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De gauche à droite : Clément Doumic, Antoine Wilson, Arthur Teboul, Sébastien Wolf et Raphaël de Pressigny | Photo © Antoine Henault

Tandis qu’ils célèbrent leur dixième anniversaire par un live événement, les cinq membres de Feu! Chatterton coécrivent pour Magic, avec Alexandra Dumont, leur histoire orale, sans rien omettre de leurs faiblesses et des impasses qui ont jalonné leur carrière. Cette histoire est celle d’un des groupes français les plus importants de l’époque.

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MAGIC VA PUBLIER CETTE HISTOIRE ORALE DE FEU! CHATTERTON EN DEUX PARTIES. LA PREMIÈRE COURT JUSQU’À LEUR PREMIÈRE COUV’ DE MAGIC, POUR L’OISELEUR EN 2018. LA DEUXIÈME PARTIE SERA IMPRIMÉE DANS NOTRE PROCHAIN TRIMESTRIEL.

I. LA BANDE DES COOLS DU LYCÉE

“Je n’ai pas de technique. Pas d’outils. Mais d’un autre côté, j’ai vraiment une passion dévorante pour l’écriture et la scène, une flamme très profonde depuis l’enfance. Bref, on devient copains avec Seb…”

Arthur Teboul

Arthur (Teboul, chant) : J’ai intégré le même lycée que Clément et Sébastien en seconde, le lycée Louis-le-Grand dans le Ve arrondissement de Paris. Entre ma ZEP du XXe et Louis-le-Grand, l’écart est très violent ! Je suis recroquevillé dans le travail pendant que la bande des cools gambade dans la cour de récré. La bande de Clem et Seb. Je les entends parler de leurs week-ends à la campagne à fumer des blazes. Il y a des meufs, des mecs, et je me demande une chose : comment trouvent-ils le temps de s’amuser ? Je suis admiratif.

Clément (Doumic, guitare) : J’ai rencontré Sébastien en seconde, le premier jour de classe. On avait quinze ans. Je fais alors de la musique depuis deux-trois ans. Il n’y a aucun musicien dans ma famille, donc ça sort vraiment de nulle part. Je fais du solfège et prends des cours de piano au conservatoire de quartier, mais je rêve de quelque chose de plus transpirant, jouer d’un instrument debout, à la Jimi Hendrix, alors j’apprends la guitare en autodidacte. J’ai déjà une «passion groupe». Dès le collège, je prends plaisir à me casser les oreilles pendant deux heures en studio. Je trouve ça extraordinaire de jouer des trucs puissants à deux ou trois, des trucs simples qui sonnent comme des musiques de grands.

Sébastien (Wolf, guitare) : C’est Clément qui m’a montré les premiers rudiments à la guitare dans un vieux F1 de Soulac-sur-Mer, à côté de Bordeaux. On a l’habitude de partir en week-end avec toute la bande. On fume des joints en écoutant Radiohead, on se lève à 16 heures, on joue sur la plage et c’est déjà super ! Il y a un aspect purement festif à jouer à plusieurs. On fait de la merde, on improvise souvent, mais on a l’impression de proposer un truc neuf. L’envie de composer nous anime tous les deux. Les reprises, ça n’est pas notre délire. Très vite, six mois après mes débuts à la guitare, on monte un groupe. On est sept. On s’appelle les Pacemaker…

Clément : Né sur les cendres d’un groupe que j’avais au collège – toujours guidé par cette boulimie de faire de la musique en groupe. C’est un énorme bordel. Il y a des polyrythmies, des violons, des saxophones.

Sébastien : On en est hyper fiers. C’est du rock progressif en anglais, de la musique savante, à l’opposé de la pop classique. Il y a des mesures impaires, de l’expérimentation inspirée par Radiohead. On crée le groupe en fin de première. À la rentrée, on s’inscrit  la fleur au fusil au Festival Emergenza [festival international pour groupes amateurs et groupes émergents, ndlr]. Le principe est simple. On se charge de la billetterie. Plus on vend de places, plus on a de chances de passer au tour suivant, parce que ça se joue à l’applaudimètre. Ça marche. On fait deux fois Le Gibus, deux fois Le New Morning et l’Élysée-Montmartre pour la finale. À chaque fois, c’est une énorme teuf. C’est ça aussi le rock et les concerts, c’est carnaval !

Clément : Et puis, Arthur arrive, il casse tout et prend la place de notre chanteur (rires). On est potes avant de faire de la musique ensemble.

Arthur : Premier jour de première. Je me retrouve dans la même classe que Sébastien. Je suis assis à côté de lui. Putain, c’est une aubaine ! Il faut que ça devienne mon pote, c’est obligé ! Donc je l’accroche direct. À l’époque, je suis comme aujourd’hui en encore plus grandiloquent. Je porte une redingote en velours marron. XIXe siècle à fond. Et là je lui demande : «Tu es plutôt carnavaleux ou carnavalet ?» ; je m’exprime par intrigue (rires). Beaucoup de gens auraient pu trouver ça chelou. Mais pas lui.

Sébastien : À sa question, je lui réponds «carnavaleux». Je ne sais plus pourquoi, mais il y a une vraie différence ! Arthur veut absolument faire partie de notre bande. Il le raconte tout le temps (sourire).

Arthur : Je suis en train de lire Érasme, de Stefan Zweig [un livre de réflexions publié en 1935, ndlr]. On commence à discuter de la passion et de la raison. À l’adolescence, ces questions philosophiques ont de l’importance et on les exprime avec plus ou moins de subtilité. Il y a un appel, une passion, que j’essaie de cadrer pour ma part. Car sur le papier, je n’ai rien pour la faire vivre. Je ne suis pas instrumentiste. Je ne fais pas de solfège. La voix, le chant, ce n’est pas quelque chose que j’ai reconnu en moi ou que les gens ont reconnu en moi jeune. Quand je chante sous ma douche, on me balance des «tais-toi !» comme à n’importe qui d’autre. J’ai des kystes aux cordes vocales – c’est ce qui me donne cette voix particulière, en plus du whisky et de la cigarette. Je n’ai pas de technique. Pas d’outils. Mais d’un autre côté, j’ai vraiment une passion dévorante pour l’écriture et la scène, une flamme très profonde depuis l’enfance. Bref, on devient copains avec Seb. En cours, je lui dis à l’oreille des poèmes de Lautréamont pendant qu’il regarde fixement le tableau. C’est une incantation. La poésie a une vertu émancipatrice et inspirante pour nourrir l’imaginaire et la liberté. Ce n’est pas un truc de musée ou de snob. On trouve là-dedans beaucoup d’insolence et de matière à réflexion.

Sébastien : Il s’intègre hyper naturellement. On part en vacances ensemble au ski. Clément et moi composons pour les Pacemaker. Arthur est là et essaie de gratter un peu. Il a déjà ce rapport aux textes. Il écrit mais pas seulement. Il a ce truc de vouloir les dire. Mais à l’époque, il lutte vraiment. Il n’a pas encore travaillé sa voix.

Arthur : C’est la première fois que je vais au ski. Un jour, au chalet, Clem et Seb à la guitare commencent à enchaîner les accords en cinq temps. Je vois la matière palpable de la musique circuler entre eux. Il y a un truc dans l’air. Je ne sais pas par quel moyen mais il faut que je rentre dans le cercle. J’écris mon premier texte le soir-même, en club, sur mon forfait de ski, pendant que les gens dansent sur Call on Me d’Eric Prydz. Moi, je ne suis pas dans la fête, je suis un poète. Les gars doivent se dire que je suis inspiré. Le texte n’est pas dégueulasse. Je réussis à les convaincre de faire un morceau avec eux sur la scène de l’Élysée-Montmartre. Imagine, au lycée, c’est un truc de ouf ! Je m’incruste en répète, un jour où il n’y a pas leur chanteur. Je n’ai aucune notion du rythme ou de ce qu’est une mesure. Je dis le texte et dois caler le refrain au bout de la huitième mesure. No problemo ! (rires). Sauf qu’on le refait dix fois et je ne chope jamais le refrain au bon moment. Ils me disent qu’ils vont réfléchir. Quelques heures plus tard, ils me font comprendre que leur chanteur n’est pas chaud. En fait, ils m’ont trouvé complètement nul. Je suis bien allé à leur concert. C’était mortel ! J’avais les glandes… Après le tollé de la répète, je me tais pendant trois ans.

II. DES VOYAGES ET DES CHANSONS

“On appose «Feu» avant Chatterton pour signifier qu’un groupe a disparu, qu’un autre est né”

Clément Doumic

Arthur : On fait chacun trois ans de prépa. On ne se voit pas beaucoup pendant cette période. J’écris beaucoup. Je m’exerce au rythme, à poser ma voix sur des instrus, dans les bars à slam. Et surtout, je laisse décanter. Un jour, je croise Clem à une soirée. On a fini nos études. C’est la fête. Je lui déclame un texte un peu bourré et il m’invite chez lui pour qu’on essaie des trucs.

Clément : Je me souviens très bien du moment où ça s’est décidé. Sur un trottoir du Ve arrondissement. Avec Sébastien, on se dit : «Faisons quelque chose avec les textes d’Arthur».

Sébastien : Il y a eu un moment fondateur, une histoire d’amour ratée qu’a vécue Arthur. On ne vient pas de la chanson. Mais on se dit : «Voyons ce que ça donne !». C’est comme ça qu’on crée le groupe Dièse Quintette avec deux autres gars dans un style très inspiré du jazz fusion. Arthur déclame ses textes. Il ne chante pas encore. C’est avec ce groupe qu’on fait nos premiers bars, notamment à la Scène Bastille [actuel Badaboum, ndlr].

Arthur : Comme on aime bien faire les choses à fond, on répète tous les soirs et tous les week-ends. Mais ça ne ressemble pas à la musique qu’on aime.

Clément : Les gars qui sont avec nous sont très axés jazz, voire métal.

Arthur : Avec Clem, on veut faire une musique plus rock, plus chanson. La bascule intervient quand Sébastien part à New York. Il décroche un stage dans un labo dans le cadre de ses études scientifiques à Normale Sup’. Il devient le roi du monde ! Il crèche dans un loft d’artistes à Brooklyn. Je le rejoins deux semaines en été et là, on se prend une baffe !

Sébastien : En arrivant à New York, je découvre toute la scène rock indé des années 2000, dans le sillage des Strokes : des groupes comme LCD Soundsystem, Hot Chip, MGMT, Grizzly Bear, Beach House. Cette scène très chiadée, qui emprunte au rock et à la pop des années 1970-80, est en pleine effervescence. Il y a des concerts tous les soirs. Je prends une énorme claque musicale. Je me rends compte d’une chose. Avec le Dièse Quintette, on fait une musique anachronique.

Arthur : Je rentre à Paris empreint du même souffle. J’en parle à Clem. On essaie de nouvelles choses. La section rythmique du Dièse Quintette refuse de nous suivre.

Clément : Irène Favier [comédienne, metteuse en scène et autrice, ndlr] me demande de faire la musique d’une pièce de théâtre et de l’enregistrer. Je ne sais pas comment faire. On est en 2010. Je finis par craquer le logiciel Ableton et là, un autre monde s’ouvre à moi. Je suis tout seul chez moi et je peux jouer de tous les instruments. J’invite Arthur à faire de la musique sur ordinateur. Je fais quelques accords d’orgue, je programme une batterie, et là Arthur se met à chanter pour la première fois. Ainsi naît le tout premier morceau de notre duo (baptisé Chatterton) : on l’appelle Harlem – qui se retrouvera des années plus tard, en 2015, sur le premier album. Après ça, on se met à faire plein de chansons de manière frénétique sur l’ordinateur avec une approche plus musicale, plus chanson. On compose les bases de Bic Médium et Boeing. On presse plusieurs exemplaires de ce qui ressemble à une maquette, enregistrée avec les pieds. Le pote d’Arthur, Pablo, s’occupe du graphisme. Ça arrache les oreilles, mais il y a huit chansons et un Boeing en dix temps.

Arthur : C’est assez audacieux. Un copain de mon père, Bertrand, un artiste-peintre excentrique d’une soixantaine d’années assez loufoque, qui a sa grange et son lieu d’exposition dans le Gers, nous invite à faire un concert le 20 juin 2011. Je dis oui. Sauf qu’entre-temps, Clem part pour Istanbul. Je suis tout seul et je n’ai pas de répertoire.

Sébastien : Je rentre à Paris. Clem est déjà parti. Arthur vient me voir et me dit : «Je suis dans la merde, on doit absolument faire ce concert, Clem n’est pas là, il faut qu’on monte un nouveau set». Ce n’est pas encore l’époque des bandes préenregistrées. On n’a pas non plus une très grande dextérité technique. Et le set qu’il a monté avec Clem n’est pas assez long. À l’époque, je vis dans un loft dans le quartier Jourdain, une coloc’ à l’ancienne où tout le monde dort n’importe où. Avec Arthur, on s’enferme là-dedans pendant dix jours et on invente l’autre moitié des morceaux de Chatterton, dont La Mort dans la pinède, La Fenêtre

Arthur : C’est génial ce moment en circuit fermé, jour et nuit ! Ensemble, on crée une sorte de mini-concept album, Histoire de la princesse captive. Dedans, il y a La Mort dans la pinède, Baiser au dancing, La Fenêtre qui n’apparaît que sur le deuxième album donc beaucoup plus tard. On fait ce concert dans le Gers. C’est absolument incroyable !

Sébastien : C’est sûrement pénible à écouter, mais on doit être mignons. Quand on y pense, ce sont des chansons qui sont restées à tout jamais. On a quand même de bons retours. Les gens sont surpris et nous disent : «C’est bien quand même ce que vous faites». Pour résumer, c’est bizarre que ça sonne aussi bien.

Clément : Je rentre à Paris cet été-là. En septembre, on monte un projet à trois. On appose «Feu» avant Chatterton pour signifier qu’un groupe a disparu, qu’un autre est né.

Feu! Chatterton (Live à Paris) 2
© Antoine Henault

III. LA CAVE

“Quand on sort de cet endroit, les gens le savent. On sent le vide-grenier à plein nez”

Arthur Teboul

Sébastien : On transforme la cave de ma coloc’ à Jourdain en studio de répète.

Clément : À Istanbul, je me suis pris de passion pour la musique assistée par ordinateur. J’ai même enregistré des gens là-bas. Au retour, j’ai vraiment envie de composer de la musique, de jouer de la guitare et de revenir à ce que je sais faire le mieux. Il nous faut donc trouver un bassiste et un batteur.

Arthur : Mais c’est difficile de convaincre quelqu’un de rejoindre un groupe amateur qui n’a rien à promettre (rires). On passe notre temps dans la cave pas très glamour de Seb. Quand on en sort, les gens le savent. On sent le vide-grenier à plein nez. Mais, il faut qu’on soit séduisants, tandis qu’on fait passer une audition à Antoine, un pote de pote. On lui fait croire qu’il y a plusieurs bassistes, histoire que ce soit un peu sexy. Sauf que c’est le seul (rires) !

Antoine (Wilson, basse) : Je suis une formation classique à la contrebasse au Conservatoire. Je ne m’y plais pas. Alors, je me laisse volontiers kidnapper par Feu! Chatterton. Je viens de me séparer de ma copine. J’y vois une opportunité de rencontrer des gens. Je me dis que ça me fera du bien.

Arthur : Il est arrivé dans cette cave qui sentait le champignon avec un grec dans les mains ! On le sent très esseulé, flottant, en recherche d’aventures nouvelles. On se dit qu’on peut l’amener un peu n’importe où !

Antoine : J’ai 21 ans. Je prépare les concours d’orchestre. Je ne m’attends vraiment à rien. Surtout que je ne pige rien à leurs maquettes.

Arthur : De notre point de vue, c’est un gros poisson ! L’occasion de choper un vrai «zicos» ! La basse, ça n’est pas vraiment son instrument. Mais qu’importe. Nous, on est à donf. On considère qu’on est au meilleur de notre niveau. Il nous fait comprendre qu’il n’écoute que de la musique instrumentale. Or, moi, je débite des textes à la seconde. C’est spécial quand même d’essayer de recruter un gars en lui disant qu’il va falloir qu’il vienne répéter toutes les semaines avec nous dans la cave avec un mec ultra bavard. Je me souviens aussi d’un voisin qui pétait les plombs une fois sur deux. Clément, à l’époque, fait ses études à Lille. Il rentre tous les week-ends pour faire de la zique pendant que son école organise des teufs et qu’il doit chercher à s’intégrer. Et puis, ce n’est pas toujours sympa une répète et c’est ça, je pense, qui laisse certaines personnes sur le côté. Il faut creuser en soi-même et passer par des étapes qui ne sont pas drôles du tout, où tu es confronté à ta médiocrité. C’est laborieux.

Antoine : Ça fonctionne parce qu’on se marre bien ! On passe beaucoup de temps ensemble. Arthur nous raconte des histoires, nous fait des explications de textes. Dans la cave, ce n’est pas toujours simple à comprendre.

Arthur : En plus, je chante avec un micro pourri, avec un débit qui étire les syllabes. J’aime les textes ésotériques, à tiroir. Il faut décoder.

IV. MOURIR DANS LA PINÈDE ET DEVENIR PRO

“J’arrive dans Feu!, qui me dit d’entrée de jeu : il faut qu’on répète six heures le samedi, six heures le dimanche. Là, je me dis : «C’est des furieux !»”

Raphaël de Pressigny

Arthur : On joue au Supersonic. L’ingé d’accueil, Guillaume Sauvageot, fait du son dans sa coloc’ à Choisy-le-Roi. Il propose de nous enregistrer un quatre-titres. Il y a La Malinche, Le Baiser au dancing, La Fenêtre et La Mort dans la pinède. On pense que le single, ce sera La Fenêtre, mais on doit bien constater que La Mort dans la pinède est ce qu’on a fait de mieux. Notre ami, Antoine Marie, veut absolument réaliser le clip. Il nous file cinq cents balles pour nous filmer dans sa maison la nuit. Le clip sort en avril 2012. Mon père a une boîte de pub. Il est graphiste. ll nous fait un communiqué de presse avec une photo. On l’envoie, avec le MySpace, à tous les bars de Paris. Au début, il faut avoir beaucoup de culot et d’orgueil. Parce qu’il faut y croire pour les autres.

Antoine : C’est notre premier clip. On s’est donné vachement de mal pour le faire avec peu de moyens. C’est notre vitrine. C’est à travers ce morceau que les gens vont nous juger, nous contacter.

Arthur : À l’époque, je suis en école de commerce. Ça ne m’intéresse pas trop. Pendant mon année de césure, je cherche à faire des stages dans la musique. Je me retrouve à bosser comme attaché de presse stagiaire chez Polydor. Je deviens pote avec mes boss mais je ne veux pas tout mélanger. Au même moment, Cédric Masson, qui a mixé le morceau, envoie notre maquette à Bertille David, qui est alors à la direction artistique chez EMI. Et là, c’est le plus beau jour de ma vie. Comme si, demain, je recevais un coup de téléphone de JAY-Z. Je suis à mon bureau de stagiaire chez Polydor. J’ai l’habitude de répondre au téléphone pour qu’un journaliste me demande de lui envoyer une photo d’Azealia Banks en 300 dpi. Mais ce jour-là, c’est différent. L’appel est pour moi. Bertille David, au bout du fil, veut me rencontrer. À ce moment-là tu ne cherches qu’une seule chose : dire à tes parents que ce que tu fais, c’est du sérieux. On signe notre premier contrat en édition pour une poignée de cacahuètes mais on est hyper fiers de pouvoir se dire pros !

Sébastien : En décembre 2012, on donne un concert au Scop’Club. C’est un concert hyper important parce qu’il y a potentiellement un tourneur et un manager qui viennent nous voir. Mais, problème, on n’a pas de batteur.

Clément : Quand on débutait, ça nous arrivait de faire des concerts complètement loufoques à deux avec Arthur. Je me souviens du groupe dont on avait fait la première partie et de leur batteur. À l’époque, je fais mes études à Sciences Po. Je croise un membre de ce groupe qui me file le numéro de Raphaël. Il arrive et boom.

Raphaël (de Pressigny, batterie) : Je suis en Afrique quand Feu! Chatterton sort le clip de La Mort dans la pinède. Je me souviens de cette première partie de mon groupe en formation réduite : Arthur, en train de rapper, en duo avec Clément. Ils étaient arrachés. Et là, qu’est-ce que je vois ? Arthur en costume trois pièces ! Mais qu’est-ce qu’il fait ? À ce moment, je fais partie de six ou sept groupes, du jazz à la chanson française, du rock au hip-hop. J’ai vraiment ce truc de batteur de vouloir me former à tous les styles. Mais tous les musiciens avec qui je bosse ont la flemme de répéter. Sauf que moi, je veux devenir pro. J’arrive dans Feu!, qui me dit d’entrée de jeu : il faut qu’on répète six heures le samedi, six heures le dimanche. Là, je me dis : «C’est des furieux !». Quand tu es en phase de professionnalisation, ce que tu cherches, c’est jouer ! Ce n’est peut-être pas les meilleurs musiciens avec lesquels je joue, je ne comprends pas trop la direction de leur musique mais, ayant fait des études littéraires, je suis assez sensible aux textes d’Arthur. Le morceau qui m’a décidé à rejoindre le groupe, c’est Bic Médium. Je me dis : «Wow, les mecs n’ont peur de rien !». Il y a un mélange d’émotions très fortes et de raffinement musical, sans singer les codes du jazz, qui me plaît instantanément. Au bout de deux répètes, je suis à donf.

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© Antoine Henault

V. DES HISTOIRES DE BEATLES

“Une chanson, c’est une histoire. Tu ne fais pas une instru puis tu poses une voix. C’est pour ça qu’on choisit toujours des studios suffisamment grands pour être tous ensemble”

ARTHUR TEBOUL

Clément : Notre premier contrat en poche, on est pressés de sortir un disque ! C’est ça le rêve de tout musicien. Sauf que Bertille David nous dit qu’on n’est pas prêts. Il faut encore qu’on travaille. Ce message, on ne veut pas l’entendre ! Il est allé jusqu’à lâcher 5000 euros pour nous offrir quatre jours de studio, sans aucune préparation, ni réalisateur, juste avec un ingénieur du son. Ça ne se fait pas, en fait. C’est la garantie d’aller droit dans le mur. Il veut nous donner une leçon. On bosse comme des fous et à l’arrivée, les chansons sont nulles !

Arthur : Tout le monde est désespéré ! Et il l’a fait exprès. C’est très intelligent.

Sébastien : Fin 2013, on n’a toujours pas enregistré de musique.

Arthur : Notre répertoire aura existé avant nos disques. On faisait déjà des concerts de cinquante minutes avant l’EP de 2014. Donc quand on enregistre l’album, il y a de nombreuses chansons qui existent déjà. Samy Osta [derrière les albums de La Femme, ndlr] est un élément majeur de notre accouchement artistique. Il nous aide à trouver notre son, notre manière de faire. Il est radical dans sa manière de penser la musique. Il nous donne la confiance d’enregistrer live tous ensemble et de tenir le truc jusqu’au bout, malgré la pression des gros labels et le buzz qu’on a à l’époque. Les sirènes du succès, l’envie de plaire, ça peut t’affadir. Alors être au quotidien avec un mec punk, c’est une chance ! Il a excité la part la plus rock et urgente de nous-mêmes.

Clément : Tu découvres que tu travailles avec quelqu’un d’autre. C’est très rassurant parce que tout à coup, tu reçois l’aide de quelqu’un qui a vraiment une vision supérieure par rapport à la tienne, comme un éditeur sur un bouquin, quelqu’un qui va vraiment avoir une oreille fraîche sur tes morceaux et des idées.

Raphaël : C’est avec lui qu’on découvre le studio et la production. C’est lui qui nous professionnalise. C’est lui qui nous éclaire sur notre force en tant que groupe. Nous, notre truc, c’est d’enregistrer ensemble. Pas piste par piste. Et puis, surtout, c’est lui qui nous amène à Göteborg, en Suède, dans un studio incroyable sur trois étages, sans fenêtre, où les chambres ressemblent à des cabines de bateau d’un mètre de large. On a chacun la nôtre. On mange tous ensemble à l’étage en dessous. Et au sous-sol, il y a le studio avec une table de mixage légendaire, plusieurs types de micros, de guitares, de synthés, d’amplis.

Sébastien : Tu ne sais même pas quoi choisir. Tu te retrouves dans une caverne avec des possibilités infinies. Il y a des musiciens qui arrivent à cette étape de leur groupe ou de leur carrière, et qui ont déjà eu des expériences, ils ont déjà «digué», ils ont du matos. Ce n’est pas notre cas. On a des guitares pourries. On découvre le métier de musicien.

Arthur : Samy a un côté chamane.

Antoine : Il nous mystifie et nous raconte plein d’histoires sur les Beatles. Nous, on boit ses paroles. Parce qu’on ne connaît rien à tout ça. On n’a qu’une vague idée fantasmée de la production. Il nous montre les avantages que peut donner le vieux matos.

Raphaël : On enregistre sur bandes ! Il y tient vachement. Ce studio, c’est un bouillon de culture. On bosse jusqu’à 4 heures du matin non-stop sans voir le jour.

Arthur : L’hiver en Suède nous rend fous. Quand on crée, les gens ne savent pas à quel point on est renfermés. Il faut imaginer qu’on est tout nu. Six bonhommes tout nus toute la journée. Il y a une intimité, une délicatesse, une fébrilité. Tu es fragile parce que tu vas essayer de donner le plus honnête de toi-même. Pendant presque un mois ! C’est un investissement.

Antoine : Sur Harlem, notamment, on est perdus, on ne trouve pas le truc. Samy nous encourage à essayer ci ou ça, pendant longtemps, et tout d’un coup ça prend.

Arthur : Je me souviens de l’émotion quand on enregistre Harlem. On enregistre en live, donc il faut que je sois dans le studio avec les copains. Une chanson, c’est une histoire. Tu ne fais pas une instru puis tu poses une voix. C’est pour ça qu’on choisit toujours des studios suffisamment grands pour être tous ensemble. Et là ce qui est particulier dans ce studio de Göteborg, c’est que la pièce dans laquelle je suis pour enregistrer les voix est extrêmement loin de la leur. Ils ne me voient qu’au travers d’une petite lucarne. Entre nous, il y a un grand espace vide. Malgré cette distance, on est connectés. C’est un moment magique, de communion, d’amour. C’est rare. Car à côté de ça, ce n’est que des conflits (rires). Il y a eu des dramas. On s’est pris la tête sur la ligne de basse de Boeing, le refrain de Pont Marie. Des embrouilles tout le temps, c’est ça la vie de groupe. Un peu comme dans un couple. Si tu n’es pas capable de te dire les choses profondément, il y a peu de chances que l’histoire dure.

Raphaël : On est jeunes et fougueux. On dit les choses au moment où on les pense et un peu fort. La tournée du premier album, Ici le jour (a tout enseveli) (2015) marche bien. On fait près de cent dates. Elle se termine à L’Olympia et pour nous, c’est incroyable. On est signés chez Barclay. Et puis, il faut retourner au charbon.

Antoine : Il faut faire un album, écrire des morceaux et les enregistrer alors qu’ils sont tout neufs.

Arthur : C’est une angoisse très grande. Beaucoup de pression. Le premier album, c’est dix ans de musique. Ces inspirations un peu spontanées que tu as attendues, est-ce qu’elles vont revenir ? En gros, est-ce que j’aime que la musique devienne un métier ? C’est le moment où la question se pose. Ça veut dire aller tous les jours à l’atelier, produire et voir ce qu’on est capables de donner en six ou huit mois. S’il n’y a pas d’amour, c’est douloureux. C’est aussi le moment où on réalise qu’on aime ce métier. Personnellement, je trouve ça très noble. Mais c’est difficile d’accoucher de ce disque.

Sébastien : Avec le succès du premier album, le Disque d’or, il y a un choc pour tout le monde. On est en train de changer de vie. De petits étudiants passionnés qui font de la musique le week-end, on se retrouve sur la route toute la journée. C’est à cette période qu’on s’engueule le plus ! On a une pression énorme sur le deuxième album. Elle est déjà dans notre tête. Notre manager de l’époque ne le minimise pas. Il nous dit clairement : «Il vous faut des tubes !».

La course aux tubes… Un argument qui ne marche avec absolument aucun artiste. Et puis, c’est trop éloigné de la façon qu’on a de faire de la musique

Clément Doumic

Clément : La course aux tubes… Un argument qui ne marche avec absolument aucun artiste. Et puis, c’est trop éloigné de la façon qu’on a de faire de la musique. Feu! Chatterton est né sur les cendres de plein de projets très expérimentaux. Il y a toujours eu ça dans notre musique. Donc chercher le tube, pour nous, c’est une épreuve !

Sébastien : C’est à la fois contre-productif et à la fois à l’opposé du sens même de ce qu’on fait. On nous demande de faire une musique plus populaire que ce qu’on vient de faire ! Mais, en réalité, c’est souvent l’inverse qui se passe. On crée et peut-être que ça deviendra populaire. On termine la tournée en décembre 2016. En janvier, on s’enferme dans un Airbnb du XIe avec Arthur. On se relaie avec Clément parce qu’on compose en binôme. On fait les trois-huit. Tout le monde est sous pression !

Clément : Ça nous fait du mal et ça n’aide pas certaines chansons qu’on essaie de faire entrer à tout prix dans un schéma de single. C’est le cas pour L’Oiseau, Zone libre et Ginger. On cherche trop à les distordre.

Sébastien : Ce n’est pas dans notre ADN de faire des up-tempo. Les chansons sont comme elles sont. Il faut l’accepter. Si tu essaies de les déformer pour les amener vers autre chose, ce sera forcément moins bien. L’Oiseleur se constitue là-dessus. Souvenir, notamment. On est dans la dynamique du tube. On en fait une chanson rythmée. Mais au moment de rouvrir la maquette chez le frère d’Arthur, on n’aime pas ce qu’on entend et on finit par la jouer en mode ballade. On accepte qu’elle ne soit pas up-tempo. Le problème, c’est qu’il y a des morceaux dans L’Oiseleur qui ont subi cette pression-là et qui pourraient être beaucoup mieux au final.

Raphaël : Le morceau, c’est couplet-refrain, couplet-refrain, et ensuite il bascule dans un truc beaucoup plus psychédélique en sept temps avec des synthés. On définit la structure du morceau à la campagne à Milly-la-Forêt. Il n’y a pas encore les arpèges de fin, mais on a quand même le texte, l’ossature, la structure, une idée de la direction artistique, avant d’entrer en studio… ce qui est le cas de peut-être deux autres morceaux de l’album ! Quand on entre en studio, on est encore plus à poil que d’habitude.

Antoine : Je me souviens avoir passé quarante-huit heures non-stop avec Seb pour écrire ces fameux arpèges.

Clément : C’est presque de l’ordre du militantisme quand certains de nos fans nous disent préférer L’Oiseleur. C’est comme s’ils avaient compris ce qui s’est joué en studio. Son enregistrement a été le plus galère de tous (rires). On a passé beaucoup de temps sur l’ouvrage parce qu’on n’était pas prêts. On est arrivés dans un studio énorme, Le manoir de Léon dans les Landes, sans avoir fini la moitié des morceaux et des textes. On n’avait pas de tracklist. Les arrangements n’étaient pas écrits. On se disait qu’on trouverait tout ça sur place, imprégnés d’un fantasme à la Beatles.

Sébastien : Sauf que les Beatles, quand ils arrivent en studio, ils ont la compo, c’est-à-dire l’harmonie, la mélodie et le texte. Il n’y a que l’arrangement qu’ils cherchent en direct (rires). Nous, on était loin du compte !

Raphaël : On s’est usés pendant trois mois dans les Landes, et ensuite, Samy a sacrifié sa vie pour nous. On est restés près de six mois chez lui, dans son home studio parisien, si bien qu’à un moment donné, il a arrêté de nous faire payer.

Antoine : Là pour le coup, il est devenu le sixième homme du groupe. Ce n’était plus le capitaine.

Raphaël : Il est devenu aussi fou que nous. Il ne pouvait plus piloter le navire parce qu’on l’usait !

Sébastien : Il ne faut jamais envoyer des artistes en studio s’ils n’ont pas fini de composer les morceaux. Sauf que notre DA et notre label nous imposent un calendrier, donc un rétroplanning. On a trois mois pour composer l’album. Ça a complètement bloqué notre inspiration. Il faut battre le fer quand il est chaud ! C’est normal, c’est une industrie. Ils n’ont pas tort. Si tu attends quatre ans pour enregistrer ton deuxième album, il y a de grandes chances que les gens t’aient oublié. C’est aussi pour le bien de l’artiste. Nous, on a envie d’en vivre, donc on a aussi envie de battre le fer quand il est chaud, et en même temps, c’est un truc qui nous bloque.

Clément : Tout ça a fait que c’était catastrophique. On a essayé de sauver les meubles. Même s’il y a quand même de vraies réussites. Des moments de grâce. Je pense à La Fenêtre, Souvenir, Tes yeux verts… Pour l’anecdote, c’était à l’origine une musique de réveil pour réveils connectés que j’avais composée pour une commande. J’ai tellement aimé ce morceau que je l’ai proposé aux autres. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé sur l’album.

Arthur : C’est l’album que les vrais aficionados affectionnent le plus. C’est une sorte d’enfant un peu étrange mais très sensible. Parce que c’est un album d’amour, de rupture, de deuil, ils le choient particulièrement.

Raphaël : Le côté laborieux de la rupture, on l’a vécu. Tu patauges dans ton marécage pendant des mois. Cet album on l’a fait comme ça, en pataugeant à cinq dans notre marécage, à ne pas y arriver, et à la fin ça a donné cet album un peu étrange, mais il y a effectivement plein de bons morceaux. Ce ne sont pas les morceaux qui se prêtent le plus au live, donc ça a été un peu compliqué pour la deuxième tournée, et en même temps c’est celle qui s’est le mieux passée. On a commencé à remplir les salles, qu’on ne remplissait pas encore sur la première tournée. Et c’est là qu’on s’est rendu compte que même si l’album ne cartonnait pas vraiment dans les médias, parce qu’il n’y avait pas de single, sur le terrain, partout en France, c’était une tout autre ambiance.

LE DEUXIÈME VOLUME DE L’HISTOIRE ORALE DE FEU! CHATTERTON SERA PUBLIÉ DANS NOTRE PROCHAIN TRIMESTRIEL.

Notre chronique de Live à Paris – Palais d’argile Tour 2022 est à lire ici.

Un autre long format ?