave française. Après un long silence, il était réapparu, en 2017, lors de la reformation de Marquis de Sade. Nous l’avions rencontré quelques jours après le concert du retour, le 16 septembre, à Rennes, pour les besoins de notre numéro 207 (novembre 2017), dans lequel nous avions retracé l’itinéraire de ce groupe essentiel. Il n’était pas encore question d’autres concerts (huit allaient suivre), d’un nouvel album lancé, mais qui finalement ne devrait jamais voir le jour. Pendant une heure, il était revenu sur ses passions pour la musique, la poésie et la peinture, qui avaient sauvé ses jeunes années. Réservé et pince-sans-rire, mais habité.
En exil
«Je suis arrivé en France à six ans. Mes parents étaient instituteurs en Algérie et par le hasard des mutations, ils ont été dirigés vers le dernier de leurs vœux. Ils avaient commencé par la Côte d’Azur et on s’est retrouvés à Dol-de-Bretagne, en Ille-et-Vilaine, en 1962. C’était une punition, un exil. J’ai commencé à m’ouvrir à la vie en allant au lycée Jacques-Cartier à Saint-Malo. Avant, j’avais découvert le blues grâce à mon père. Il avait un orchestre de jazz quand il était étudiant et, à la maison, il y avait quelques 78-tours de blues. Je suis allé piocher, j’ai cherché, ça s’est fait par hasard.»
Le blues
«Mississippi John Hurt, Son House, Skip James… J’adorais ça. Moins Robert Johnson. Je n’aime pas le Chicago blues, notamment à cause de l’usage qu’en ont fait certains groupes comme Cream. Un truc hyper lourd. Mais le blues rural, j’adorais ça. Disc 2000 [le disquaire rennais du début des années 1970, ndlr] vendait des disques de blues mais ça coûtait les yeux de la tête. Très vite, j’ai commandé aux États-Unis via le label Yazoo. Je me souviens d’une pochette de Crumb. J’ai découvert à la même époque la BD underground américaine. Et puis il y DISPARITION a eu la fameuse émission Pop 2 où est passé Big Joe Williams [en novembre 1971, ndlr]. Extraordinaire. Et puis le concert de Nico, Lou Reed et John Cale [en janvier 1972 au Bataclan, ndlr]. Le générique était très bizarre. Le lendemain, on se racontait tout ça entre copains. Je ne pouvais pas rater ça. C’était le monde dans lequel je marinais à Dol-de-Bretagne, jusqu’en 1973 environ.»
Le rock
«Au lycée, je rencontre Gilles Rettel [avec qui il jouera plus tard dans Marc Seberg, ndlr]. C’est lui qui m’initie au rock, et moi je l’initie au blues. J’ai commencé le rock par Transformer de Lou Reed (1972) et Hunky Dory de David Bowie (1971). Le krautrock, c’était après. Toujours à Disc 2000. Neu surtout, un peu Can et Faust. J’ai découvert La Düsseldorf bien plus tard, en 1985, en en parlant avec le producteur John Leckie. Le patron de Disc 2000 s’amusait à bouger la stéréo sur les disques de Klaus Schulze et Tangerine Dream, même si cela n’avait pas beaucoup d’intérêt. Enfin, j’en ai acheté quand même, comme tout le monde. J’avais aussi acheté un Can, Ege Bamyasi (1972), à cause d’une critique dans Rock & Folk où le mec disait que c’était l’équivalent de White Light/White Heat du Velvet. Publicité mensongère !»
Instituteur
«Je me suis retrouvé instit’ à cause de ma passion du blues. Dans ma tête, je me disais que j’irais enseigner en Louisiane aux enfants cajuns. J’y croyais dur comme fer. J’ai passé le concours de l’école normale en troisième, j’ai été la dernière promotion. Après, je suis allé au lycée à Saint-Malo alors que les normaliens venaient à Rennes. J’avais un peu d’argent de poche, avec l’école normale, qui me permettait d’acheter des disques. Et après le bac, je me suis inscrit en histoire et j’ai fait l’EN pour avoir un peu d’argent et continuer ma petite vie à m’acheter mes disques. La musique prenait beaucoup de place, je découvrais la liberté. J’ai eu l’examen final même s’ils m’ont fait un truc qu’ils ne font jamais : ils m’ont fait redoubler parce que j’avais fait des bêtises… Évidemment, un ado qui a toujours vécu à Dol… C’est l’époque d’Actuel première période, de La Route, des communautés. J’avais lu Kerouac mais c’est surtout Burroughs qui m’a marqué, l’écriture automatique, que j’ai découverte grâce à Bowie.»
Marquis de Sade
«La première fois que j’ai entendu parler du groupe, c’était par une annonce chez Disc 2000, en 1977. C’était écrit : «Marquis de Sade, groupe qui se veut macho et sexiste tendance Stranglers, cherche chanteur et clavier.» Marquis de Sade… Je ne trouvais pas ça terrible. Je suis rentré dans le groupe même si je n’avais pas spécialement d’atomes crochus avec eux [Christian Dargelos, Pierre Thomas et Frank Darcel, ndlr]. Si ce n’est qu’on était punk et que je les sentais suffisamment ouverts pour faire autre chose que ce qu’ils faisaient à l’époque. J’ai continué à faire l’instit’ jusqu’à la veille de la sortie du premier album, Dantzig Twist en 1979. Quand on est passés dans l’émission Chorus, j’étais encore instit’ et le pauvre docteur qui m’avait fait une ordonnance de complaisance s’est fait taper sur les doigts quand les gens m’ont vu à la télévision.»
Conrad Veidt
«Je répétais les week-ends et le jeudi. J’ai le souvenir d’écrire la chanson Conrad Veidt pendant la récréation. Je me revois avec mon cahier, regardant la cour depuis la fenêtre de ma classe. Dans ma tête, c’était pas New York mais presque. L’expressionnisme allemand, je l’ai découvert à Dol. Ce n’était même pas dans un petit cinéma. C’était mon pote Yannick Guerrier, avec qui j’étais à l’école primaire, qui s’est décidé à monter un petit ciné-club, à louer les films à la Fédération des œuvres laïques et il les projetait. La plupart du temps, on était juste deux à regarder Metropolis, la Nouvelle Vague, le cinéma italien des années 1960, le cinéma allemand.»
Egon Schiele
«Dans un Charlie Mensuel, il y avait le compte-rendu d’un bouquin sur le peintre Egon Schiele (1890-1918) et le dessin que j’ai vu m’a hypnotisé. Je lui trouvais une certaine ressemblance avec moi, c’était très narcissique. Cette année [en 2017, ndlr], mes enfants ont pris ça en main et je suis enfin allé voir l’exposition Schiele à Vienne. J’en rêvais depuis quarante ans. Comme peintre, ce n’est pas extraordinaire mais c’est un super dessinateur. Bref, je trouvais qu’il y avait une certaine correspondance physique avec les tableaux d’Egon Schiele mais aussi dans ma façon de me comporter sur scène avec la façon de bouger des acteurs du cinéma muet, un peu emphatique et exagérée. C’est pour ça que j’en ai parlé, certainement un peu trop… Si on ne parle pas de rock et de bagnoles, on passe pour un intello. C’est lourd à porter. Le côté poète maudit m’énervait. Je n’étais pas poète pour un sou, la poésie ne m’intéressait pas encore.»
La poésie
«L’école n’a pas su me faire aimer la poésie, tant pis, mais j’ai découvert la poésie contemporaine par le biais de la musique, encore une fois, toujours à la recherche des textes du Velvet. Je me suis abonné à une revue qui s’appelait L’Énergumène qui avait retranscrit The Murder Mystery du Velvet. Cette revue faisait paraître des poètes contemporains français et là j’ai pris une sacrée claque. Avec cette façon d’écrire à laquelle je ne m’attendais certainement pas, très libre. Je ne lirais pas ça tous les jours mais pour un mec de vingt ans, ça m’avait bien secoué. Particulièrement un type qui s’appelait Zéno Bianu. Il avait une certaine cote à l’époque. Une de ses premières phrases, c’était occidental écrit “oxydental”. “Oxydental”, “oxydent”, ça vous parle un peu ? [“L’acide Occident” est le premier vers de Conrad Veidt, ndlr] On n’invente rien, on récupère des morceaux un peu partout.»
La scène
«Être sur scène, c’est bizarre. C’est un bien grand mot mais ça tient un peu de la transe. Je suis assez réservé et se retrouver comme ça devant un public, des gens qui vous regardent, d’être un peu admis. Avec la musique électrique, ça me met dans tous mes états. Ajoutez-y quelques verres pour se donner du courage. À Rennes, là, pour le concert du retour, je suis monté comme ça, j’étais trop contracté. Il y a des moments, les paroles, pfft… J’ai eu des trous de mémoire. C’est uniquement l’émotion et le stress mais je ne voulais pas prendre un prompteur, j’aurais eu le nez dessus à longueur de temps. Je n’irais pas dire, comme Iggy Pop, que cela altère la chimie de mon corps mais il y a un peu de ça quand même.»