1. Les divins Marquis de Sade
Marquis de Sade, reformé pour son quarantième anniversaire, était attendu avec circonspection par une bonne partie du public qui n’a pas connu les heures glorieuses des « jeune gens modernes », cette génération mariant rock anglo-saxon au chant en français (Etienne Daho, Taxi Girl, Elli & Jacno…) dont Philippe Pascal et sa bande furent les précurseurs (quoique chantant surtout en anglais et allemand), avant de splitter en 1981. De fait, le groupe a surpris et enthousiasmé ceux qui n’en attendait rien, et a ravi les fans, autant par la grande maîtrise de ses morceaux que par leur évidente modernité. Modernité, non pas dans la revivification permanente de la nostalgie que notre époque promeut, mais par une écriture qui, déjà entre 1977 et 1981, déconstruisait les idiomes rock, punk et post-punk, en nombreux changements de rythmes, variations intempestives, contre-pieds et chausse-trappes mélodiques, qui rendent les tubes d’alors tout à fait adaptés à la capacité d’attention de moins en moins soutenue des jeunes gens modernes d’aujourd’hui. Guitares en avant et de chaque coté de la scène, voix claire, nette et tranchante pile au milieu, rythmiques et synthés dans le fond comme une fondation, saxophone ponctuel et en rien ridicule, les tubes Rue de Siam, Conrad Veidt ou Wanda’s Loving Boy étaient ainsi portés par une sonorisation impeccable, un light-show tout à fait gothique et des vidéos tout à fait expressionnistes-allemandes. Sur ces constructions anguleuses, coupantes, et en même temps envoûtantes et insidieuses, Philippe Pascal pouvait déployer, central, ses longs bras, ses longues mains et ses longs doigts, en pantomimes aussi élégantes qu’expressives, comme des extensions de son chant, acéré, précis, hanté. Seules ombres au tableau noir et rouge de la soirée, une reprise du Velvet (« Ocean ») avec un Etienne Daho emprunté, et un featuring de Pascal Obispo, présenté comme « le plus grand fan du groupe », mais un peu hors-sujet en bracelets de force et cris de coach de salle de muscu. Elégance vs biscottos, Obispo à Villette Sonique, times they are changing : les (finalement) divins Marquis n’avaient pas besoin de ces cautions pour reconquérir les cœurs et les corps.
Leur actualité : Le groupe sera en concert au Zénith de Lille le 16 juin, puis aux Nuits de Fourvière à Lyon le 25 juin et enfin le 19 juillet au festival des Vieilles Charrues.
2. John Maus excite autant le corps que l’intellect
Entre hystérie et grand-messe, la réputation de John Maus sur scène le précède et son concert au Trabendo le 30 mai était logiquement sold-out, tous ceux l’ayant raté à la Maroquinerie en novembre dernier voulant assister au freak-show de l’américain. A la table de merch, d’ailleurs, un tee-shirt placardait sur les torses « I saw John Maus live ». Vu l’intensité de la prestation du chanteur, on se dit qu’il est sans doute en effet urgent d’aller le voir, avant qu’il ne clamse, tout simplement. Désormais accompagné par un trio batterie-basse-synthé branché (avec casques) sur les séquences Ableton, John Maus a en effet tout loisir désormais de hurler comme un damné, de se frapper violemment la tête du poing ou du micro, de faire du head-banging à contretemps, de sauter sur place en se tenant les seins, comme une sorte de primate post-moderne, c’est-à-dire de primate dans lequel on aurait inoculé de force et à la seringue, beaucoup trop d’informations. C’est une vision de supplicié que l’on a, pendant un concert de John Maus, et si on ne sait s’il s’agit là de parodie (des postures de la grande histoire du rock) ou de réel don de soi (comme Jeanne d’Arc, disons), l’interview faite plus tôt dans l’après-midi peut nous rassurer (ou nous inquiéter vraiment) : John Maus en conversation a la jambe qui tremble nerveusement, enchaîne les « hem » plusieurs fois par phrases et regarde obstinément le sol, sauf quand il lève la tête vers nous et que son beau regard clair et ouvert, quasi enfantin, nous assure que tout, chez cet homme, est sincère, spontané et généreux. Sur scène, donc, John Maus se donne à fond, ne fera pas de rappel à force d’épuisement, et enchaîne les tubes, clamés, hurlés d’une voix de baryton d’outre-tombe, ou d’outre-réverb’, son groupe déroulant comme une machine les compliquées constructions contrapuntiques que l’ancien claviériste d’Ariel Pink et Panda Bear a patiemment et savamment élaborées. Une ligne mélodique post-punk à la basse, déclinée ensuite en fugue gothique par le synthé, reprise enfin par un batteur mathématicien, le tout tournoyant en progressions spiralées, déclivités mélodiques, canons harmoniques, font des live de ce grand avant-gardiste de la chose pop une expérience qui excite autant le corps que l’intellect. Comme un rite tribal joué dans une église baroque par des hommes-machines, dont le grand prêtre, malade sans doute, mais malade de l’époque, brûle.
Son actualité : Après la sortie cette année de son album Addendum, John Maus poursuit sa tournée en France qui s’achèvera le 8 juin à l’Aéronef de Lille. Il sera également à la programmation de la Route du Rock de Saint Malo, pour un concert le 18 août.
3. Jon Hopkins, si singulier Anglais
Il y a, ce 25 mai au soir, de l’électricité dans l’air. Est-ce Mogwai ou l’orage qui assomme la Grande Halle de la Villette ? C’est probablement Jon Hopkins. Son art électronique, rencontre entre la techno, la microhouse et l’ambient, a vite conquis le public de la grande Halle. Début du set : 23h30. Oublions cette chorégraphie douteuse exécutée par deux danseuses et ce début identique à l’album. Malgré sa timidité manifeste, l’Anglais s’en sort bien et parvient à créer un moment unique. L’interprétation live se situe certes à la marge, mais suffisamment pour que, ajoutée à l’amplification de la Grande Halle, l’expérience de ce brillant album soit complètement renouvelée.
Son actualité : un dernier album, Singularity, paru le 10 mai. Des concerts aussi. Jon Hopkins jouera le 2 juin au Primavera Sound Festival à Barcelone, à Dour mercredi 11 juillet, au Montreux jazz festival le 12 juillet puis le 26 octobre au Trianon à Paris.
4. Hookworms, revanche sur l’adversité
Décès, rupture, destruction de matériels : pour les membres de Hookworms, sortir leur dernier album, Microshift, a été un chemin de croix. Le calvaire semble se poursuivre ce cuisant dimanche, sur la scène périphérique. Le chanteur, Matthew Johnson, est excédé : impossible de faire des balances correctes. Une fois tout rentré dans l’ordre, au bout de 20 min, l’Anglais prend le micro, s’excuse en quelques mots et se lance. Pas le temps rogner sur le concert. Il entame Negative Space, premier single de l’album et synthèse de leur style psych-punk, teinté de kraut, aujourd’hui nourris de sons de synthèse. Malgré le cagnard, la queue au bar, et le prix de la bière, pas un seul sourcil froncé dans la foule. Tous les regards sont aimantés par cette interprétation fougueuse et cette énergie dense, mature et généreuse.
Leur actualité : Le quatuor de Leads est venu défendre son troisième et dernier album paru en février, Microshift, plus électronique, moins psyché que par le passé, mais aussi plus accessible.
Wilfried Paris et Benjamin Pietrapiana