Pop Crimes est né sur les braises encore fumantes du départ de Romain Meaulard d'En Attendant Ana. Le guitariste et son partenaire Nicolas Pommé nous racontent leur renaissance légendaire et l'alchimie parfaite qui vient d'accoucher d'un 45 tours fantastique, « Up To The Moon ».
Pop Crimes en concert ce vendredi 1er octobre à L’International (Paris)
Décembre 2018. Romain Meaulard contemple la reine des nuits blanches depuis son réduit parisien, songeur, une cigarette dans la main gauche, une cannette de bière éventée dans la main droite. Il vient de quitter En Attendant Ana, son groupe de toujours qui l’avait mis sur le devant de la scène, lui l’obsédé de l’instant et des grands héros romantiques, son jeu de guitare flamboyant et ses performances dignes d’un champion sportif. Et pour cause : « Romanichel Jarre » dixit son pseudo Facebook foireux, adore le vélo qu’il pratique occasionnellement avec exactement la même intention qui l’anime face au public: « se cramer ».
Avant de dire adieu à son groupe chéri, il a perdu son amour d’adolescence avec laquelle il formait ce duo alchimique qui portait à lui-seul toute la destinée de ce quintette garage-pop magnifique fusionnant avec brio la violence vivifiante du rock’n’roll et la douceur réconfortante de la mélodie pop.
En Attendant Ana, puis le vide
Le vide. La vie de Romain vient de basculer brutalement, délestée en à peine quelques jours de ses fondations, celles qu’il avait construites année après année, pierre après pierre. Aussi violente que les concerts qu’il donnait, la perte de repères devient totale lorsqu’il décide ensuite de quitter son job au Supersonic, son autre famille, la troisième, où il se sentait comme un poisson dans la bière depuis près de trois ans.
Trop souvent imbibé par cette substance qui remplace souvent l’eau dans le bocal de la nuit parisienne qu’il adorait et détestait à la fois, cet héritier des mâles fifties qui bouffaient la vie à gorge déployée trouva là une solution pour lutter contre la nature addictive qui le démonisait depuis des années. Si les circonstances de la chute de sa rupture sentimentale restent obscures, une intimité à respecter ici, le départ du groupe et du Supersonic sont ses décisions.
Il faut un sacré courage pour choisir de sauter dans le vide après avoir atteint peu de temps avant le sommet d’une montagne qu’il avait gravi au prix de tant d’efforts acharnés. Romain est un homme d’action, il le prouve encore ici. En même temps qu’une poussière diffuse qui recouvre alors aussitôt dix années de vie tumultueuse, il laisse derrière lui un groupe orphelin, presque perdu suite au départ d’une de ses deux moitiés. En Attendant Ana était une histoire d’amour, dont les pouvoirs infinis avaient marqué au fer rouge la scène rock parisienne de ces cinq dernières années.
Sans amour, il n’y avait plus rien, et ça Romain l’avait bien compris en s’en allant pour ne plus jamais revenir.
Il l’explique très bien dans l’entretien passionnant qu’il nous a accordé aux premières lueurs de l’été 2021, avec son style si reconnaissable fait de punchlines et de ritournelles poétiques. Et cette fois-ci, il n’était plus seul.
Après l’amour, l’amitié dans Pop Crimes
Depuis cette soirée de décembre 2018 où il contemplait l’immensité stellaire de ses grands yeux mélancoliques après avoir plongé dans le vide la tête la première, un torrent de lave en fusion a coulé sous les ponts. On vous spoile pas cette capsule temporelle qui relève de la légende romanesque, on peut simplement vous dire que ses « vrais » amis, son autre « deuxième » famille, l’ont sans doute sauvé de la catastrophe. Après l’amour et ses vertus infinies, voici que l’amitié entre dans ce grand tableau en clair-obscur qui nous conte une fantastique histoire de musique, peinte avec le plus grand soin depuis (au moins) une demi-décennie.
Au fond à gauche, EAA s’égosille à pleins poumons avant de mourir, vous connaissez l’histoire maintenant. Au fond à droite, un certain Nicolas Pommé fait lui aussi des merveilles avec Young Like Old Men, un groupe au nom culte à cheval entre le rock psychédélique et les obsessions nineties type shoegazing, mais pas que, qui se révèle plus que jamais à lui-même sur scène en foutant les potards dans le rouge vif, exactement comme « En Attendant.. », tiens tiens.
A l’arrière plan de cette peinture qui nous conte une (petite) partie de la grande histoire du rock parisien moderne, les deux groupes se regardent les yeux dans les yeux. Et pour cause : ils partagent le même studio de répétition depuis 2015, un cagibi pourri perdu au fin fond d’une friche légendaire qui a vu passer des tonnes de pépites comme Moodoid ou Special Friend avant d’être détruite récemment pour des histoires de gros sous, et ont régulièrement tapé l’affiche ensemble sur les meilleures scènes du rock jeu bleu-blanc-rouge, avec notamment des concerts au Supersonic et au cultissime « 3 Pièces » de Rouen dont les effluves subsistent encore dans les mémoires visuelles et auditives de ceux qui les ont vécues.
Autre fait d’arme notoire ayant lié bien avant Pop Crimes les destins de Romain et de Nicolas : le fameux Lost and Found d’En Attendant Ana que s’arracheront les collectionneurs dans une trentaine d’années a été enregistré et produit par Nico avec son poto de Young Like Old Men, Guillaume Siracusa qui officie désormais dans Special Friend, un des groupes phares de cette année 2021. Alors que le Romain d’EAA disparaît progressivement du tableau façon Georges Mc Fly dans Retour vers le Futur pendant que son comparse de Young Like Old Men est toujours bien vivant, les deux amis pour la vie apparaissent désormais au premier plan, guitares électriques sous le bras et grand sourire complice, bientôt rejoints par, Quentin l’homme de basse et Morgane, la déesse du rythme échappée de Blondi’s Salvation.
Nous sommes au début de l’année 2019, à l’aube d’une nouvelle vie pour ces quatre gus amateurs d’émotions. L’alchimie parfaite qui va rapidement naître en eux s’apprête à faire des miracles. La suite de cette histoire romanesque faite de rêve et de nostalgie, de jouissance électrique “chillée” et surtout de mélodies hypersensibles portées par un méli-mélo de guitares en fusion qui nous éjectent irrémédiablement vers l’infini des sens, c’est Pop Crimes et Magic qui vous la racontent. Une fantastique ode à la vie, qu’il faut dévorer à tout prix avant qu’elle ne disparaisse à tout jamais.
MAGIC : Tu quittes En Attendant Ana fin 2018, le groupe ne glisse même pas un petit message sur la page Facebook, c’est un peu dur non ?
Romain Meaulard : Ben c’était une rupture de couple, donc c’était compliqué de communiquer, pour eux comme pour moi… Tout était imbriqué. C’était pas envisageable de poursuivre avec le groupe, après cette rupture et cette relation aussi longue. Ils ont décidé de continuer, ils auraient pu arrêter, changer de nom… Voilà c’est leur choix. Moi j’ai essayé de rebondir très rapidement, parce que c’est pas possible autrement, en fait. Déjà, le rapport que j’ai avec le musique… J’ai besoin de m’exprimer, d’avancer, d’avoir du mouvement. En plus, on avait déjà parlé avec Nico de faire un groupe avant toute cette histoire, c’est tombé à pic en fait. Avec En Attendant Ana, ça commençait à bien marcher, on revenait d’une grosse tournée aux Etats-Unis, on était dans un cercle assez vertueux, je ne pouvais pas ne rien faire ! On a rapidement composé, enregistré, il fallait faire rapidement quelque chose de concret.
MAGIC : Tu as répondu à mes quatre premières questions en une fois, merci ! Par rapport à Maxence Tomasso qui t’a remplacé au pied levé et que tu connaissais bien à l’époque d’EAA pour avoir souvent partagé l’affiche avec lui et Entracte Twist, ça s’est passé comment, vous êtes restés potes ou pas du tout ?
Romain Meaulard : (Silence) On s’est vus. Je lui ai proposé un coup de main pour l’aiguiller sur certains morceaux. Finalement, il n’en avait pas du tout besoin, il était suffisamment bon, et comme moi, je ne suis pas un très bon musicien… On a juste bu un verre une fois, c’était cool mais on n’est pas restés proches non plus. Comme beaucoup de gens dans le milieu du rock parisien, c’était un bon copain de soirée et de musique. Tu as la musique d’un côté avec tes amis de soirée, tu as tes autres groupes d’amis de l’autre côté. C’était un peu compliqué pour lui. Je sais pas si il aurait eu le « bon de sortie » comme on dit dans le vélo (rires).
J’avais rien d’autre dans cette piaule que ma guitare et mon ampli.
Romain Meaulard
MAGIC : Si je ne m’abuse, en plus de ta rupture amoureuse tu quittes ton groupe et tu quittes ton taffe au Supersonic qui était ta deuxième maison, c’est tout un monde qui s’écroule d’une certaine manière, tu as dû avoir une sacré sensation de vide au début. Qu’est-ce qui se passe dans ces premiers mois de 2019 ? Car tu as rebondi assez vite en fait ?
Romain Meaulard : Ouais, tout est un peu entremêlé. Le Supersonic, ça fait un moment que je voulais arrêter, le monde de la nuit, tout ça… J’ai une tendance à boire un peu trop soutenue pour bosser dans une salle de concert, avec toutes ces tentations en permanence. Et je voulais aussi voir autre chose. C’était un peu galère au début mais j’ai eu de la chance, j’ai trouvé un taffe super cool assez rapidement, un nouvel appartement.. Tous mes potes ont été présents et puis voilà, il fallait avancer !
MAGIC : C’est là que tu vois les vertus de l’amitié dans ces moments-là, les vrais amis, pas juste les potes de soirée, et Dieu sait qu’il y en a beaucoup dans le monde du rock.
Romain Meaulard : C’est clair putain ! Je m’en suis sorti, c’est l’avantage de la jeunesse, on rebondit plus vite. Je n’avais que 27 ans. Il y avait une forme de petite mort, mais je me suis relevé aussitôt ! Durant cette petite période de chômage, j’avais beaucoup de temps libre, je suis pas mal allé au cinoche c’est vrai, j’ai beaucoup joué dans ma piaule aussi. Je n’avais rien d’autre dans cette piaule que ma guitare et mon ampli. J’ai pas mal travaillé, ça me permettait de m’exprimer et de me faire du bien. J’ai fait beaucoup de balades, j’ai beaucoup marché, j’ai continué dans ce mode de vie que j’avais déjà et l’ai poursuivi avec cette forme de grandes vacances que j’avais pas connues depuis longtemps.
MAGIC : Tu as aussi coupé les ponts avec les autres membres du groupe ? Et le Supersonic ?
Romain Meaulard : Non, je ne parle plus à personne du groupe, c’est triste mais c’est comme ça, il faut l’accepter. Le Supersonic, non, c’est cool, la preuve, cette interview s’y déroule ! L’équipe a bougé mais je m’entends toujours très bien avec tout le monde.
MAGIC : Passons à la suite et à Pop Crimes : vous vous êtes rencontrés il y a longtemps ?
Nicolas Pommé : Oui, on a fait pas mal de dates ensemble avec mon autre groupe Young Like Old Men, on a organisé des trucs ensemble.
Romain Meaulard : On avait fait jouer son groupe, avec Les Nuits de Pleine Lune (l’ancienne structure d’organisation de concerts où officiait Romain, NDLR), c’est à ce moment-là qu’on s’est vraiment rencontrer, et rapidement on a commencé à se voir que tous les deux.
MAGIC : Vous partagiez aussi ce fameux studio caché à Montreuil, vous faites partie du crew « Buddy Records », c’est toute une famille.
Nicolas Pommé: Oui et surtout avec Guillaume Siracusa mon coéquipier chez Young Like, on a produit le premier disque d’En Attendant Ana (le sublime Lost and Found) et déjà, bien avant que Romain les quitte, on avait cette idée de faire quelque chose ensemble. C’est rare de rencontrer des gens avec qui on a autant d’affinités esthétiques, sur la manière de jouer, d’écrire des morceaux. C’était écrit qu’on jouerait ensemble et voilà, tout s’est accéléré début 2019 après son retrait d’EAA.
Romain Meaulard : Oui, tout ça se tramait en même temps, du coup : bam, début 2019 c’est passé au premier plan. Notre première répétition à deux a lieu en janvier. Avec Quentin et Morgane, ça sera le 1er avril, ça ne s’invente pas.
MAGIC : Qui a trouvé ce nom de groupe absolument génial ?
Romain Meaulard : On s’est vus un jour dans un rade avec Nicolas à Montreuil, on avait deux-trois idées… Il m’a parlé de ce morceau Pop Crimes de Rowland S. Howard, j’ai écouté et j’ai carrément flashé dessus !
Nicolas Pommé: Rowland S. Howard est un musicien (australien, NDLR) hors du temps, avec cette poésie sonore, à la guitare… Un espèce de loser jamais vraiment reconnu qui a eu plein de groupes comme These Immortal Souls (1987-1998), Crime & The City Solution (1977–1979 ; 1985–1991 ; depuis 2012). Il sort enfin des disques sous son propre nom à la fin de sa vie (il est mort en 2009 à cinquante ans, NDLR), mais rien n’a jamais vraiment marché. Avec ce projet Pop Crimes, on a envie, avec Romain, d’être vraiment sur les émotions. Je trouvais que c’était à la fois un bel hommage et une évidence, notre rapport à lui est quasi spirituel. Plus prosaïquement, on adore la pop. On aime aussi la grosse fuzz.
MAGIC : Intéressant. Au delà du potentiel marketing, il y a une vraie histoire derrière ce nom.
Romain Meaulard : Oui, la personnalité de Rowland nous touche vachement, tu me connais Maxime… J’aime beaucoup ces figures de losers magnifiques et ce mec a une poésie, dans son être, qui est hyper touchante.
MAGIC : Génial. Du coup vous vous enfermez assez rapidement dans le fameux studio caché de Montreuil pour créer des sons ?
Romain, Nicolas : Non malheureusement il a était démoli, quelle catastrophe ! On a mis du temps avant de retrouver une maison pour créer, finalement on a dégoté un super plan au « Ventre de la Baleine » (énorme complexe artistique à Pantin, plein de studios pas chers, NDRL), notre studio est génial avec cette espèce de moquette rouge par terre ! On a même une terrasse sur le toit où on peut boire des coups.
MAGIC : Cool punaise. Donc les premiers morceaux du premier EP c’est toi qui les écris Romain ? J’ai cru reconnaître ta patte.
Romain Meaulard : Au début oui, mais l’idée de créer à quatre s’est vite imposée à nous. C’est le cœur de notre projet !
MAGIC : Les concerts ?
Romain Meaulard : Ouais, on a du cul, grâce à Aurélien le prog’ du Supersonic, on joue assez rapidement au Point Ephémère puis au Nouveau Casino. En deux mois, on fait sept ou huit dates, dans des bars, à Nantes, un super concert… Dans l’ensemble c’est cool, nous ne sommes pas hyper à l’aise mais c’est clairement un bon début, on avait même une date de prévue à La Maroquinerie, annulée à cause du Covid… On ne pouvait pas mieux commencer. Je n’ai même pas fait un an sans concert. C’était assez symbolique, j’étais content. Quand on a fait la mini-tournée de trois jours, c’est peu, mais c’est ça qui me manquait vraiment, cette vie de groupe, cette camaraderie. On a bu des shots avec des flammes !
Cétait vraiment libérateur pour nous aussi. On voulait créer un voyage.
Nicolas Pommé
Nicolas Pommé: C’est la clé. Il faut se marrer tout le temps, durant les balances, avant le concert, pendant le concert, après le concert… Cette énergie positive est née entre nous durant cette mini-tournée fin 2019.
MAGIC : L’EP sort chez Howlin’ Banana en décembre de la même année c’est ça ?
Romain Meaulard : On sort d’abord l’EP en numérique. Tom nous appelle et nous balance : « Je vais vous signer frère !» (rires). Le temps qu’on fasse la cover’ et tout est sorti en janvier, avec une édition K7.
MAGIC : Je vois. Ces quatre titres sont déjà très pop, mais il y a encore un truc très rock’n’roll avec un gros tempo à 135 Bpm, une « violence » qui va progressivement disparaître ensuite. La chanson The Sun amorce ce virage en fin d’EP, qui explosera par la suite dans ce 45 tours incroyable.
Romain Meaulard : On ne voulait pas vraiment sortir ces morceaux… On ne joue plus trop cette chanson, The Sun, elle évoque ce qu’on était en train de devenir, on était en train de passer la seconde. Mais tu as raison, elle fait le lien avec le 45 tours qu’on vient de sortir.
MAGIC : Et alors ce confinement, une idée géniale non ? Vous vous enfermez en studio toute l’année 2020 c’est ça ? Racontez-moi l’enregistrement de ce 45 tours magique.
Nicolas Pommé: En fait non. On échange des idées vite fait, durant le premier confinement. Dès le mois de juin, à la libération, on bosse de ouf’. Ensuite, petite pause, et puis rebelote à la fin de l’année au moment du couvre-feu, on a expérimente à fond.
Romain Meaulard : Tout s’est passé en décembre. On était bourrés de maquettes. Mais au lieu de se prendre la tête avec un album, on s’est enfermé en studio gratos pour vraiment se concentrer sur deux morceaux. Si ça marchait pas, on s’en foutait. Du coup, zéro stress et énormément de temps pour explorer le truc. On enregistrait de dix heures à minuit, c’était aussi l’occasion de picoler entre potes (les bars sont alors fermés, ndlr) jusqu’à quatre heures du matin. Un mois hyper productif : trois week-ends pour Up To The Moon, un week-end et demi pour There Where Smiles, avec cette idée de torcher un bon gros single pour la Face A et de faire une Face B tout aussi qualitative. On se fait plaisir, on teste pleins d’instruments… On n’a pas débranché durant un mois, chaque week-end on allait au charbon. Il fallait juste faire attention à ne pas trop oublier nos copines. Un moment libérateur.
MAGIC : Moi je découvre ça dans ma boite mail en mai 2021. Un torrent de larmes suit… Le résultat est incroyable vraiment, un bon petit chef-d’œuvre, avec ce mélange hyper de nostalgie et d’espoir.
Romain Meaulard: Autant le premier EP était vraiment libérateur, autant pour celui-ci, je n’ai pas pensé une seule seconde à En Attenant Ana en le faisant, alors oui c’est une forme de renaissance personnelle, mais c’est surtout Pop Crimes qui prend son envol.
Nicolas Pommé: C’était vraiment libérateur pour nous aussi. On voulait créer un voyage.
MAGIC : Up To The Moon est un sacré voyage, l’histoire d’un mec qui rêve de se poser sur la lune, avec comme je disais ce mélange de mélancolie et de rêve qui fait mouche. Qui a écrit les paroles ? Romain ?
Romain Meaulard: C’est un peu de tout ça c’est vrai, cette idée d’aller autre part, d’espérer autre chose, de voyager intellectuellement. Un autre truc très littéral sur la peur de ce que l’humanité peut faire aussi… On est fans de science-fiction avec Nicolas et il y a ce truc de « je ne suis pas sûr d’avoir confiance en nous pour aller sur une autre planète », ou « on n’a pas fait nos preuves en terme d’éthique et de respect de la nature », mais ce n’est pas du tout un pensum écologiste hein ! Selon ton humeur, tu peux choisir ta lecture, c’est un peu comme un film qui t’emmène vers des trucs à la fois très directs et aussi très imagés.
MAGIC : J’étais déjà obsédé par la lune, mais là je la regarde encore différemment depuis que j’écoute cette chanson. Je rêve vraiment de me poser dessus.
Romain Meulard: Ahah, j’avoue que je vois la lune depuis chez moi, je suis pile dans l’axe, et ça était aussi un vecteur dans l’écriture de la chanson. Tu sais que j’ai toujours été inspiré par la lune, avec Les Nuits de Pleine Lune, etc, mais ça je l’ai réalisé qu’après (rires).
MAGIC : Il y a aussi un côté cathartique assez important, sur l’amour brisé connu par Romain qu’il dépasse en quelque sorte avec ce 45-tours pour passer définitivement à autre chose.
Nicolas Pommé: C’est génial si ça te fait ressentir ça aussi. There Were Smiles c’est presque une tragédie (rires). Quand j’y pense, ces deux morceaux se complètent vraiment parfaitement, les deux faces d’une même pièce qu’est la lune, avec une face visible et une face cachée, alors qu’on avait absolument rien intellectualisé sur le moment.
Romain Meaulard : Ouais, c’est vraiment présent dans le second morceau, dont je n’ai pas du tout écrit les paroles d’ailleurs. Elles sont de Nicolas, mais voilà je me colle à son histoire, mais la mienne prend aussi le pas, et on est plus dans ce propos de la catharsis (amoureuse, NDR) dans There Were Smiles.
MAGIC : Oui, c’est un titre très nostalgique, un morceau encore bourré d’émotions…
Nicolas Pommé: Les émotions, c’est le moteur du projet. There Were Smiles est une ode au regret. La question subsidiaire étant : faut-il regretter, ou est-ce que cela ne sert totalement à rien ? Le texte est ici presque étouffé par la musique, alors que dans Up To The Moon c’est plutôt le texte qui étouffe la musique, qui est elle-même un langage à part entière. On peut passer des heures à essayer d’exprimer des émotions, avec un concert c’est réglé en quelques minutes, on n’a même plus besoin de se parler.
La musique c’est une manière de se sauver.
Romain Maulard
MAGIC : Je me souviens d’un poète qui disait : « les mots seront toujours bien insuffisants pour décrire la complexité des émotions humaines », la musique a ce pouvoir-là, qui est incroyable. Et cette nostalgie Romain, ces souvenirs d’un passé mythique, c’est quelque chose qui te travaille depuis toujours non ?
Romain Meaulard: Ouais il y a ce truc, dans mes pensées, qui m’a toujours défini. C’est cool d’être avec des gars qui sont un peu dans le même mood, dans ce délire des émotions. La musique, c’est une manière de se sauver, d’exprimer des choses que tu n’arrives pas à exprimer. J’ai quelque chose en moi, au quotidien, qui est un peu triste, la musique me permet à la fois de l’éteindre, de le comprendre, de l’assumer, d’être enfin entier. C’est ma béquille pour être bien au quotidien, je me sens jamais aussi bien qu’après un bon concert ou une bonne répétition, ça remplit ton vide intérieur.
MAGIC : Une des explications de cette pépite qu’est Up To The Moon, c’est cette construction du morceau en deux parties bien distinctes, avec d’abord une ballade presque trop tranquille et boum, ça explose et tu planes durant les trois dernières minutes après avoir reçu une énorme claque. Une vraie avalanche d’émotions.
Romain Meaulard: On a voulu accentuer au maximum’ ce côté « claque » avec un truc bien lourd, on est allé au bout de notre délire avec cette deuxième partie qui n’en finit pas ! D’ailleurs la moyenne de nos morceaux pour l’album à venir est autour des quatre minutes.
Nicolas Pommé: Au delà de ça, on a vraiment pris le temps de faire les choses, d’écrire les morceaux, à aucun moment on a pensé au côté « live » des titres, rien à foutre, on a poussé le bouchon de l’écriture à fond !
MAGIC : Romain, tu assumes enfin tes qualités vocales dans ce projet, avec une voix à la fois très rock et très sensible.
Romain Meaulard: Ouais, j’ai beaucoup travaillé là-dessus, mais c’est surtout la confiance de mes potes Nicolas et Quentin qui m’ont dit « allez vas-y mec, lâche toi ! ». Chacun de nous a confiance en l’autre, c’est formidable, merci les mecs ! Quand j’écoute ce que je faisais vocalement en 2017/2018, je me dis que le travail paye quoi ! J’ai enfin trouvé comment exprimer ce que je pense (avec la voix), j’en suis très content. Finalement c’est assez naturel, j’ai découvert un nouveau moyen d’expression qui m’apporte beaucoup au quotidien.
Nicolas Pommé: Comme je chantais dans tous mes autres groupes, je voulais pas que Pop Crimes sonne comme un énième side-project. Avec cette nouvelle voix on a créé une vraie identité.
Illustration 7: Les “couilles” de Pop Crimes, des copains d’abord
MAGIC : Ouais c’est ça, ça fait vraiment plaisir mec. Et ces paroles «Nothing scares me more than knowing humans knowing her», c’est quoi, la lune ou ton ex ?
Romain Meaulard: Non mec, c’est encore mon délire « écologiste » inspiré de la SF. Avec toutes les saloperies que l’humanité a faites sur la Terre, on est vraiment pas prêt pour aller vivre sur une autre planète (ici la Lune, NDR), l’espace est en train de devenir un vide-ordures… Je préfère qu’on continue à en rêver, c’est beaucoup plus beau, et aucun risque de faire de la merde !
MAGIC : La précision mélodique est vraiment remarquable dans votre groupe : écrire une bonne mélodie, est-ce plus dur que composer un bon riff’ de guitare ?
Nicolas Pommé : Parfois je trouve une mélodie assez simple et j’essaie de trouver les accords qui tombent dessus, parfois c’est l’inverse j’essaie de trouver une bonne mélodie sur une suite d’accords trouvée au préalable, je ne sais pas.
Romain Meaulard: (Long silence) Pour moi c’est la même chose… C’est un ensemble de choses, avec la mélodie qui est souvent amplifiée par la suite d’accords qui est derrière. La voix est venue avant les riffs dans nos deux morceaux. Dans En Attendant Ana, c’était le contraire, le riff’ arrivait avant la voix, enfin je crois. On a d’autres morceaux sur l’album ou le riff’ est venu avant la voix aussi.
On a appris à aller vite tout en jouant moins vite.
Romain Meaulard
MAGIC : « Melody comes first » comme disent les Anglais. Vous êtes un vrai groupe pop assumé.
Romain Meaulard: Oui totalement, même si ce n’était pas l’objectif de base. On s’est senti si bien en fonctionnant comme ça, c’est venu tout seul en fait, sans trop réfléchir. On fonce, on y va. Droit au but.
MAGIC : Et cette idée de modération électrique qu’il y a aussi dans un grope comme Special Friend, c’est un marqueur profond de la génération pop des années 90. Vous écoutez vraiment tous ces trucs nineties ?Galaxie 500, Pavement ou même The Verve et la britpop ?
Romain Meaulard: Oui, clair et net. J’ai écouté Luna pas mal, on écoute beaucoup Yo La Tengo, j’ai aussi eu une grosse grosse phase britpop avec du Oasis, du Blur… On n’écoute pas que ça non plus. Neil Young est une de nos grosses références, les mélodies et les riffs c’est aussi son truc.
(Quentin s’incruste) : Moi c’est plus « Sarah Records », comme Viktor Bayart de chez Buddy Records.
MAGIC : Pour revenir à toi Romain, il y a encore ce feu sacré qui te caractérisait chez En Attendant Ana. Tu le mets désormais au service de la pop. Tu vis l’instant à fond, comme si c’était le dernier...
Romain Meaulard: Je sais pas si j’utiliserais ce mot-là.. Je suis quelqu’un de très hyperactif c’est sûr, je fonce un peu tête baissée. Nicolas et Quentin sont pareils, on fonce sans regarder derrière. On veut vraiment s’éclater, en concert comme en répét’, ça marche bien pour l’indie-rock. On ne pourrait pas faire de la pop psyché ou faire un disque chez Tricatel. On aime ce qui va vite à la base et avec Pop Crimes, on a appris à aller vite tout en jouant moins vite. On veut rester pressés même avec un tempo plus léger. Ce qui compte, c’est le rythme, comme dans un contre-la-montre de vélo : aller le plus vite possible, sans se cramer.
MAGIC : Vous prenez un braquet pop à l’approche des trente ans, c’est un peu le passage à l’âge adulte non ?
Romain Meaulard: En vrai non, la question est super mais tu n’as pas encore écouté l’album : ça joue fort, ça joue vite, on reparle de ça après la sortie !
MAGIC : Parlons de l’album justement. Retour au rock après une parenthèse pop alors ?
Romain Meaulard: Ouais c’est assez varié, y’a des trucs à la Pixies, du Talking Heads chelou, des bails boueux à la Neil Young, un côté parfois très « Sarah Records », avec des riffs qui s’entremêlent..
MAGIC : Un peu de Pavement ?
Nicolas Pommé: Bien vu mec, on a une chanson qui s’appelle Pavement d’ailleurs, puisqu’elle n’a pas encore de nom. On a enregistré pleins de trucs, une fois, deux fois, parfois plus. On ne veut pas un fourre-tout, on expérimente pour trouver ce fameux équilibre et ces liaisons. On est en train de trouver la solution je crois, mais c’est quand même un peu les montagnes russes. C’est encore un peu tôt pour dire à quoi ça va ressembler, mais « so far so good » hein. On a pris le temps de faire ce qu’on avait envie de faire.
MAGIC : Le mélange pureté mélodique et grattes saturées sera toujours au centre du jeu j’imagine ?
Romain Meaulard: Oui, c’est la base. Cette notion est présente dans chaque morceau. La partie basse-batterie est encore plus solide, notre son devient aussi plus costaud. Quentin et Morgane tiennent le bateau à la perfection, on peut s’éclater derrière grâce à eux.
Nicolas Pommé : Il faut une rythmique en béton pour pouvoir poser nos mélodies et nos guitares saturées comme un petit coussin par-dessus, pour que ça groove et que tu t’en prennes plein la gueule quoi.
MAGIC : Vous avez des dates à venir?
Romain Meaulard : Après un bel été, une date à la rentrée à l’International !
En Live ? Des mélodies, des montagnes de guitare et un gros bordel !
Nicolas Pommé
MAGIC : Avec quel projet ? Faire ressortir votre nature profonde et foutre un bon gros bordel ?
Nicolas Pommé : Oui : des mélodies, des montagnes de guitare et un gros bordel ! On garde l’identité du disque en rajoutant une bonne grosse dose d’énergie par dessus. Cette musique doit être jouée le plus fort possible, ça fait partie de l’émotion. On a dû annuler des dates parce qu’on savait qu’on pourrait pas jouer assez fort !
Romain Meaulard: Tu nous connais, on adore la scène. On va envoyer les watts ! Notre dernier concert était tellement fort que des gens se sont plaints ahah.
Illustration 9: Les quatre tourtereaux de Pop Crimes n’ont plus qu’une idée en tête désormais: envoyer les watts !
MAGIC : Romain, dernière question sur ton goût pour le vélo : c’est aussi bien que les drogues et l’alcool pour composer non ? Il serait temps de casser ces vieux clichés d’ailleurs.
Romain Meaulard: Oui c’est clair, après tu peux faire les deux. Faire du sport, ça ne m’empêche pas de picoler. Je fais du vélo, de la boxe, et c’est vrai qu’à chaque fois que je sors de l’un ou l’autre, je me sens hyper bien, comme après un concert. Didier Wampas part en tournée avec son vélo dans le fourgon. Ce que j’aime aussi, c’est le côté cinématographique, les histoires, la possibilité de se créer un roman juste dans ta tête. Quand j’escalade la butte de Belleville à fond, je me dis que c’est l’Alpe d’Huez ! Je mets une pile au gars à côté. Comme à un concert. Si je vois Stephen Malkmus, je me dis il faut l’éclater quoi ! Vivre dans un monde un peu fantasmé, ça te sort de ton quotidien plutôt ultra chiant au final, entouré de gens chiants, avec un boulot chiant.. Ça permet de vivre !
POP CRIMES
Up To The Moon
(HOWLIN’ BANANA) – Juin 2021