De Maine Road à Wembley, des tréfonds de la working class au statut de rockstar, l’essai de Nico Prat et Benjamin Durand, "Oasis ou la revanche des ploucs", entrelace l’histoire du groupe des frères Gallagher et celle de la politique anglaise.
28 août 2009, à Rock en Seine. Pour la première fois de son histoire, le festival parisien affiche complet, une affluence due en (grande) partie à la présence événement du groupe Oasis. Devant la Grande Scène, 30.000 fans se massent dans cette proximité des corps propre à l’ère ante-Covid et, chauffés à blanc, entonnent a cappella l’hymne Wonderwall. C’est la fin de l’été. Sur la pelouse du Parc de Saint-Cloud, l’ambiance est bon enfant.
A mesure que les minutes passent, on fraternise. Puis, très vite, on s’impatiente ! Et pour cause : il est désormais plus de 22 heures et toujours pas de nouvelles des frères Gallagher. En coulisses, l’atmosphère se tend. Les sales gosses de la brit pop en viennent aux mains, les verres volent, Liam se saisit de la guitare de son frère et la projette loin. C’en est trop pour Noel qui décampe après un ultime échange d’insultes dont une flopée de F-word. Sur les écrans géants du festival, une phrase vient doucher les espoirs des fans. “Après une altercation au sein du groupe, le concert d’Oasis est annulé ».
Plus tard dans la soirée, sur le site du groupe, Noel officialise la rupture. “C’est avec tristesse mais avec un grand soulagement que je vous annonce que je quitte Oasis ce soir. Les gens écriront ce qu’ils voudront, mais je ne pouvais tout simplement plus travailler avec Liam. » Oasis n’est plus !
Oasis dans la grande histoire du rock britannique
Voilà pour la fin de l’histoire. Pour le reste, tout le reste, des prémices jusqu’aux tubes interplanétaires, de l’Angleterre de Thatcher à celle de Blair, de Maine Road à Wembley, il faut lire Oasis ou la revanche des ploucs, livre signé à quatre mains par les excellents Nico Prat et Benjamin Durand, édité par Playlist Society. Dans leur essai, les deux hommes, qui comptent certainement parmi les meilleurs spécialistes du groupe mancunien, analysent, décortiquent et replacent Oasis dans la grande histoire de la pop britannique. Au fil des pages, les voilà dessinant ainsi des filiations (avec Brown, Lennon, Weller et Marr) remontant le fil de la genèse du groupe et du sens aussi générationnel que politique d’un rock aux accents de revanche sociale.
Car c’est un fait : Noël et Liam sont bel et bien deux ploucs qui s’extirpent de leur condition une guitare à la main. On connaît la suite : excès, clashs et morning glory à tout va ! Le livre du duo Durand – Prat raconte tout, documente avec précision, constituant – et c’est assez rare pour être signalé – un livre à la fois docte et abordable que l’on prend plaisir à dévorer.
Parfois qualifiés de “sous-Beatles”, les auteurs de Live Forever retrouvent ici toute la place qu’ils méritent : celles d’ultimes stars d’un genre que l’on aime à croire mort. En sept albums studio et quelques live demeurés dans les mémoires, Oasis aura affolé les charts pendant près de vingt ans.
Une pop anglaise plus électrique, plus frondeuse et plus flamboyante
Avec près de 80 millions de disques vendus, le groupe mancunien a posé les bases d’une pop anglaise plus électrique, plus frondeuse et plus flamboyante, remise au goût du jour, “réveillant toute une génération de lads british avec ses hits étincelants, dévoyant sauvagement l’héritage des Who, des Kinks et évidemment des Beatles”, comme l’écrivait le journaliste Alain Gouvrion dans un numéro de Rolling Stone consécutif à la séparation du groupe.
Reléguant Suede au rang d’anecdotiques esthètes classieux et ramenant Blur à son extraction londonienne bourgeoise, les prolos de Manchester ont ainsi annihilé la concurrence et remporté la bataille de la brit pop à grands coups de singles larsenants et de concerts sold out.
Ainsi, tandis que la bande à Damon Albarn classait deux titres numéro 1 des charts anglais dans les nineties, notre fratrie diabolique hissait dans le même temps quatre morceaux résumant parfaitement l’étendue de leur répertoire. Pour mémoire : Some Might Stay en 1995, Don’t Look Back In Anger en 1996, D’You Know What I Mean en 1997 et All Around The World en 1998. Sans oublier trois titres numéro 2 : Roll With It, Wonderwall et Stand By Me. Pas les pires, peut-être même les meilleurs…
Les frères Gallagher, divisés mais fédérateurs
Oasis ou la revanche des ploucs a ceci d’interessant qu’au-delà du double récit biographique et thématique qu’il met en place, il problématise également l’ascension d’un groupe à l’ambition faramineuse. « Incapables de former un duo soudé, les frères Gallagher veulent pourtant fédérer la nation autour de leurs hymnes de stade » soulignent les deux auteurs.
Une petite entreprise familiale chaotique qui fonctionne au-delà des espérances. « Les 10 et 11 août 1996, Oasis convie ses fans à Knebworth, pour deux soirs de concerts en compagnie de The Prodigy, The Chemical Brothers, Manic Street Preachers ou encore The Charlatans (…) racontent Durand et Prat. Un week-end qui rassemble plus de 250.000 personnes. 2,6 millions de personnes tentent alors d’obtenir des billets, soit 5% de la population britannique de l’époque ».
Un film et un disque vont marquer le vingt-cinq ans de cet événement à la rentrée de septembre.
Parce qu’Oasis a fini par incarner l’Angleterre dans l’inconscient collectif de la génération X et Y, il faut lire La revanche des ploucs comme un livre dépassant le strict cadre musical. Peut-être même comme le récit éclairé d’une épopée (brit) pop. Enfants turbulents de la lower class élevés par une mère esseulée, Noel et Liam, alors même qu’ils sont partis de rien, ont réussi à transcender la grisaille mancunienne. A la transformer en poésie !
On lira à ce titre avec le plus grand intérêt les pages consacrées à l’écriture de Noel, songwriter aux élans surréalistes, largement inspirés de la méthode Lennon-Macca dans laquelle images, métaphores et British nonsense s’empilent pour devenir des tubes repris à tue-tête dans des stades plein à craquer ! Oasis ou la quintessence de l’esprit insulaire britannique couplé à ce fameux fighting spirit (dans tous les sens du terme). Biblical serait-on tenté de dire, le menton en l’air, en paraphrasant ce bon vieux Liam…