Albin de la Simone vient de sortir L’un de nous, un joli disque de chansons qui évoquent l’amour, le couple et le temps. Une nouvelle corde à l’arc de ce musicien discret et pourtant si prolifique, qui multiplie les casquettes depuis une quinzaine d’années. En marge de sa discographie, dont cet album constitue le cinquième épisode, Albin est aussi producteur pour les albums des autres (de Miossec à Vanessa Paradis), et acteur de projets étonnants (écrire des musiques de films pour des films qui n’existent pas, chanter dans les musées, faire faire la sieste aux gens…). Et comme Albin de la Simone est aussi éminemment sympathique, il lève le voile sur un peu tout ça dans les propos ci-dessous.
Entretien : Johanna Seban
Albin de la Simone rature pas mal.
Je n’arrive pas à écrire en tournée alors après le dernier concert, je me prévois une semaine quelque part pour faire le point, retrouver mes bouts de carnets, voir où j’en suis, repartir à zéro. Je suis parti plusieurs fois m’isoler quelques jours. Pour l’écriture de cet album, j’ai loué des maisons à droite à gauche. Au Conquet à côté de Brest, un endroit que j’avais découvert avec Miossec. A Barcelone aussi. J’ai arpenté les rues de la ville du matin au soir avec un carnet et je n’ai rien gardé. Mais ça fait partie du truc. Pour moi écrire c’est surtout raturer, rayer. J’écris des millions de trucs et puis je garde trois mots. Du coup, au final, ça ne semble pas laborieux. Mais pour moi ça l’est. J’essaye de concentrer le produit, d’enlever l’eau pour avoir l’essence.
Albin de la Simone n’aime pas son troisième album.
J’ai commencé par un premier disque (Albin de la Simone) qui faisait la somme de tout ce que je voulais, tout ce que j’avais vécu pendant trente ans. Puis mon deuxième album (Je vais changer) était nourri de tous les fantasmes que j’avais eus d’être un peu pop, un peu Philippe Katerine, un peu bizarre. Pour le troisième, Bungalow, j’ai vraiment voulu ne faire que de la pop, j’ai dit “Ça suffit je ne veux plus être étrange.”Je n’aime pas ce disque, formellement il me pose vraiment problème. A partir de là j’ai commencé à trouver qui j’étais et non pas qui je rêvais d’être. Du coup, je n’ai plus fait des disques en réaction au disque précédent.
Albin de la Simone a d’abord enregistré les chansons de son nouvel album seul au piano mais il n’aime pas le piano-voix.
J’ai voulu commencer par enregistrer mes chansons en piano-voix pour voir ce qu’elles donnaient ainsi. J’en ai fait seize en deux jours. Je me disais “Bon, les voix sont bonnes, les pianos sont bons, c’est ok.” Ensuite j’ai procédé par étapes successives. J’ai envoyé les chansons à un ami pour les batteries, puis j’ai écrit les arrangements et j’ai fait venir le quatuor à cordes. Petit à petit, on a ajouté des choses, de la harpe, des percussions faites avec des casseroles. Je ne voulais pas du tout faire un disque piano-voix, je n’aime pas ça. Ensuite je me suis dit “Je m’entends si bien avec Emiliana Torrini, sa voix me rend dingue, il faut qu’elle participe.” (Ndlr. Albin et Emiliana avaient déjà collaboré sur ce beau duo) Alors je suis parti chez elle en Islande et elle a chanté. Je l’ai enregistrée avec un petit enregistreur Zoom sur sa table de cuisine. Puis j’ai demandé à Vanessa Paradis de me laisser un message sur mon répondeur. Et j’ai gardé sa voix. Enfin l’Anglaise Mara Carlyle, qui est copine avec Emiliana, est venue jouer de la scie musicale. Elle a réussi à faire venir sa scie dans le Thalys. C’est incroyable la scie musicale. C’est un instrument de bûcheron au départ, une véritable scie. C’est l’enfer, ça fait hyper mal aux mains. Mais ça fait un son de diva bourrée que j’adore (rires).
Albin de la Simone se sent riquiqui parfois.
J’ai beaucoup de complexes avec ma voix. Cette fois j’ai décidé d’enregistrer mes voix au départ. Ça m’a enlevé cette épée de Damoclès que j’avais connue sur les disques précédents, cette crainte de devoir chanter par-dessus le gâteau à la fin, une fois que tout le reste était enregistré. Là j’ai mis ma voix, puis j’ai ajouté des poutres, des tableaux sur les murs, toute cette production musicale que j’adore faire pour les autres. Il y a deux jours, j’étais en Suisse et il y avait un piano Steinway très impressionnant. Moi, je préfère les tout petits pianos avec des sons minuscules qui font que j’ai une voix plus jolie. Les grands pianos me donnent l’air riquiqui.
Du coup Albin de la Simone a cherché le bon piano pendant longtemps, armé d’une couverture polaire.
Sur scène j’utilise un piano électrique qui a un son vraiment étroit. Cela me suffit parce que je joue avec des musiciennes qui se chargent du lyrisme avec le violon et violoncelle. Le clavier ne fait que le squelette de mes chansons. Mais sur disque, cela aurait été trop tristounet. Alors j’ai cherché le piano idéal. Je voulais un piano dont on aurait l’impression qu’il a vieilli, comme élevé en fût de chêne. Un piano dont on casserait le grave et l’aigu. Pour cela, il faut mettre une feutrine entre le marteau et les cordes. Ou bien une couverture. Donc il a fallu trouver le bon piano qui permettrait ça. J’en ai essayé plein avec ma couverture en polaire. J’ai fait le tour de tous mes amis qui avaient des pianos dans des studios. J’ai même essayé un piano à une corde qu’utilise Nils Frahm. J’ai joué sur des grands pianos, des petits, des moyens. Il existe un extrait de documentaire (voir ci-dessous) où l’on me voit dans un magasin de pianos avec un monsieur qui me fait essayer des pianos hyper atypiques. Et moi je suis super relou (Rires.). Puis un jour j’ai trouvé ce piano, dans les anciens studios Vogue. Je me suis assis, je l’ai essayé et d’emblée j’ai eu envie qu’on ferme la porte, que la lumière rouge s’allume et qu’on commence l’enregistrement. Aujourd’hui, les premières mesures de mon disque commencent par ce son, et je suis heureux, c’est ce que je voulais. Je me suis rendu compte que cette quête avait un sens, que j’avais bien fait d’assumer ce côté un peu diva.
bien fait d’assumer ce côté un peu diva.
Albin de la Simone entretient, de façon générale, une relation atypique avec les instruments.
On avait fait une tournée de Vanessa Paradis avec un quatuor à cordes, sans aucun instrument électrique. Le batteur jouait avec des boîtes d’allumettes, on avait des instruments sifflés, de la guimbarde. Sur mon disque, il y a des casseroles, une scie, des balles de ping-pong. J’adore cette façon de “faire des effets spéciaux” avec des petits moyens, comme ces mecs qui reproduisent le bruit de la marche sur des graviers en appuyant avec leurs doigts sur des grains de sucre. Quand je fais des concerts, il y a juste une enceinte pour ma voix et mon clavier, le reste est acoustique, sans sono. Je choisis mes salles en fonction de cela. C’est assez technique, on sait qu’à partir d’un certain nombre de mètres ça ne fonctionne pas. C’est une façon d’être geek mais sans l’électronique. Quand j’enregistre en revanche, je suis totalement ordinateur, totalement Pro Tools. J’ai un mur de synthés à la maison, mais ça ne va pas avec mes chansons.
Albin de la Simone doit beaucoup à Katerine et Mathieu Boogaerts.
Quand j’ai commencé à jouer dans des groupes, je faisais beaucoup de jazz: le langage et la recherche du jazz me plaisaient car on pouvait exprimer des choses complexes. Mais le jazz est un sport de haut niveau et j’ai vite souffert. A la fin des années 90 j’ai rencontré des musiciens comme Mathieu Boogaerts ou Katerine, qui faisaient des choses avec des mots, et je me suis rendu compte que c’est ce qui me manquait. Les mots. Alors j’ai écrit une, deux, trois chansons. C’est à leur contact que j’ai découvert que je pouvais faire ça, je ne savais pas du tout que j’avais ça en moi. Ils m’ont influencé, tout simplement. J’étais en tournée avec Souchon, il m’a dit que ce que je faisais ne ressemblait pas aux trucs des autres, il m’a encouragé à continuer. JP Nataf également, avec qui je travaillais en studio. Alors j’ai continué. Je crois que dans la vie, on est attiré par la lumière. Pas au sens du succès mais au sens du feu, de la chaleur. Et là, avec les mots, il faisait chaud. En revanche, j’exprimais des choses archi complexes, mon premier disque est vraiment zinzin ! Un disque de bonhomme qui aimait Katerine et David Cronenberg.
Sur son nouvel album, Albin de la Simone chante l’amour.
Il y a cinq ans, je me suis aperçu que mon précédent disque parlait de masculinité sous plein d’angles seulement à la fin de sa conception. Il y avait une chanson qui gênait dans cet ensemble-là, c’était L’un de nous. Du coup, elle a fini sur ce nouveau disque, et elle lui a même donné son titre. Sur cet album, je parle beaucoup de la femme. Mais c’est parce que je suis hétéro : si j’étais homo, ce serait l’homme. C’est un disque sur l’amour et le couple, sur la vie en couple. Je suis heureux car l’album s’ouvre sur la chanson Le Grand Amour, qui raconte l’amour romantique, fantasmé, complètement foufou auquel on a droit deux fois dans sa vie et qui finalement ne marche pas même si on court après. Et c’est très bien car c’est une vision de l’amour à laquelle je ne crois pas du tout. Après on passe à l’amour qui dure, ou à l’envie que ça dure.
Albin de la Simone dégringole.
J’ai voulu écrire ce morceau, La Fleur de l’âge, sur la vieillesse. Ce n’est pas évident comme thématique de chanson. J’ai effacé des kilomètres de trucs. C’est venu d’une visite chez l’ophtalmo parce que je deviens presbyte. Elle m’a dit “Entre 45 et 50 ans, vous allez voir, c’est la grande dégringolade… Bienvenue au club !” J’ai trouvé que c’était marrant comme elle théâtralisait ça et j’ai commencé à écrire une chanson qui s’appelait La Grande Dégringolade. Et puis finalement je n’ai pas eu envie de faire dans le comique pour parler de ça. Pas envie de dégringolade ou de badaboum. J’ai voulu montrer que ça pouvait aussi être une montée, une poussée vers l’avant. Mais ça a été très long d’arriver à trouver le ton juste. Au début je voulais une musique légère. Le directeur de mon label, Vincent Frèrebeau, a écouté et m’a dit que ça ne lui parlait pas du tout. Et en effet j’ai compris qu’il fallait que je sois sérieux, amusé et joueur, mais dans l’acceptation. Je ne voudrais pas être maladroit en racontant comment je souffre, moi, pauvre petit artiste malheureux, mais la vérité c’est que le processus d’écriture est souvent très complexe pour moi, je ne suis pas toujours heureux. Je suis parti une semaine dans une petite maison sur une plage à l’île Maurice pour écrire des choses, parce qu’un ami m’avait offert ses miles qui allaient être périmés. Bien sûr c’est super de partir à l’Île Maurice pour écrire, mais j’ai dû être heureux cinq minutes par jour, parce que j’avais trouvé un truc. Ceci dit, il y a quelque chose que j’aime dans cette solitude et cette souffrance d’auteur qui cherche.
Du coup, Albin de la Simone cherche beaucoup.
Quand je n’écris pas de chansons, je monte des projets avec des musées. C’est comme ça : à un moment, j’ai vraiment pris la décision de produire. Un artiste qui dit “je pense à plein de trucs, j’ai plein d’idées”, on s’en fout complètement. Tant qu’on n’a pas vu, ça ne sert à rien. Être artiste c’est publier ses idées, les finir, les achever. Pas faire une BD pendant trente ans et ne jamais la sortir. Mon œuvre sera forte ou puissante parce que j’aurai produit et fait. Alors je me suis forcé à me sortir les vers du nez. Puis un ver en amène un autre qui en amène un autre. Pitié ne mets pas cette phrase.
Parmi les vers sortis du nez d’Albin de la Simone, certains l’ont mené au musée.
Je suis dingue d’art brut. J’aime tellement ça que je suis devenu fou de La Collection de l’art brut de Lausanne, qui est le plus beau musée du monde. Et à force de répéter ça partout, la directrice est venue me voir à la fin d’un concert, et m’a invité à chanter dans les jardins.
Autrement j’ai découvert Henry Darger, un artiste fabuleux. Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris a récupéré une donation et m’a proposé de faire une performance au milieu de l’exposition. J’ai traduit des biographies, j’ai mis en musiques ses textes. J’ai travaillé sur ça pendant deux mois pour deux performances d’une heure. J’aime cette idée que ça ne laisse pas de traces, à part des souvenirs à 300 personnes. (Et cette chouette vidéo).
Albin de la Simone a composé des musiques de films pour des films qui n’existent pas.
J’avais fait ce spectacle de fausses musiques de films (Les Films Fantômes). On l’a joué à la Philharmonie, au Centquatre, au Canada. J’avais composé des fausses musiques de films et on avait imaginé toute une série d’expositions d’arts plastiques autour de ces films qui n’existaient pas: il y avait des vidéos, des textes pour raconter les films aux gens, mais jamais aucun extrait. Aujourd’hui je suis associé au Théâtre National de Bretagne pour développer à nouveau ce concept. Autrement j’avais travaillé avec The LP Company. C’est un projet monté par des Suisses qui réunissent des pochettes de disques imaginaires. Ils avaient écrit des articles sur ces disques puis ils ont contacté des musiciens pour faire les reprises de ces morceaux imaginaires. C’était une façon de rendre concrète une musique par sa reprise, pour qu’on puisse continuer à imaginer l’originale sans jamais pouvoir l’écouter.
Vous pouvez faire la sieste avec Albin de la Simone.
Je participe aux Siestes acoustiques de Bastien Lallemant : c’est un truc fabuleux organisé à la Loge à Paris. Des musiciens se retrouvent pour jouer ensemble et les gens viennent s’allonger et nous écoutent comme ça. C’est vraiment super, avec un casting qui change. Parfois des auteurs participent : il y a eu Daniel Pennac, ou Brigitte Giraud, une écrivaine que j’ai adorée et avec qui on a ensuite monté un spectacle.
Albin de la Simone détient la vérité sur La Bicylette d’Yves Montand.
Avec Bastien Lallemant et Charles Berberian, qui participe aussi aux siestes, nous avons une amie commune, Clémentine Deroudille, la petite fille de Doisneau. Clémentine est très connectée à la culture japonaise et est très amie avec la famille de Pierre Barouh. Elle a organisé un concert et un album pour célébrer les 50 ans de Saravah mais elle a aussi eu l’idée qu’on parte organiser une sieste acoustique spéciale Saravah au Japon. Elle a remué ciel et terre pour qu’on puisse aller faire dormir les gens à Tokyo ! Presque un emploi fictif (Rires). Je connaissais son œuvre et les disques qu’il avait produits mais je n’avais jamais rencontré Pierre Barouh. Nous sommes partis avec Bastien et Charles. On s’est retrouvés dans la maison de Pierre à répéter à huit heures du matin la chanson A Bicyclette, parce qu’on devait la chanter à la sieste. On dormait tous dans la même maison. Je passe dans le salon et je vois un mec sous les couvertures. Je lui dis bonjour et j’entends un râlement en guise de réponse. On prend le petit déjeuner et on commence à répéter. Bastien se met à chanter “de n’être pas un seul instant avec Paulette”. Soudain, et visiblement c’est une anecdote qui s’est reproduite cinquante fois, on entend un cri. Les couvertures sautent en l’air et Pierre Barouh, quatre-vingt balais, arrive dans la cuisine en hurlant “C’est pas ça !!! C’est « de ne pas être seul un instant avec Paulette ! » Parce que Yves Montand s’est trompé dans l’enregistrement ! » Et depuis cinquante ans, il nous explique à quel point c’est une blessure pour lui. C’était vraiment incroyable de rencontrer Pierre Barouh à huit heures du matin en se faisant engueuler.
ALBIN DE LA SIMONE
L’un de nous
(TÔT OU TARD)