Les Marquises – Pensée Magique

Si le premier LP des Marquises (Lost, Lost, Lost, 2010) s’inspirait du travail d’une figure de l’art brut, le second se penche sur la représentation de la jungle à l’écran. Jean-Sébastien Nouveau, âme du collectif, travaille-t-il sous contraintes ? Au contraire. L’homme se nourrit d’œuvres – esthétiques et périodes confondues – pour titiller sa propre inspiration. Très bien entouré – impossible de tous les nommer, mais citons Étienne Jaumet au saxophone, Benoît Burello (Bed) et Nicolas Laureau (Don Niño, NLF3) au chant, ou encore son frère Julien Nouveau aux larsens et percussions –, le musicien a composé Pensée Magique avec à l’esprit la jungle telle que décrite ou évoquée dans les longs-métrages de, entre autres, Werner Herzog – Aguirre Ou La Colère De Dieu (1972) et Fitzcarraldo (1982). Le documentaire ethnographique Les Maîtres Fous (1955) de Jean Rouch donne son titre au morceau inaugural, qui mêle rythmiques (dites) primitives, décrochages jazz, clavecin apaisant et larsens inquiétants. L’ambiance posée, il nous reste à plonger dans les méandres de ce court album. Une écoute sous influences.

Si l’on pouvait se perdre dans Lost, Lost, Lost sans rien connaître d’Henry Darger (1892-1973), l’écoute est ici forcément marquée par des images d’enfer vert, et l’on traque la jungle dans la moindre parcelle d’une forêt musicale où s’enchevêtrent également trompette, percussions diverses, violon… On pense la reconnaître dans les rythmes tribaux de Chasing The Hunter ou dans les chœurs de Cassette (Hands Of Fire) – dont le rythme, sourd et légèrement rebondi, rappelle celui du thème de Cannibal Holocaust (1980). Mais au-delà de ces signes aisément décelables (les field recordings du bien nommé In The Forest), Les Marquises signe surtout une œuvre parfaitement agencée, qui avance progressivement vers un climax final. Et sans minorer le défrichage sonore, l’abattement des frontières ou le croisement des genres (post-rock, jazz, noise, krautrock) à l’œuvre sur The Visitor, sorte de carambolage entre NLF3 et un Battles acoustique, il faut souligner que tout le disque converge irrémédiablement vers Chasing The Hunter, véritable diamant noir et brut, longue traversée secouée d’infatigables percussions et cousine de  Cut Hands, projet afro-noise et bastonneur de William Bennett (Whitehouse). On sort de là ravi, un peu étourdi, avant d’être réconforté par l’apaisé et flottant Jeannie’s Magic Cast-On, chanté par Bed, aux allures de clairière réconfortante après la traversée. Qui inspirera Jean-Sébastien Nouveau demain ? Qu’importe. À coup sûr, le modèle sera transcendé.




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