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Nick Cave and the Bad Seeds
[PIAS]

Nick Cave, après les enfers vient la lumière

À l'occasion de la sortie de "Wild God", nouveau monument de la carrière d'un Nick Cave retrouvé, huit ans après le décès de son fils Arthur. Une chronique qui vous est offerte en avant-première pendant une durée de 48 heures. Elle sera évidemment au sommaire du mook de la rentrée !

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On pénètre, dès les premières secondes de Wild God, de plain-pied dans la musique. Tous les instruments déboulent en même temps ou presque, enflent et déferlent telle une vague, avancent en un bloc d’énergie pure qui emplit tout l’espace, gomme l’horizon, efface les perspectives, interdit le hors-champ. Il n’y a plus que lui: le son ample, puissant et foisonnant des Bad Seeds, dont cet album signe le grand retour en tant que groupe – et non plus l’addition de musiciens exceptionnels, comme cela semblait être sur les deux précédents albums signés Nick Cave & the Bad Seeds et coproduits avec Warren Ellis : Skeleton Tree (2016) et Ghosteen (2019), à l’esthétique de ruines et aux formats explosés.

Ces deux disques, magnifiques, offraient une bande-son au deuil qu’éprouvait alors Cave après le décès de son jeune fils Arthur. En ces musiques de désert lunaire, où l’air se faisait rare, chaque déplacement était un miracle au ralenti, chaque son filtrait d’un endroit lointain et isolé. Tout percolait par les larmes et l’âme désolée de Nick. Ici, si elle recèle toujours de discrets désordres et secrètes maladies, la musique est plus directe – le groupe joue soudé, la batterie frappe, la basse claque, les synthés déroulent leurs épais tapis de notes et les chœurs, omniprésents, gonflent les chansons d’espoir, les nimbent de lumière. La voix de Cave entre comme par effraction, toute à sa hâte d’entrer dans le vif, son désir d’en découdre. Trois morceaux sont ainsi joués, trois très bonnes chansons des Bad Seeds (Song of the Lake, Wild God et Frogs), reprenant les affaires où The Lyre of Orpheus (2004) et Push the Sky Away (2012) les avaient laissées.

Le quatrième titre, qu’augurent cependant les ambiances minées dont Ellis a le génie, ces boucles à la dérive et ces synthés à l’agonie, le confirme net: l’heure n’est plus à l’affliction. «Nous avons tous éprouvé trop de chagrin, le temps de la joie est venu», chante Cave, tandis que des chœurs élégiaques le soutiennent et qu’un cor d’harmonie élève ses notes célestes. Joy, premier chef-d’œuvre de l’album, synthétise le propos général de Wild God: dans la noirceur se nichent finalement des lueurs. Arthur, «fantôme en baskets géantes, riant, des étoiles autour de la tête», visite la chanson et revient dans la suivante, deuxième coup de maître, Final Rescue Attempt. Le jeune homme, «avec le vent dans les cheveux», y lévite tandis que la musique tournoie et que Cave chante son éternelle prière. «Après ça, rien ne peut plus vraiment faire souffrir», songe-t-il.

La joie selon Nick naît de la douleur, surgit en contraste, par jeu d’ombres et de reliefs, tout comme la musique déroulée au long de ce dix-huitième album signé avec les Bad Seeds, où s’enchevêtrent les ondes malades, fuyantes et liquides chères à Ellis et le corps solide et ciselé du groupe (augmenté sur certains titres de Colin Greenwood, de Radiohead, à la basse et de Luis Almau à la guitare acoustique). Wild God embrasse à sa manière l’histoire complexe des Bad Seeds (le classicisme de Long Dark Night, troisième chef-d’œuvre de l’album, ne le ferait pas dépareiller sur The Boatman’s Call – 1997 ; le personnage de Wild God retourne à Jubilee Street) et ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire des Bad Seeds et de Nick Cave, revenu des enfers. On pressent que, contrairement à Orphée, il ne se retournera plus.

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