Association de personnalités aux parcours différents, le duo américain Sylvan Esso revisite la pop électronique à la faveur d’un solide héritage folk. Amelia Meath et Nick Sanborn ont laissé derrière eux les instruments des groupes qu’ils ont fondés ou fréquentés pour se concentrer sur une écriture à l’évidence éclatante et des machines qui n’ont jamais été aussi charnelles. [Article Vincent Théval].
Sur scène devant un public ou en session devant des caméras, le même constat frappe l’esprit en voyant le duo Sylvan Esso interpréter ses chansons : malgré le minimalisme électronique en vigueur, elles sont incroyablement incarnées. Par Amelia Meath, dont la voix est un véhicule idéal pour mélodies sensuelles. Ses inflexions riches comme sa gestuelle témoignent d’un engagement doux et naturel. Nick Sanborn est penché sur ses machines et semble traversé par les sons et les rythmiques qu’il en extrait. Mais il y a plus, une entente visiblement parfaite entre les deux, un lien étonnant au regard de leur jeune parcours en duo. Ils confirment la “connexion instantanée” entre eux lors d’un concert au Cactus Club de Milwaukee (Wisconsin) un soir où Sanborn assure la première partie de Mountain Man, la formation d’Amelia.
La belle rencontre débouche sur une somme d’expériences qui vont s’harmoniser. La jeune femme a donc fait ses armes au sein de Mountain Man, trio vocal féminin auteur d’un chic premier album en 2010, Made The Harbor, dont les racines sont profondément ancrées dans le folk américain. “C’était un pur produit de notre jeunesse et de la vie dans le Vermont. Mountain Man a vu le jour au Bennington College quand j’ai quitté le campus pour emménager dans une grande maison bleue. J’ai voulu y faire un concert en guise de pendaison de crémaillère et j’ai demandé à Molly (ndlr. Erin Sarle) et Alexandra (ndlr. Sauser-Monnig) d’y participer. On a décidé de chanter ensemble avant de tomber d’accord sur le nom Mountain Man en descendant les escaliers qui menaient au salon juste avant le début du concert.”
Harmonies à trois voix, guitare acoustique discrète, souffle de l’enregistrement : le charme de leur disque inaugural séduit largement public et critique à la faveur d’une sortie américaine chez Partisan Records et européenne chez Bella Union. Après quelques mois de tournée, le trio publie en 2011 un single inédit, Play It Right, qui va connaître un joli parcours. La composition passe entre les mains de Warm Ghost, soit les New-Yorkais Paul Duncan et Daniel Lewis, qui la transforment en comptine electropop diablement entêtante. C’est à ce même titre que Nick Sanborn s’attaque au morceau peu de temps après sa rencontre avec Amelia. Son remix de Play It Right scelle la naissance de Sylvan Esso, un blase chipé aux petites créatures que l’on trouve dans le jeu vidéo Swords & Sworcery. Ses rythmiques agissent en exhausteur de sensualité sur ce remix entêtant. Le garçon a depuis plusieurs années des activités électroniques (remixes, performances) sous le nom de Made Of Oak, mais son parcours est autrement sinueux et riche, croisant le chemin d’un imposant nombre de musiciens.
“Depuis mon vingtième anniversaire, j’ai passé six mois par an en tournée, la liste des groupes avec lesquels j’ai joué est donc assez longue. Le premier était Decibully (ndlr. d’obédience americana) où je jouais du piano. Quand il a commencé à s’essouffler, je me suis mis à la basse pour Headlight (ndlr. du genre indie pop), qui était sur le même label que nous. À la fin de cette période, j’ai été bassiste chez Megafaun, de vieux amis du Wisconsin. Le groupe dans lequel j’évolue depuis le plus longtemps, Cedar AV (ndlr. un trio plutôt drone), est aussi celui qui sort le moins de musique, même si on joue et enregistre aussi souvent que possible. Je suis un grand hyperactif et je me lasse facilement si je passe trop de temps focalisé sur un seul type de musique.” Sylvan Esso est le projet qui lui permet de s’exprimer davantage tout en créant quelque chose de neuf.
THEY MIGHT BE GIANTS
Car c’est bien ce qui fascine dans la musique du tandem, sa simplicité et sa modestie qui feraient presque oublier sa singularité. Sans artifice ni révolution, ces morceaux témoignent d’un style déjà marqué. On a du mal à leur trouver des cousinages. Les parcours respectifs des deux musiciens incitent à tracer des liens avec le folk mais Nick tempère cette approche : “Je ne suis pas certain qu’il y ait un lien direct, à moins de concevoir simplement l’aspect humain du folk. Je pense que c’est l’honnêteté de cette musique qui nous a attirés tous les deux à différents moments de nos vies, mais cette même honnêteté m’a également amené vers d’autres styles. Pour l’heure, notre travail a pris cette forme et c’est celle qui nous paraît la plus naturelle à ce stade. Mais je suis sûr que ça changera en même temps qu’évoluera notre relation.” En réalité, la musique de Sylvan Esso a les traits de la pop synthétique telle qu’elle est fabriquée par des artistes dont l’électronique n’est pas la culture première.
On pense à The Postal Service, qu’Amelia cite d’ailleurs en influence. De son côté, Sanborn avoue une admiration sans bornes pour They Might Be Giants. “C’est le premier nom à m’avoir donné envie de composer. Je me revois assis chez moi en train d’écouter Ana Ng sur cassette, à essayer de comprendre comment tout cela marchait. Ils ont ce talent dingue pour traduire l’émotion d’un moment de la manière la plus belle et la plus succincte qui soit.” Voilà une définition aussi valable pour Sylvan Esso, dont le premier geste discographique était une invitation aux remixes et autres agapes électroniques. Ainsi, en face A de ce single dévoilé l’année dernière, le titre Hey Mami était suivi de ses versions a capella et instrumentale. En face B, Play It Right avait droit au même traitement, déshabillage en règle d’une chanson magnifique. Quand on compose des mélodies aussi belles lorsqu’elles sont dénudées, le reste relève de la couture. De la haute couture, en l’espèce.