Louis Thomas Hardin, alias Moondog, est un personnage important de la mythologie new-yorkaise. Aveugle, habillé à la manière d’un viking, avec une longue barbe blanche, il jouait ses compositions sur des instruments de son invention dans les rues de Manhattan, dans les années 1950, et figure parmi les pionniers de la musique minimaliste aux côtés de Steve Reich et Philip Glass. Moins abstraites cependant que mélodiques, ludiques et enfantines, ses ritournelles, madrigaux et chaconnes usent du contrepoint, particulièrement canonique, et des mesures impaires (7/8, 5/4) avec autant de rigueur que de poésie. Mariant Jean-Sébastien Bach et percussions amérindiennes, pièces symphoniques et instrumentations inspirées par le jazz, Moondog invente une musique complètement singulière, à la fois primitive et sophistiquée, où une forme d’idiotie (au sens noble : répétitivité, idiosyncrasie, presque un art brut, ou naïf) côtoie une grande virtuosité et une compréhension profonde des règles musicales, pour un résultat absolument gracieux (dont la plus belle porte d’entrée est sans doute le double CD Moondog et Moondog 2, régulièrement réédité).
Cette apparente simplicité mélodique fascinera nombre de musiciens pop, de Janis Joplin qui reprendra son canon All is loneliness en 1967, à son ami Stephen Eicher, qui lui a rendu de nombreux hommages sur scène. Bird’s Lament, courte pièce pour saxophone et percussions inspirée par sa rencontre avec Charlie Parker, connaîtra même une célébrité posthume en se trouvant samplé sur le titre Get a move on du DJ anglais Mr Scruff.
Parti vivre en Allemagne en 1974, Moondog y enregistre Elpmas (« sample » à l’envers) en 1991 à partir d’échantillons de marimbas, l’édition sur ordinateur lui permettant d’agencer les entrelacs complexes et sinueux de ses mélodies. Ce manifeste écologique contre les mauvais traitements réservés aux peuples aborigènes est ici réinterprété par les 16 musiciens de l’Ensemble 0, sur de vrais instruments, à partir de partitions, dans un esprit d’interprétation classique. Portée par Stéphane Garin et Amaury Cornu (également biographe de Moondog), cette relecture atténue l’aspect « boite à musique » hypnotique des originaux, mais leur apporte nuances et sensibilité, le naturalisme des prises de son leur donnant une nouvelle vitalité, pour un hommage fidèle et bienveillant.
Cette adaptation fait l’objet de deux vinyles 10″ entourant un livre d’art de 84 pages, conçu en collaboration avec 13 auteurs de bande dessinée et écrivains.
Gwénola Carrère, Bonnefrite, Laurent Bourlaud, Vincent Fortemp, Blandine Rinkel ou Guy-Marc Hinant s’emparent ainsi des quatre thèmes qui composent l’album, la pulse, le voyage, la nature et le cosmos, et prolongent ce classique de musique hybride, universel et humaniste, avec leurs mots, images et sensibilité. Un disque à entendre, lire, et méditer.
Texte : Wilfried Paris
L’Ensemble 0 se produira le 10 janvier 2019 à la salle Nougaro à Toulouse. Vous pouvez retrouver toutes les informations concernant cet événement ici.