1. KANYE WEST – Jesus is King (Getting Out Our Dreams II / Def Jam Recordings)
2. BIG THIEF – U.F.O.F. & Two Hands (4AD)
3. O – À Terre ! (Vietnam)
4. STEVE LACY – Apollo XXI (3qtr)
5. CHRIS COHEN – Chris Cohen (Captured Tracks)
6. (SANDY) ALEX G – House of Sugar (Domino Recording)
7. PURPLE MOUNTAINS – Purple Mountains (Drag City)
8. BILL CALLAHAN – Shepherd in a Sheepskin Vest (Drag City)
9. NICK CAVE & THE BAD SEEDS – Ghosteen (Ghosteen Ltd)
10. KATERINE – Confessions (Cinq7 / Wagram Music)
+ LA BATTUE – Search Party EP (Parapente)
“Sometimes I have to wonder on / Where have all the good songs gone ?”, s’interroge Bill Callahan dans son dernier album, abordant un thème tabou pour un songwriter : la panne d’inspiration. “Où sont passées les bonnes chansons ?” est, dans une moindre mesure, une question angoissante aussi pour le critique. Et si, année après année, ma passion (ou ma curiosité) pour la pop au sens large s’amenuisait ? Et si je ne trouvais plus de morceaux qui me fassent complètement vibrer ? Cet instant redouté n’est toujours pas d’actualité et 2019 fut une année riche en grandes chansons, même s’il fallut parfois les dénicher dans des albums qui se méritent. Justement, par exemple, dans le Shepherd in a Sheepskin Vest dudit Bill (Bilou pour les intimes), qui a livré une œuvre au classicisme presque déconcertant aux premières écoutes – le temps de s’accoutumer à une mélancolie tapie sous une sérénité inédite.
Concernant Purple Mountains, c’est une triste actualité qui m’a fait (dans un premier temps) me raccrocher au disque : la disparition de son leader, l’ex-Silver Jews David Berman, un mois après la parution de l’album. Persévérance récompensée : Snow is Falling in Manhattan et Nights That Won’t Happen me rappellent que, oui, des “good songs” il en sort toujours et même des chefs-d’œuvre.
Avec Big Thief, ce sont carrément deux disques qu’il a fallu décortiquer en moins de six mois, l’un automnal paru au printemps (U.F.O.F.), l’autre printanier paru à l’automne (Two Hands). À la clé : 80 minutes de songwriting de première classe dont je ne suis pas près d’avoir fait le tour. Obliger l’auditeur à séparer le bon grain de l’ivraie, c’est le mot d’ordre qu’a dû se donner Katerine pour ses gargantuesques Confessions, disque où le grand n’importe quoi cohabite avec le plus précieux, et le magnifie (qu’avons-nous écouté de plus beau cette année dans l’Hexagone que le doublé Bonhommes / Aimez-moi ?).
“Where have all the good songs gone ?” Cette question ne s’est tout simplement pas posée pour d’autres disques que j’ai aimé prendre dans leur entièreté, et qui semblaient d’ailleurs avoir été conçus à cette fin. D’abord Ghosteen, le double album de Nick Cave, porté par une production onirique (voix aériennes, synthés et ondes Martenot venant soutenir l’ordinaire formule piano-voix-cordes) raccord avec le sujet du disque (le retour rêvé d’un enfant disparu) et qui n’a qu’un seul défaut, qui fait aussi sa force : sa longueur. Pas le genre d’album à écouter cinq fois dans la journée, ce qui m’est en revanche arrivé plus que de raison avec le dernier Kanye West – et pas que le dimanche. Jesus is King est un disque majeur pour les uns (par exemple pour Katerine, justement, qui a déclaré en être fou dans un entretien-fleuve pour Libération), mineur pour les autres (par exemple pour mon collègue Pierre Evil, spécialiste du rap US).
Un conseil ? Écouter cet album en faisant fi du storytelling qui l’entoure : le carnaval spirituel des Sunday Services, les déclarations réacs de l’artiste… Paradoxe ultime, Jesus is King renferme des morceaux pas forcément inoubliables, et même parfois des ébauches de chanson, la plus belle, Jesus is Lord, semblant se terminer avant d’avoir réellement commencé, au bout de 49 secondes… Mais l’album, pris comme un tout, forme quelque chose comme une chanson parfaite : un condensé d’efficacité et de profondeur, de foi (pas exempt de mauvaise foi) en qui l’on sait mais aussi et surtout en la musique, entre gospel, hip-hop, soul et pop. En 11 titres, 27 minutes et pas une de plus, la messe est dite. Et le décollage immédiat, comme à bord de L’Apollo XXI de Steve Lacy, dont la soul-pop précise mais lo-fi ouvre (avec la modestie du premier album) rien de moins qu’une nouvelle voie pour la décennie naissante, quelque part entre Prince et Mac DeMarco. Mais c’est pourtant bien À Terre ! que j’aurai fréquenté les plus aériennes des mélodies en 2019, Olivier Marguerit signant avec l’album du même nom une pièce pop de premier choix. Parce qu’il me reste deux artistes à citer et que c’est bien commode, je dirais que le Parisien partage avec Chris Cohen un sens inné du songwriting et avec (Sandy) Alex G la méticulosité des arrangements… Pop is (still) king !
Matthieu Chauveau