Willis Earl Beal – Nobody Knows

Évolution ou trahison ? Sacrifie-t-on son innocence en troquant les magnétophones cassés des débuts contre des enregistrements rutilants dans des studios trop propres ? Telle est l’éternelle question pour les artistes ayant éclos dans l’intimité du lo-fi, une fois arrivés aux portes du succès. Willis Earl Beal a décidé de franchir le Rubicon à l’occasion de la sortie de Nobody Knows, délaissant les collages en vrac du formidable Acousmatic Sorcery (2011) pour s’offrir un second album plus net, agrémenté d’arrangements soignés et même d’un duo glamour avec Cat Power (Coming Through, entêtante scie soul) afin de pouvoir enfin présenter décemment au monde ses blues à fleur de peau. A-t-il toujours voulu un son comme celui-ci ou l’idée lui a-t-elle été soufflée par un label entreprenant ? Mystère et boule de gomme, tant Wills Earl Beal se fond avec une troublante aisance dans cet écrin hi-fi sans pour autant vendre son âme. Des claviers mystérieux du grand Everything Unwinds jusqu’à Ain’t Got No Love, pastiche hargneux de son idole Tom Waits, les obsessions de l’Américain sont inchangées et sa voix reste toujours aussi habitée, particulièrement sur les titres les plus mélancoliques comme Blue Escape et Burning Bridges, les premiers à profiter de cette production polie. D’où vient alors cette impression de lassitude qui nous gagne au cours des cinquante-sept (trop longues) minutes de Nobody Knows ? Peut-être du sentiment d’avoir perdu un peu de la joyeuse désinvolture qui faisait le sel d’Acousmatic Sorcery dans ses moments les plus énergiques, et de l’intimité désarmante d’une chanson comme Evening’s Kiss. De larges pianos noyés dans l’écho ont pris la place des guitares frêles enregistrées au coin du lit, mais une simple redite du précédent LP n’aurait-elle pas déçu également ? Encore une question qui reste en suspens.

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