En février 2013, le retour inopiné de My Bloody Valentine secouait le Landerneau des nostalgiques de tous bords. Mais la claque annoncée ne fut que partiellement au rendez-vous. Tout le contraire de ce Passage Secret qui marque le retour foudroyant aux affaires de l’autre génie de l’Est, Rémy Bux, brisant douze ans de silence sous l’alias KG. Douze ans que le Duc de Sausheim n’aura certes pas passé sous la couette, multipliant en sous-main d’autres projets (Sun Plexus, Ich Bin, Einkaufen) et ses activités d’ingénieur du son (le mastering d’à peu près tous les disques sortis par le label strasbourgeois Herzfeld). Ingénieur du son, donc, est un terme qui convient particulièrement bien à celui qui terrorisait dès le début des années 90 toute concurrence en envisageant le shoegazing non pas comme une fin en soi mais bien comme un passage (secret ou non) vers une musique brillante, agressive, dénuée de tout complexe anglo-saxon. Douze ans qui lui auront ainsi permis de devenir culte à l’étranger – les pressages originaux de disques parus à l’époque sur diverses structures (Lo-Fi Recordings, Orgasm, Antimatière, Clairecords, Tinseltones) ayant atteint des cotes non négligeables chez les collectionneurs chevronnés. Bien que ressortis de manière compilatoire sur le regretté label Gooom sous l’intitulé logique The Greatest Hits en 2001, ces morceaux auront l’honneur de la série de rééditions Shoegaze Archives de Captured Tracks au printemps prochain. En attendant déboule ce nouvel album inattendu et immédiatement foudroyant, synthèse monstrueuse de plus de vingt ans de tractations et d’esclandres entre le bruit et l’électronique.
P36 martèle le cerveau tout en le cajolant avec des nappes de synthés qui se confondent avec le tranchant des guitares, comme une pluie de cristal sur le petit jour à la veille d’un grand combat. Les guitares “flangées” d’Übermorgen laissent entrevoir un attachement aux années 80, et le songwriting (car il y en a, et en allemand s’il vous plaît) se met en place sur Auswendig, sublime complainte mélodique. On ignore pour l’instant quel est le parti pris derrière ce choix, peut-être un autre Passage Secret vers les sortilèges de l’enfance et un champ lexical qui a de fait baigné une vie passée dans une région doublement frontalière, mais une fois la surprise passée, la langue de Goethe et Schiller ne perturbe pas vraiment le génie des compositions. Nicht Ums Verrecken inspirerait bien des déhanchements dans le cerveau de Kevin Shields et laisse l’auditeur pantois, ne sachant qui produit ces sons inouïs entre l’homme, la machine et les guitares. Blut, avec des paroles de Lili Zeller (Volt, The Splash Four), renoue avec le spectre de la chanson répétitive et définitivement habitée, tout comme Mein Herz Schlägt Nur Für Dich, instrumental jusqu’à une récitation qui débouche sur l’acmé du morceau, buté, tendu, d’une tendresse contrariante. Abschiedsspiel est un crève-cœur sonique de moins de cinq minutes qu’on rêve pourtant de dérouler pendant des heures tant les strates et les textures employées valident une foi contemplative rarement entendue depuis Kraftwerk. Pirouette finale, Rebonjour L’Électronique fait écho à son propre Adieu À L’Électronique (2002). Un adieu qu’on n’imaginait pas si durable, et que ce disque, comme le violent retour d’un stimuli opioïde, vient contrarier sous la forme d’un éblouissement permanent.